Science & Vie Guerres & Histoire Hors Serie №4

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Édito

L

a pensée militaire du XXe siècle, et celle du nôtre, repose, pour beaucoup, sur deux grands théoriciens, Carl von Clausewitz et Antoine de Jomini. Or, le Prussien comme le Suisse sont des acteurs des guerres napoléoniennes, le premier, contre la France, le second, avec elle jusqu’en 1813. Tous deux ont bâti leur œuvre considérable sur l’observation et l’analyse des campagnes du Corse. Voilà déjà une raison forte de lire ce quatrième hors-série de Guerres & Histoire. Une deuxième raison tient à la possibilité de prendre – en un seul numéro et avec une cartographie repensée – une vue globale des éléments de la guerre napoléonienne. Citons-les pêle-mêle, en sachant que chacun a fait couler des flots d’encre et mobilisé les enseignants des écoles de guerre dans le monde entier durant deux siècles. Figurent au fronton la supériorité de l’offensive, la recherche de la bataille, la nécessité d’obtenir la surprise et de tirer des jambes des soldats la vitesse maximum du mouvement, la vision claire de ce qui constitue le théâtre principal – celui où doit s’obtenir la supériorité. La manœuvre des forces selon de stricts critères de proximité, leur concentration en un point unique, vient ensuite. La constitution de fortes réserves d’artillerie et de cavalerie, la capacité à défendre – et à basculer, le cas échéant – une ligne d’opérations – qui joint l’armée à sa base logistique et permet la retraite – suivent en bonne place. Enfin, et vous le constaterez à loisir dans les études de cas, Napoléon manie en maître la manœuvre en position centrale et celle sur les derrières, avant d’être égalé par ses adversaires. Directement ou indirectement, nos quatre auteurs ont insisté sur un point majeur, celui de la bataille décisive. Vous n’en trouverez aucune, hormis celle de Waterloo. En réalité, par ses plus beaux succès – Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram – le Premier Consul puis Empereur n’obtient jamais que du temps additionnel. Il gagne juste pour rester dans la course, sauver son empire et sa couronne. Mais jamais il n’obtient la paix durable qui, seule, donne la victoire. Qu’importe que l’Autriche, la Prusse ou la Russie quittent la guerre après une déculottée ! Elles y reviendront, tôt ou tard, et au pire moment. Cette lutte de vingt ans contre des coalitions continentales sans cesse renaissantes ne pouvait trouver de fin heureuse qu’en battant l’Angleterre – mais Trafalgar est bien, elle, une bataille décisive. Ou en s’entendant avec elle : peut-être n’était-ce pas impossible. Mais Napoléon en était-il capable, alors qu’il est l’homme qui ne sait pas s’arrêter, ni même rétropédaler ? Sa grandeur tragique tient à cela : il agit avec génie dans le champ militaire. Mais sa gloire est une illusion car, pour citer Patrick Bouhet, « ce n’est pas dans ce champ seul que peut apparaître la solution d’un conflit ». C’est le diamant brut que Clausewitz a dégagé de l’étude des 45 batailles que nous vous proposons ici.

LIBELLÉS DES SYMBOLES DE CARTES Bataille

X XX XXX XXXX

Brigade Division Corps d’armée Armée Siège Artillerie Cavalerie

Inoxydablement vôtre. Jean Lopez, directeur de la rédaction

Une publication du groupe

Position de Napoléon

Président : Ernesto Mauri

RÉDACTION – 8, rue François-Ory – 92543 Montrouge Cedex. Tél. 01 46 48 48 48. Pour correspondre avec la rédaction : [email protected] Directeur de la rédaction : Jean Lopez • Assistante de la rédaction : Mireille Liébaux • Rédacteur en chef adjoint : Pierre Grumberg. Conception graphique : Agence Bleu Petrol’ • Secrétaire de rédaction : Pierre-André Orillard • Service photo : Stéphane Dubreil • Documentaliste : Delphine Habauzit. Comité éditorial : Benoist Bihan, Michel Goya, Laurent Henninger, Yacha MacLasha, Éric Tréguier. Ont collaboré à ce numéro : Stéphane Béraud, Frédéric Bey, Patrick Bouhet, Antoine Reverchon. DIRECTION ÉDITION – Directrice du Pôle : Carole Fagot • Directeur délégué : Vincent Cousin. DIFFUSION – Directeur : Christophe Chantrel • Responsable diffusion marché : Siham Daâssa • Responsable diffusion : Jacky Cabrera. MARKETING – Responsable : Giliane Douls • Partenariats et communication : Mathilde Janier-Bonnichon. ABONNEMENTS – Responsable : Juliette Mesnil • Chef de produits : Sophie Eyssautier. PUBLICITÉ – Tél. 01 41 33 50 19. Directrice exécutive : Cécile Chambaudrie • Contacts publicité : Lionel Dufour, Virginie Commun. Planning : Angélique Consoli, Stéphanie Guillard • Trafic : Véronique Barluet • Opérations spéciales : Véronique Besse. FABRICATION – Chefs de fabrication : Daniel Rougier et Agnès Châtelet • Photogravure : RVB – Montrouge (92). ÉDITEUR – Mondadori Magazines France. Siège social : 8, rue François-Ory – 92543 Montrouge Cedex. Directeur de la publication : Carmine Perna. Directeur financier : Hervé Godard • Responsable du contrôle de gestion : Renaud Terrade. Actionnaire principal : Mondadori France SAS • Imprimeur : Imaye Graphic – Laval (53). No ISSN : 2115-967X • No de Commission paritaire : 0518 K 90842 • Dépôt légal : juillet 2018. Tarifs d’abonnement France 1 an – 6 numéros : 32 euros ou 6 numéros + 2 hors-séries : 42 euros. Relations avec les ABONNÉS par téléphone : 01 46 48 47 88 du lundi au samedi, de 8 heures à 20 heures ; par courrier : Service Abonnements Guerres & Histoire – CS 50273 – 27092 Évreux Cedex 9. Vous pouvez aussi vous abonner sur www.kiosquemag.com. Vente anciens numéros France : par téléphone au 01 46 48 48 83 ou sur www.laboutiquescienceetvie.com • Belgique et Suisse : écrire à [email protected] Origine du papier : Suède • Taux de fibres recyclées : 0 % • Certification : PEFC • Impact sur l’eau : Ptot 0,01 kg/tonne

Guerres & Histoire HS No 4 • 3

Sommaire 6

22

1re campagne d’Italie 1796-1797

Campagne d’Égypte 1798-1799

Une campagne fulgurante et stupéfiante De Montenotte à Mondovi ● Lodi ● Castiglione ● Bassano ● Arcole ● Rivoli ●

32

2e campagne d’Italie 1800 Vienne, ultime rival déclaré

ILLUSTRATIONS : AKG – CARTES : JÉRÔME GRASSELLI POUR « G&H »



Marengo

46

Campagne de Prusse 1806 La Prusse mise à genoux en quatre semaines ●

4 • Guerres & Histoire HS No 4

Une série de victoires sans résultats ●

Pyramides ● Mont-Thabor ● Aboukir

38

Campagne d’Allemagne 1805 L’empereur se retourne vers l’est ●

Ulm ● Austerlitz

54

Campagne de Pologne 1807

Les chauds et froids de la Grande Armée ●

Eylau ● Friedland

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62

68

Campagne d’Espagne 1808

Campagne d’Autriche 1809

Napoléon manœuvre en terre hostile ●

Somosierra

84

Campagne de Russie 1812

Quand un empereur perd son armée ●

Smolensk ● Borodino ● Bérézina

106

Campagne de France 1814

La France mûre pour s’avouer vaincue ●

Brienne/La Rothière ● Champaubert/Montmirail/ Château-Thierry/Vauchamps ● Montereau ● Craonne ● Laon/Reims ● Arcis-sur-Aube

Le début des victoires laborieuses ●

Abensberg ● Landshut ● Eckmühl ● Ratisbonne ● Essling ● Wagram ● Znaïm

94

Campagne de Saxe 1813

Et la France abandonna l’Allemagne ●

Lützen ● Bautzen ● Dresde ● Leipzig ● Hanau

122

Campagne de Belgique 1815

La chute de l’Empire en épilogue ●

Ligny ● Waterloo

Guerres & Histoire HS No 4 • 5

6 • Guerres & Histoire HS No 4

Arcole, 15 novembre 1796. L’image de Bonaparte brandissant un drapeau et exhortant ses soldats à avancer est entrée dans la légende.

RE

LA 1 CAMPAGNE

D’ITALIE ●●●

1796-1797

Alors que l’Italie ne devait être qu’un théâtre d’opérations secondaire dans la lutte entre la France et les coalisés, elle est placée au premier plan par les succès de Bonaparte contre l’Autriche. Un stratège est né. ●●● ●● ● ●

Guerres & Histoire HS No 4 • 7

UNE CAMPAGNE FULGURANTE ET STUPÉFIANTE

À PAR

STÉPHANE BÉRAUD

Spécialiste de l’histoire militaire napoléonienne, Stéphane Béraud a publié une étude stratégique sur la première campagne d’Italie. Il a entamé une tétralogie sur la révolution militaire napoléonienne (2 volumes parus) qui ambitionne de dresser un panorama complet de tous les compartiments de l’art de la guerre durant l’Empire.

la veille de la campagne d’Italie de 1796, le Directoire a atteint ses objectifs militaires. Après quatre années de guerre, la République a réussi à affaiblir la 1re coalition des monarchies européennes et à occuper toute la rive gauche du Rhin. Il reste cependant à briser la volonté autrichienne pour faire accepter la prépondérance française. Dans ce but, Carnot conçoit un plan fondé sur une offensive principale en Allemagne et une opération secondaire de diversion en Italie. Ce plan va être bouleversé par la nomination, le 2 mars 1796, de Bonaparte au poste de commandant de l’armée d’Italie. Il va en effet profiter de ce premier commandement d’armée pour appliquer ses réflexions révolutionnaires sur l’art de la guerre à un théâtre d’opérations qu’il étudie de façon détaillée depuis 1794.

Les Sardes, maillon faible

La campagne d’Italie s’ouvre par un coup de tonnerre qui désintègre en quelques jours la coalition austro-sarde. Pleinement conscient de la dimension politique du conflit, Bonaparte sait qu’il faut d’abord frapper le royaume de Sardaigne, le maillon faible de la coalition. Il conçoit une offensive contre le point de jonction des armées ennemies permettant de « manœuvrer en position centrale » pour les séparer et les écraser successivement. Bonaparte profite d’une offensive mal coordonnée des Autrichiens qui étendent leur dispositif tout en dégarnissant leur point de jonction avec les Sardes. Il refuse son aile droite face au gros des forces autrichiennes du général Beaulieu et concentre ses forces par des marches de nuit tandis que la division Sérurier capte l’attention des Sardes. Fixés de front et

Alors qu’en 1793, la 1re coalition comprend l’Autriche, la Prusse, la Sardaigne, Naples, l’Angleterre, les Provinces-Unies, l’Espagne, la Russie ainsi que plusieurs princes italiens et allemands, en 1796 l’Autriche constitue la dernière puissance continentale importante en lutte contre la France après le retrait de la Prusse et de l’Espagne. 8 • Guerres & Histoire HS No 4

menacés de débordement, les Autrichiens doivent se replier. Bonaparte peut maintenant se retourner contre les Sardes pour renouveler une combinaison d’attaques frontales avec des mouvements de contournement qui obligent Colli à battre en retraite vers Cherasco, menacent Turin et poussent les Sardes à demander l’armistice, signé le 28 avril. En deux semaines, Bonaparte a contourné les Alpes et pris pied dans la vallée du Pô. Après avoir neutralisé les Sardes, Bonaparte dispose de la supériorité numérique pour se retourner contre les Autrichiens. Il exécute une audacieuse « manœuvre sur les arrières » qui déborde les défenses sur le Pô de l’armée autrichienne et la force à se replier vers le Tyrol en laissant 4 500 hommes dans la place de Mantoue. Après cette première offensive éclair, qui fait tomber le Milanais et la Lombardie dans l’escarcelle française, Bonaparte se heurte à un dilemme stratégique. Il doit achever sa conquête en prenant la forteresse de Mantoue tout en se préparant à repousser les prochaines contre-offensives autrichiennes. Il bénéficie cependant de deux avantages : les riches plaines de l’Italie du Nord pour ravitailler son armée, et son réseau de communications qui autorise des mouvements rapides des unités sur les lignes intérieures. En conséquence, Bonaparte adopte un dispositif « d’attente stratégique » au cœur du quadrilatère lombard : des unités de première ligne surveillent les voies d’accès et s’appuient sur une réserve centrale. De leur côté, les Autrichiens profitent de la passivité française sur le front allemand pour reconstituer leurs forces. Ils lancent successivement quatre offensives pour libérer Mantoue et reconquérir leurs possessions italiennes. Bonaparte parvient chaque

En charge des questions militaires au sein du Comité de salut public et du Directoire, Lazare Carnot (17531823) est baptisé « l’organisateur de la victoire » lors de la séance de la Convention du 28 mai 1795, en hommage au succès de ses réformes militaires qui ont mené les armées de la République à la victoire.

L’armistice de Cherasco, signé le 28 avril, accorde immédiatement à Bonaparte des forteresses clefs pour les communications françaises (Coni, Tortone et Alexandrie) ainsi que le libre passage du Pô à Valenza. Il aboutit au traité du 15 mai 1796 par lequel le royaume de Sardaigne se retire de la coalition.

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Cherasco 28 avril 1796

5 août 1796

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Armistice entre Bonaparte et le roi de Sardaigne

8 sept. 1796

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Traité - 18 oct. 1797

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Italie 1796-97

Napoléon exploite l’incapacité du commandement autrichien à coordonner ses multiples colonnes d’attaque. fois à contrer ces offensives en infligeant à ses adversaires de retentissantes défaites à Castiglione, Bassano, Arcole et Rivoli. Il élabore de fulgurantes répliques en exploitant la propension du commandement autrichien à multiplier les colonnes d’attaques sans être capable d’en assurer la coordination. La manœuvre la plus décisive est celle qui aboutit à la bataille de Rivoli, qui inflige des pertes sévères aux Autrichiens (plus de 14 000 hommes) et provoque dans la foulée la reddition de Mantoue dont les défenseurs, minés par la maladie, ne croient plus à une libération. Le rapport des forces bascule désormais au profit de

Le quadrilatère lombard, ou mantouan, a pour côtés les Alpes au nord, le Pô au sud, l’Adige à l’est et le Mincio à l’ouest. Les coins de ce quadrilatère sont contrôlés par les villes de Peschiera, Vérone, Legnago et Mantoue.

Bonaparte, d’autant que la reddition de Mantoue a convaincu le Directoire que le théâtre italien pouvait apporter la victoire sur Vienne. En mars 1797, l’armée d’Italie dispose d’une force de manœuvre de 60 000 hommes qui s’enfoncent en territoire autrichien et parviennent au col de Semmering à moins de 100 km de Vienne. Bonaparte sait cependant qu’il ne peut indéfiniment étirer ses lignes de communications, alors que Moreau n’a pas encore lancé son offensive sur le Danube. Le général en chef se transforme alors en diplomate émérite, en négociant les préliminaires de Leoben puis le traité de Campoformio. ■

Par le traité de paix de Campoformio, signé le 17 octobre 1797, Vienne cède les Pays-Bas autrichiens (actuelle Belgique) à la France, renonce au Milanais et à la Lombardie et reconnaît la République cisalpine formée par le Milanais, la Lombardie et la République cispadane. La cession de la rive gauche du Rhin est prévue, mais exclut les possessions prussiennes autour de Cologne et doit être ratifiée par la diète impériale, en fonction de compensations accordées sur la rive droite.

Pour aller

+ loin

La Campagne d’Italie, Carl von Clausewitz, Pocket, 1999. Bonaparte en Italie. Naissance d’un stratège 1796-1797, Stéphane Béraud, éd. Bernard Giovanangeli, 2008. Bonaparte in Italy, Kevin Zucker, Operational Studies Group, 1979.

Guerres & Histoire HS No 4 • 9

1796-1797- La 1re campagne d’Italie

PREMIÈRES VICTOIRES, DE MONTENOTTE À MONDOVI Du 12 au 21 avril 1796

L

’ouverture de la première campagne d’Italie est marquée par la topographie accidentée et cloisonnée du théâtre d’opérations des Alpes et des Apennins. Du fait de la guerre de montagne qui en résulte, les premières victoires de Bonaparte ne prennent pas la forme d’une bataille au sens classique du terme impliquant une unité de lieu, de temps et d’action. Elles se composent d’une succession de combats se déroulant sur plusieurs sites, lors de différentes journées et n’impliquant qu’une fraction des armées en présence. Le génie militaire de Bonaparte consiste à articuler ces combats pour en obtenir un résultat stratégique dans les mêmes conditions que pour une bataille décisive classique. Le premier objectif de Bonaparte est de briser l’alliance entre Sardes et Autrichiens en s’emparant du point de jonction entre les deux armées ennemies. Il pourra ainsi isoler le royaume de Sardaigne et le forcer à sortir du conflit. Pour obtenir ce résultat, Bonaparte décide de contourner les Alpes en prenant l’offensive par la route côtière qui va de Nice à Gênes, avant de pivoter vers le nord-ouest et de franchir le col de Cadibone qui sépare les Alpes des Apennins.

Beaulieu attaque le premier

Bonaparte pensait prendre l’offensive le 15 avril, mais il est devancé par son adversaire qui attaque le 10 avril les avantpostes français de Voltri. Beaulieu dispose de 32 000 hommes pour prendre l’aile droite française en tenaille entre ses forces et celles d’Argenteau, en charge de la droite autrichienne qui doit prendre Savone. Mais Bonaparte profite du décalage entre les mouvements des deux colonnes autrichiennes pour refuser son aile droite face à Beaulieu et concentrer ses forces contre Argenteau.

Général autrichien (1725-1819) d’origine wallonne, Jean-Pierre de Beaulieu se distingue lors de la guerre de Sept Ans puis contre les armées de la République française en Flandre et sur le Rhin. Il obtient à 71 ans son premier commandement d’armée face à Bonaparte.

10 • Guerres & Histoire HS No 4

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Celui-ci a attaqué le 11 avril les positions françaises sur les contreforts du Monte Legino qui protège la voie d’accès vers le col de Cadibone. Bonaparte riposte le 12 avril en lançant Laharpe de front, Masséna sur Montenotte pour déborder la droite ennemie, et Augereau encore plus à l’ouest sur Dego pour menacer la ligne de communications autrichienne vers Alexandrie. Sérurier est chargé de détourner l’attention des Sardes. Argenteau tente de résister mais bat en retraite quand il découvre le mouvement tournant de Masséna. Cette première victoire de Bonaparte (« Ma noblesse date de Montenotte » répondra-t-il à une question sur ses ancêtres) contient en germe les principes de la bataille napoléonienne : fixation de l’ennemi par une attaque frontale combinée avec un mouvement d’enveloppement menaçant sa ligne naturelle de retraite. Elle témoigne aussi de la capacité de Bonaparte à obtenir la supériorité numérique sur le point d’attaque par des mouvements coordonnés des différentes divisions. En l’occurrence, les 18 000 hommes de Laharpe et Masséna ont logiquement triomphé des 6 000 hommes d’Argenteau. La victoire de Montenotte donne aux Français la maîtrise de la position centrale de Carcare, qui contrôle les communications entre les deux armées coalisées, et leur permet de se retourner contre les 15 000 Sardes en profitant du repli autrichien. Bonaparte dispose des 7 000 hommes d’Augereau et des 12 500 de Sérurier qui menace Ceva à partir d’Ormea. Dans le même temps, Masséna doit poursuivre Argenteau en direction d’Acqui. Une réserve est placée à Carcare, quartier général de Bonaparte, afin d’être dirigée, si nécessaire, sur l’une des deux

ailes françaises. Tous les éléments de la manœuvre en position centrale sont ainsi réunis : Bonaparte occupe une position qui lui permet de porter son effort contre l’une des deux ailes ennemies, lesquelles sont incapables de se porter mutuellement secours. L’action contre les Sardes se heurte cependant le 13 avril à une forte résistance du corps de liaison de Provera établi à Cosseria, puis le 14 avril à une contre-offensive autrichienne sur Dego. Bonaparte est contraint d’intervenir avec Laharpe et Augereau pour reprendre la localité afin de verrouiller son flanc droit et ses communications vers Savone. La reprise de Dego et la

capitulation de Provera, le 14 avril, autorisent la concentration des divisions Augereau, Sérurier et Masséna contre les troupes sardes de Colli. Ce dernier doit évacuer successivement les positions de Ceva, La Bicocca et Mondovi les 16, 18 et 21 avril, sous la pression des attaques d’Augereau. Bonaparte débouche dans les plaines du Piémont et capture le 25 avril Alba qui sépare définitivement les deux armées coalisées. Il reçoit à Cherasco les plénipotentiaires sardes qui signent un armistice le 28 avril. Il n’a fallu que deux semaines au général en chef de l’armée d’Italie pour contourner les Alpes et s’installer dans la vallée du Pô. ■

Pour aller

+ loin

L’Éducation militaire de Napoléon, J. Colin, Teissèdre, 2001. Relire : Principes de la guerre de montagnes du Lt-Gal de Bourcet, C. Becker, Economica, 2008. Montenotte 1796, Vincent Gérard, VaeVictis n° 128, 2016.

La position de Bonaparte lui permet de porter son effort contre les ailes ennemies sans qu’elle puissent s’aider l’une l’autre.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 11

1796-1797- La 1re campagne d’Italie

LODI, UNE MANŒUVRE SUR LES ARRIÈRES QUI CRÉE LA LÉGENDE 10 mai 1796

L

’armistice de Cherasco garantit la sécurité des arrières de l’armée d’Italie et permet son renforcement. Bonaparte dispose maintenant de 40 000 hommes contre 25 000 Autrichiens. Ce rapport de forces favorable autorise une ambitieuse manœuvre sur les arrières visant la destruction de l’armée ennemie. Elle consiste à déborder l’un de ses flancs pour intercepter ses lignes de communications et l’obliger à reculer de façon précipitée et en ordre dispersé. Le repli de Beaulieu sur la rive gauche du Pô suppose, pour assurer le succès de la manœuvre, de régler préalablement la question déterminante du point de franchissement du fleuve (voir encadré ci-dessous). Bonaparte prévoit de déborder la gauche de l’armée autrichienne, le plus à l’est possible, en contournant les rivières qui descendent des Alpes et en coupant ses communications vers le premier centre logistique important de Mantoue.

L’arme de la diversion

Afin de surprendre Beaulieu, Bonaparte doit cependant limiter l’amplitude de sa manœuvre pour parvenir au point de passage en quelques marches. Il monte une opération de diversion suggérant l’imminence d’un passage en force du Pô à Valenza et effectue dans le même temps une rapide marche de flanc au sud du fleuve pour capturer Plaisance le 7 mai et constituer dans la foulée une tête de pont sur la rive gauche du Pô. Bonaparte se heurte à un détachement commandé par le général Liptay envoyé par

POUR FRANCHIR LES COURS D’EAU, TOUT LE MONDE EST SUR LE PONT La campagne d’Italie est marquée par de multiples combats pour le franchissement de cours d’eau. Le théâtre d’opérations de l’Italie du Nord est en effet structuré par le Pô et ses affluents qui constituent autant d’obstacles naturels impliquant des moyens adaptés de franchissement. Bonaparte, qui ne dispose pas d’équipages de ponts, organise ses manœuvres à partir des infrastructures existantes. Lors du franchissement 12 • Guerres & Histoire HS No 4

du Pô à Plaisance, le chef de bataillon Andréossy, directeur des ponts de Bonaparte, fait passer l’avant-garde sur des bateaux capturés, puis établit un pont volant permettant de faire passer 500 hommes toutes les heures. Pour accélérer le débit des troupes, Andréossy lance un deuxième pont flottant. Résultat : quand l’avantgarde autrichienne est au contact, la tête de pont française est assez forte pour la repousser.

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Beaulieu à Fombio qu’il repousse plus au nord, sur Codogno. Ce succès lui permet de faire franchir le Pô au reste de l’armée et force Beaulieu à abandonner le Milanais. Pour obtenir une victoire décisive, Bonaparte doit empêcher le passage de l’Adda par Beaulieu. Ce dernier, à la hauteur de sa réputation de sabreur, réagit rapidement à la manœuvre et bouscule l’avant-garde française dans la soirée du 8 mai. L’attaque menée tête baissée par le commandant autrichien va sauver son armée. Ce premier choc fait en effet craindre à Bonaparte d’être face à toute l’armée autrichienne avec seulement la moitié de ses forces. Il décide donc de reporter sa marche sur Lodi en attendant la concentration de toute son armée (Masséna et Sérurier sont encore sur la rive droite, respectivement à 35 et 90 kilomètres de Codogno). Le 10 mai, il peut reprendre son avance ; mais Beaulieu a profité de l’hésitation de Bonaparte pour franchir l’Adda et rétablir ses communications avec Mantoue. Les Français se retrouvent à Lodi face à l’arrière-garde autrichienne. Beaulieu a confié le soin au général Sebottendorf de défendre la localité et son pont pour recueillir les derniers éléments encore à l’ouest de l’Adda. Il dispose de 10 000 hommes renforcés par une quinzaine de pièces d’artillerie. L‘avant-garde française de Dallemagne parvient à s’emparer de la ville, mais son élan se brise sur le pont, qui enjambe l’Adda sur 135 mètres à la sortie nord-est. Bonaparte élabore son plan d’attaque sous les boulets et la mitraille ennemis. Il fait canonner l’artillerie autrichienne par une batterie d’une vingtaine de pièces et envoie le général

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Lodi 1796 L’armée autrichienne se replie vers le Tyrol, et Bonaparte prend conscience de son destin sous les acclamations de la foule milanaise. Beaumont avec un détachement de cavaliers pour trouver un gué en amont du fleuve et tomber sur le flanc droit des Autrichiens. Il n’a cependant pas la patience d’attendre le résultat de cette opération de débordement et rassemble un groupe de grenadiers pour les lancer sur le pont. Le feu de l’artillerie autrichienne les fait hésiter à mi-parcours, lorsque plusieurs soldats découvrent que la rive gauche est peu profonde et se laissent glisser sur les bancs de sable pour progresser dans l’eau jusqu’aux hanches. Ils abordent la rive opposée pour se déployer en tirailleurs et facilitent l’attaque de la colonne. Profitant de cette diversion pour franchir le reste du pont, la colonne culbute toute résistance et neutralise l’artillerie.

Karl Philipp Sebottendorf (17401818) est un général autrichien qui a servi durant la guerre de Succession de Bavière (1778-1779). Il est affecté à l’armée autrichienne d’Italie en 1796, où il dirige l’aile gauche de l’armée commandée par Beaulieu. Après Lodi, il est également engagé à Borghetto et Bassano.

Au même moment, entre en scène la cavalerie de Beaumont qui accélère la retraite de Sebottendorf à la nuit tombée. L’armée autrichienne se replie derrière le Mincio, puis vers le Tyrol à la suite de la reprise de l’offensive française, fin mai, après la signature de la paix avec le roi de Sardaigne. Entre-temps, l’armée française effectue le 15 mai une entrée triomphale dans Milan. C’est une des plus belles journées dans la vie de Bonaparte qui prend conscience de son destin sous les acclamations de la foule. L’accrochage secondaire de Lodi marque les contemporains et la postérité. Il correspond au « point de bascule » de la vie de Bonaparte, qui entre dans la légende. ■

Issu de l’école d’artillerie de Metz, Antoine-François Andréossy (17611828) prend part à la campagne de Hollande, en 1787, où il est fait prisonnier. Il est affecté à l’armée d’Italie en 1796, puis est fait général de brigade en 1798. Il écrivit un mémoire relatif aux projets de canaux de navigation en terrains accidentés.

Pour aller

+ loin

Napoléon Bonaparte, 1re campagne d’Italie, Jean Tranié et J.-C. Carmigniani, Pygmalion, 1990. Au pont de Lodi, R. Hidalgo, D. Marcolini, L. Nosworthy, No Turkey Valgame, 2009.

Né en Hongrie, Anton Liptay (ou Liphtay) de Kisfalud (1745-1800) s’engage dans l’armée autrichienne en 1788. Il est affecté à l’armée d’Italie en 1796 et participe aux combats de Montenotte, Fombio, Mantoue, Arcole ou encore Lodi. Blessé à de multiples reprises (Castiglione, Bassano), il l’est une dernière fois à Vérone en mars 1799, et succombe finalement quelques mois plus tard.

Guerres & Histoire HS No 4 • 13

1796-1797- La 1re campagne d’Italie

À CASTIGLIONE, LE TRIOMPHE DE LA POSITION CENTRALE 5 août 1796

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n juin 1796, la situation de Bonaparte est loin d’être assurée malgré ses récentes victoires contre Beaulieu. L’Autriche ne désarme pas et profite de la passivité française sur le front allemand pour reconstituer, sur le théâtre italien, une nouvelle armée placée sous les ordres du général Wurmser. Celui-ci dispose de 47 000 hommes pour délivrer Mantoue et reconquérir la Lombardie. En face, l’armée française comprend 40 000 hommes dont une partie doit être immobilisée pour investir la forteresse de Mantoue. Les Autrichiens peuvent attaquer les plaines italiennes par trois voies d’accès possibles. À l’ouest, la route de la Chiese qui présente l’avantage de déboucher à Brescia sur la ligne de communications française vers Milan. À l’est, la route de la vallée de la Brenta, qui aboutit dans les plaines de Vénétie, implique le contrôle rapide d’un passage sur l’Adige. Au centre, la vallée de l’Adige qui constitue la route la plus directe vers Mantoue mais aussi la plus attendue. Bonaparte a disposé ses troupes au sein d’un triangle défensif dont les trois sommets sont respectivement La Corona au nord, Legnago à l’est et Salo à l’ouest. Au centre de ce triangle, la division

ANTS COMMAND te ar ap Bon Wurmser EFFECTIFS es m 30 000 hom es m 25 000 hom PERTES es 1 500 homm es m m ho 0 3 00 E É R à 19 heures DU de 5 heures Une journée, NTEMENT la suite E L’AFFRO NATURE D chée par Bonaparte à er le ch ra re tion cent Bataille uvre en posi d’une manœ NEL N IO OPÉRAT RÉSULTAT ise entraînant le repli de ça Victoire fran rs le Tyrol ichienne ve l’armée autr POLITIQUE RÉSULTAT décisive n no Bataille

5 août 1796, matinée Général autrichien (1724-1797) d’origine strasbourgeoise, Dagobert Sigmund von Wurmser a initialement combattu dans les armées de Louis XV avant de se distinguer dans les armées autrichiennes, notamment lors de raids de cavalerie durant la guerre de Succession de Bavière et contre les Turcs. Il a exercé avec succès plusieurs commandements d’armée en Allemagne contre les armées françaises de la République. À 72 ans, il est nommé à la tête de l’armée d’Italie. 14 • Guerres & Histoire HS No 4

MASSÉNA AUGEREAU MARMONT VERDIER KILMAINE

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Redoute

CASTIGLIONE, L’ARCHÉTYPE DE LA BATAILLE NAPOLÉONIENNE La combinaison de feintes, de combats d’usure et d’attaques de rupture de la bataille de Castiglione a été érigée en modèle théorique de la « bataille napoléonienne avec attaque tournante ». Elle comprend généralement une phase de diversion et de combat de fixation pour inciter l’adversaire à engager ses forces sur une aile de la ligne de bataille, puis à le menacer sur une autre aile pour le pousser à engager ses réserves. Le moment décisif

Masséna, qui concentre les effectifs les plus importants, contrôle la vallée de l’Adige. Despinoy et Augereau interdisent le passage de l’Adige entre Vérone et Legnago. Sauret tient Salo et contrôle la rive ouest du lac de Garde. En deuxième ligne, Bonaparte tient à sa disposition la cavalerie et la réserve d’artillerie de Kilmaine établi à Valeggio. Enfin, la cité de Mantoue est assiégée par Sérurier. Bonaparte a optimisé la disposition de ses forces de façon à pouvoir aussi bien assiéger Mantoue que concentrer ses troupes en une journée de marche face à chacune des voies d’accès à la cité.

intervient avec l’engagement d’une masse de rupture, souvent interarmes soutenue par un assaut général de la ligne de façon à disloquer l’armée adverse. Cette dislocation doit être aggravée par une exploitation intensive menée par la cavalerie pour empêcher l’ennemi de retrouver son équilibre matériel et moral. L’enchaînement de ces phases suppose bien sûr un « coup d’œil » permettant un minutage précis sous peine de faire avorter la combinaison.

Déceler les forces de diversion

La principale difficulté liée au dispositif « d’attente stratégique » consiste à distinguer l’attaque principale des attaques secondaires lancées par l’adversaire. C’est en effet la condition préalable pour déterminer la zone de concentration des forces et évaluer les effectifs nécessaires pour contrer chacune des attaques. Or, les premières informations reçues sur les mouvements ennemis ne permettent pas de dissiper le « brouillard de la guerre ». Le 29 juillet, Masséna est repoussé de La Corona tandis que des unités autrichiennes sont signalées à l’est de Vérone. En fait, cette colonne est une simple force de diversion et une troisième colonne déloge Sauret de Salo pour capturer la ville de Brescia qui commande la ligne de communications vers Milan. Bonaparte concentre ses forces au sud-ouest du lac de Garde pour empêcher la jonction des deux principales colonnes autrichiennes qui descendent le long de l’Adige (Wurmser avec 24 000 hommes) et de la Chiese (Quasdanovich avec 18 000 hommes). Il démontre son sens de l’adaptation en levant le siège de Mantoue pour privilégier la destruction des forces adverses. L’abandon de tout le matériel de siège permet de renforcer la force de manœuvre avec les soldats de Sérurier et sert d’appât pour attirer Wurmser vers Mantoue. Dans le même temps, Bonaparte se porte contre Quasdanovich pour exécuter une magistrale manœuvre en

position centrale. Il neutralise tout d’abord Quasdanovich qu’il bat le 3 août à Lonato et force à se replier vers le Tyrol. Il se retourne le surlendemain contre Wurmser lors de la bataille de Castiglione, première grande bataille rangée dirigée par Bonaparte, qui est considérée comme l’archétype de la bataille napoléonienne (voir encadré ci-dessus). Bonaparte tente de piéger Wurmser en refusant son aile gauche, ce qui incite ce dernier à avancer son aile droite contre Masséna pour se porter sur Lonato afin de se lier à Quasdanovich, sans savoir que ce dernier est en pleine retraite. Dans le même temps, Bonaparte envoie la division Sérurier contre l’aile gauche autrichienne. Cette attaque est déclenchée trop précocement, avant la fixation des forces de Wurmser, ce qui lui permet de faire intervenir ses réserves contre la nouvelle menace. Bonaparte doit s’engager physiquement pour relancer ses troupes à l’assaut avant d’envoyer une masse de rupture de grenadiers appuyés par 18 canons contre la redoute du Monte Medolano, point d’ancrage de la ligne autrichienne avec l’aile gauche attaquée par Sérurier. C’est le signal d’une attaque générale de toute la ligne française qui ne parvient pas à disloquer l’armée de Wurmser mais l’oblige à se replier vers le Tyrol en abandonnant tous les acquis de la libération de Mantoue. ■

Pour aller

+ loin

La 1re Campagne d’Italie. La naissance d’un aigle, Gérard Bouan, Economica, 2011. Triumph & Glory, Richard H. Berg, GMT Games, 2000.

Cet affrontement est la première grande bataille rangée dirigée par Bonaparte, qui doit s’engager physiquement.

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5 août 1796, après-midi

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Guerres & Histoire HS No 4 • 15

1796-1797- La 1re campagne d’Italie

L’AUTRICHE DISPERSE SES FORCES À BASSANO ET POURSUIT SON REPLI 8 septembre 1796

M

algré la victoire de Castiglione, la situation des Français en Italie est encore précaire. Les États italiens qui avaient signé un armistice après Lodi se remobilisent aux côtés des coalisés dès l’annonce d’un retour offensif autrichien. Une guérilla de partisans, les barbets, se développe dans les Apennins et menace les communications françaises. Enfin, la garnison de la citadelle de Mantoue a été renforcée par Wurmser avant son repli vers le Tyrol. Elle comprend désormais 16 000 hommes qui empêchent toute offensive profonde de l’armée d’Italie en Autriche. Wurmser a conservé la confiance du conseil aulique et reconstitué son armée qui comprend 50 000 hommes tandis que Bonaparte rééquipe ses 46 000 hommes. Ce dernier reçoit instruction de Carnot de soutenir l’offensive des armées françaises d’Allemagne en pénétrant dans le Tyrol. Wurmser, qui a connaissance du projet d’offensive de l’armée d’Italie vers Innsbruck par le Trentin, conçoit un plan audacieux destiné à la piéger dans la vallée du haut Adige. Il compte sur le détachement du général Davidovitch pour l’attirer en reculant pas à pas vers Trente.

Poursuivre le poursuivant

Pendant ce temps, avec le gros de ses forces, il descendra vers la plaine lombarde par la vallée de la Brenta de façon à tomber sur les arrières de Bonaparte qui sera pris entre les deux armées autrichiennes. Mais Bonaparte a intégré dans ses plans cette hypothèse d’une offensive autrichienne par la Brenta. Il a préparé un contre-piège consistant à « poursuivre le poursuivant » qui sera écrasé contre la ligne défensive française sur l’Adige, appuyée sur les garnisons renforcées de Vérone et Legnago. Le commandement autrichien renouvelle les erreurs des offensives précédentes en divisant ses forces sans leur assurer de possibilité de soutien mutuel. Les succès de Bonaparte

Le conseil aulique de la guerre, ou Hofkriegsrat, est une institution qui a initialement vocation à se cantonner dans l’administration de la guerre (recrutement, armement et ravitaillement) mais qui a tendance à s’immiscer dans la conduite des opérations par le biais d’instructions aux commandants d’armée, souvent redondantes avec celles transmises par le Kaiser. 16 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND te ar ap Bon Wurmser EFFECTIFS es m 20 000 hom es 7 000 homm PERTES 400 hommes es 4 000 homm e E É n de journé R DU 7 heures à fi de e, né ur Une jo NTEMENT E L’AFFRO suite aparte à la NATURE D on B r sée pa Bataille impo re sur les arrières uv d’une manœ NEL PÉRATION trichien O RÉSULTAT ise entraînant le repli au ça an fr re oi ct Vi ul ue et le Frio vers Manto E U Q TI LI PO RÉSULTAT sive ci dé n no Bataille

reposent au contraire sur un calcul rigoureux des liaisons entre les différentes divisions de façon à pouvoir les concentrer rapidement en cas de contact avec l’ennemi. Ils reposent surtout sur un minutage précis des opérations qui suppose un service de renseignement efficace.

Une journée à 60 kilomètres

L’offensive contre Davidovitch ne doit pas être déclenchée trop rapidement de façon à éviter un retour des troupes de Wurmser, ce qui conduirait à l’encerclement des forces françaises. Il est nécessaire d’attendre que les deux armées autrichiennes soient suffisamment éloignées l’une de l’autre pour les battre en détail. Or, Bonaparte apprend que Wurmser doit quitter Davidovitch et entamer la descente de la vallée de la Brenta le 4 septembre. Le même jour, il bouscule Davidovitch à Rovereto et se porte avec 30 000 hommes sur Trente. Il fait occuper la ville pour éviter tout retour offensif de ce dernier puis se lance à la poursuite de Wurmser. Dans la journée du 6 septembre, les Français parcourent près de 60 kilomètres. Au petit matin du 7 septembre, Augereau force le défilé de Primolano défendu par l’arrière-garde de Wurmser. Les Autrichiens refluent vers Bassano, annonçant l’arrivée de Bonaparte. Wurmser, jusque-là persuadé que les Français se dirigeaient vers le Tyrol à la rencontre de Moreau, doit rappeler en catastrophe la division Mészáros, lancée en direction de Vérone, et mener un combat de retardement avec les unités qu’il a sous la main à Bassano. Il est surpris en flagrant délit

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7 septembre 1796

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Les succès de Bonaparte reposent sur un minutage précis des opérations et donc un service de renseignement efficace. de dispersion de ses forces. Électrisés par une harangue de Bonaparte, ses soldats balaient l’armée autrichienne qui est coupée en deux : une partie se retire à l’est vers le Frioul, l’autre partie se dirige avec Wurmser vers Mantoue. Bassano est une nouvelle illustration de la capacité de Bonaparte à concentrer sur le point d’attaque plus de forces que son adversaire. En l’occurrence, après avoir fait occuper Trente, il disposait de

20 000 hommes, alors que Wurmser, qui commandait initialement 25 000 soldats, s’est retrouvé avec 7 000 hommes et a été logiquement laminé par l’armée d’Italie. Il sauve les meubles en rejoignant Mészáros pour reconstituer une force de 14 000 hommes et déjouer la surveillance de Kilmaine sur l’Adige, qu’il franchit à Legnago avant de s’enfermer dans la citadelle de Mantoue. ■

Pour aller Les armées françaises d’Allemagne sont l’armée de Sambre-et-Meuse, commandée par Jourdan, qui démarre son offensive à partir des rives du Rhin entre Düsseldorf et Mayence pour aller en direction de Ratisbonne par Francfort et Wurtzbourg, et, plus au sud, l’armée de Rhin-et-Moselle, sous les ordres de Moreau, qui s’élance de Kehl et doit remonter la vallée du Neckar en direction du Danube.

Tandis que l’armée de Jourdan est battue par l’archiduc Charles à Wurtzbourg le 3 septembre 1796, le général Victor Moreau (1763-1813) continue son avance et arrive sur le Lech fin août avant de se replier vers le Rhin à la mi-septembre. Cette retraite consacre l’échec du plan de Carnot qui prévoyait un effort principal sur le théâtre allemand.

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+ loin

1 Campagne d’Italie, BassanoArcole-Rivoli, Michel Molières, Gloire et Empire no 18, mai-juin 2008..

Guerres & Histoire HS No 4 • 17

1796-1797- La 1re campagne d’Italie

ARCOLE, LA VICTOIRE DE LA DÉTERMINATION Du 15 au 17 novembre 1796

A

près la victoire de Bassano, Bonaparte resserre son emprise sur la forteresse de Mantoue de façon à réduire à 6 000 hommes les effectifs affectés au siège. Le conseil aulique autrichien accélère les préparatifs pour monter une nouvelle tentative de libération de Mantoue. Il retombe cependant dans les errements précédents en divisant la force de manœuvre en deux masses séparées : une force principale basée dans le Frioul et composée de 28 000 hommes sous les ordres d’Alvinczy ; une force secondaire de 10 000 hommes dans le Tyrol sous les ordres de Davidovitch. Bonaparte conserve le dispositif de défense qui lui a réussi et qui combine avant-postes et forces de réserve prêtes à venir rapidement en soutien. Il espère encore une fois jouer de sa position centrale pour compenser son infériorité numérique. Son objectif est de concentrer le maximum de troupes face à la colonne autrichienne la plus agressive tout en retardant l’avance de l’autre colonne et en espérant que Wurmser ne tentera aucune sortie de Mantoue.

Les Français à la peine…

Sur le papier, la situation n’a jamais été aussi déséquilibrée au détriment des Français avec 40 000 soldats contre près de 70 000 Autrichiens (comprenant 46 000 soldats sous les ordres d’Alvinczy et 23 000 enfermés dans Mantoue). Or, les premières nouvelles sont mauvaises : Augereau et Masséna sont repoussés à Bassano et Fontaniva par Alvinczy, tandis que Vaubois doit abandonner Trente à Davidovitch. Les Autrichiens ont atteint leur premier objectif en reprenant le contrôle de la vallée de la Brenta qui assure une liaison latérale entre les deux composantes de l’offensive contre Mantoue. Bonaparte décide de se replier sur l’Adige pour opérer en position centrale contre les deux colonnes ennemies. Il est suivi de près par Alvinczy qui se porte sur Vérone pour se lier à Davidovitch. Le commandant autrichien franchit l’Alpone

Général autrichien (1735-1810) d’origine hongroise, Josef Alvinczy von Borberek s’est distingué durant la guerre de Sept Ans et contre les Turcs. Il contribue à la victoire de Neerwinden en 1793. Avec Wurmser, il succède en 1796 à Beaulieu à la tête de l’armée d’Italie, mais il est lui aussi battu par Bonaparte, à Arcole puis Rivoli.

18 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND te ar ap Bon Alvinczy EFFECTIFS es m 17 000 hom es m 20 000 hom PERTES es 4 500 homm es m m ho 0 7 00 jours s oi Tr E É R DU NTEMENT E L’AFFRO suite aparte à la NATURE D on B r pa e sé po im s lle Batai arrière uvre sur les d’une manœ NEL N IO AT trichien OPÉR RÉSULTAT ise entraînant le repli au ça an Victoire fr POLITIQUE RÉSULTAT décisive Bataille non

à Villanova avec 17 000 hommes. Bonaparte tente de bloquer la progression autrichienne en attaquant le 12 novembre à Caldiero, mais il est repoussé après avoir perdu plus de 2000 hommes. La situation française devient critique face aux deux mâchoires de la tenaille autrichienne qui se rapprochent de Vérone.

...les Autrichiens dans la nasse

Ayant échoué à manœuvrer en position centrale, Bonaparte décide de profiter de la topographie des lieux pour attaquer les arrières d’Alvinczy. Ce dernier s’est en effet engagé dans une nasse formée par les monts Lessini au nord, l’Adige au sud et dont les deux côtés se resserrent progressivement jusqu’à Vérone qui ferme l’issue ouest. Bonaparte opère une marche de flanc à l’abri de l’Adige pour boucler l’entrée de la nasse formée par la ligne Villanova-Arcole qui suit la rivière Alpone. Comme pour l’Adda lors de la manœuvre de Lodi, l’Alpone doit jouer le rôle de barrière topographique en permettant de couper les communications adverses par la capture du pont de Villanova. Dans la nuit du 14 au 15 novembre 1796, il fait construire un pont de bateaux à Ronco et fait traverser l’Adige à ses troupes. Au petit matin du 15, la division Masséna capture Porcile pour sécuriser le flanc gauche de l’offensive française pendant qu’Augereau se porte sur Arcole. La belle mécanique napoléonienne va alors s’enrayer. Le village d’Arcole est en effet défendu par un détachement de 2 000 hommes chargés de protéger l’aile gauche d’Alvinczy, et son accès n’est possible que par une digue enjambant les fondrières qui séparent dans cette zone l’Adige de l’Alpone. Les assauts français canalisés

par la digue se brisent sur le tir nourri des fantassins autrichiens, soutenus par plusieurs pièces d’artillerie. Dans le même temps, Alvinczy se replie sur Villanova et envoie des renforts sur Arcole. Bonaparte tente de forcer le destin en se jetant dans la mêlée. Il se lance à la tête de ses troupes en direction du pont mais le feu ennemi s’intensifie et son aide de camp Muiron est tué en le protégeant de son corps. Bonaparte s’en tire par un bain forcé dans les marais de l’Alpone. Son plan aussi est à l’eau, l’effet de surprise est manqué et les attaques sont repoussées. Bonaparte décide néanmoins de renouveler son attaque le 16 novembre mais sans plus de succès. Cette fois, les Autrichiens ont commis l’erreur de quitter leurs positions défensives pour

contre-attaquer sur la digue en s’exposant à de lourdes pertes. La bataille d’usure commence à tourner à l’avantage des Français et ébranle la confiance d’Alvinczy. Masséna en profite le 17 novembre pour s’emparer d’Arcole tandis qu’Augereau traverse l’Alpone plus en aval à Albaredo, épaulé par un détachement qui doit prendre les Autrichiens à revers en passant par Legnago. Cette manœuvre achève de démoraliser Alvinczy qui ordonne une retraite générale en direction de Vicence puis par la vallée de la Brenta. Le pari de renouveler trois jours de suite des attaques contre de fortes positions défensives a finalement payé. Il démontre la détermination de Bonaparte qui ne s’est pas laissé entamer par la défaite de Caldiero et a élaboré des contre-mesures adaptées. ■

Pour aller

+ loin

Les Trois Journées d’Arcole, Jean-Marc Delpérié, Vae-Victis n°127, mai-juin 2016. Arcole 1796, Frédéric Bey, VaeVictis, collection Jeux d’Histoire, 2016.

La belle mécanique napoléonienne s’enraye : les assauts français se brisent sur le tir nourri des Autrichiens.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 19

1796-1797- La 1re campagne d’Italie

À RIVOLI, BONAPARTE PREND L’AVANTAGE GRÂCE AU TERRAIN 14 janvier 1797

A

près la difficile victoire d’Arcole, Bonaparte ne dispose toujours pas d’effectifs suffisants pour entamer une offensive au cœur de l’Autriche et conserve sa position défensive. Dans les deux camps, les effectifs s’équilibrent et s’élèvent à 45 000 hommes. Cette fois, ce sont les avant-postes d’Augereau près de Legnago qui sont attaqués le 8 janvier 1797, mais Bonaparte refuse de foncer tête baissée sur les premières colonnes ennemies repérées. Bien lui en prend car dès le 13 janvier, le voile se déchire sur la nouvelle offensive d’Alvinczy. Ce dernier répète les erreurs des offensives précédentes en divisant inutilement ses forces. Cette tactique, qui devrait permettre de tromper Bonaparte par des offensives de diversion, se heurte au réseau de renseignement français et au système de communications par estafette de l’armée d’Italie qui informent Bonaparte en quelques heures.

ANTS COMMAND te ar ap Bon Alvinczy EFFECTIFS es m 20 000 hom es m 28 000 hom PERTES es 5 000 homm es m m ho 0 14 00 DURÉE à 17 heures De 5 heures NTEMENT arte E L’AFFRO NATURE D ive préparée par Bonap ns Bataille défe NNEL trichien OPÉRATIO RÉSULTAT ise entraînant le repli au ue to ça an an Victoire fr lation de M l et la capitu vers le Tyro E POLITIQU RÉSULTAT décisive n no lle ai Bat

Un terrain propice à la défense

Ainsi, Joubert, placé en avant-poste à Rivoli, l’avertit qu’il a été repoussé par des forces autrichiennes en large supériorité numérique. Estimant les forces autrichiennes sur l’Adige à 15 000 hommes, Bonaparte en déduit que l’effort principal d’Alvinczy porte sur Joubert. Il déclenche immédiatement la concentration de ses forces sur Rivoli pour réunir 23 000 hommes face aux 28 000 Autrichiens. L’adversaire est en supériorité numérique mais cette supériorité est compensée par la topographie de Rivoli qui se prête parfaitement à la défensive (voir encadré ci-dessous). Le plateau de Rivoli, entouré par les hauteurs de Trombalora, est en effet

RIVOLI, LE MODÈLE DE LA BATAILLE DÉROGATOIRE EN POSITION CENTRALE Quand Napoléon doit combattre en état d’infériorité numérique, il met en œuvre un système de bataille dérogatoire au modèle archétypique de la bataille de Castiglione. À l’instar de la manœuvre en position centrale qui se situe à l’échelon stratégique, la bataille en position centrale, qui relève du champ tactique, répond au même souci : compenser l’infériorité numérique par l’utilisation des lignes 20 • Guerres & Histoire HS No 4

intérieures. Celle-ci doit permettre de contenir les attaques ennemies tout en concentrant le gros des forces face à l’attaque principale adverse. La bataille sur position centrale implique un terrain adapté à la défense comprenant des obstacles topographiques, comme celui de Rivoli, ou bien des fortifications qui permettent de compartimenter le champ de bataille pour faciliter cette concentration des forces.

facilement accessible pour des colonnes de toutes armes venant du sud et utilisant la route de Vérone, comme c’est le cas des forces françaises. En revanche, un accès par le nord, autrement dit la route suivie par les Autrichiens, est beaucoup plus difficile. Seuls deux sentiers, impraticables pour l’artillerie, permettent de franchir le Monte Baldo et le Monte Magnone situés au nord des hauteurs de Trombalora. Alvinczy est donc obligé d’acheminer son artillerie et sa cavalerie par les routes longeant chaque berge de l’Adige, et plus spécialement par la route bordant la rive droite, qui passe par San Marco avant d’aboutir au plateau de Rivoli. Le village de San Marco apparaît donc comme le point clé que les Français doivent tenir à tout prix pour empêcher la réunion de l’artillerie et de la cavalerie autrichiennes avec l’infanterie d’Alvinczy. Dès son arrivée, vers 2 heures du matin, Bonaparte ordonne l’occupation du village. De son côté, Alvinczy facilite la tâche des Français en élaborant un plan complexe qui repose sur l’attaque convergente de pas moins de six colonnes différentes. L’attaque principale doit être portée par les 3 colonnes du centre, arrivant par le nord du plateau et respectivement commandées par les généraux Liptay, Köblös et Ocksay. L’artillerie et la cavalerie transiteront sous les ordres de Quasdanovich par la route située entre l’Adige et le Monte Magnone et chercheront à rejoindre le gros de l’infanterie autrichienne après avoir balayé le village de San Marco. Enfin, les deux dernières colonnes seront chargées de prendre de flanc la ligne de défense française : à l’ouest, Lusignan progressera le long du Tasso, tandis qu’à l’est Wukassovitch suivra la route qui mène à Vérone. Bonaparte a bien vu qu’il doit concentrer ses forces

dans le secteur le plus favorable au déploiement des troupes autrichiennes qui va de San Marco à Caprino. Aux premières lueurs de la journée du 14 janvier, il ordonne à Joubert de contrecarrer le libre déploiement de la principale force autrichienne en réoccupant les approches septentrionales du plateau de Rivoli. Après un succès initial, l’offensive française est arrêtée et se transforme en débandade. Bonaparte doit rétablir la situation en envoyant en renfort les avant-gardes de Masséna qui viennent d’arriver de Vérone après une épuisante marche de nuit. La situation sur la gauche française est stabilisée, mais le danger se précise sur la droite, avec la mise en batterie par Wukassovitch de plusieurs pièces d’artillerie face aux gorges d’Osteria. Au même moment, la tête de colonne de Quasdanovich s’empare de San Marco et prend pied sur le plateau. Enfin, l’extrême gauche française est menacée par

l’arrivée de la colonne de Lusignan. Après une longue manœuvre de contournement, il surgit sur le côté ouest du plateau de Rivoli, menaçant de couper la ligne de retraite française. C’est le moment critique de la bataille. Bonaparte analyse froidement la situation et considère que le centre autrichien est épuisé par les efforts fournis. Il déclenche une violente préparation d’artillerie contre San Marco et repousse Quasdanovich avant de mettre en déroute les troupes de Köblös et Liptay. Il envoie Masséna et Rey, tout juste arrivé sur le champ de bataille, contre Lusignan dont la colonne est totalement mise hors de combat. La retraite de l’armée autrichienne se transforme dès le lendemain en débâcle. L’épilogue de la quatrième offensive autrichienne avortée se termine le 2 février 1797 par la reddition de Mantoue qui permet à Bonaparte de rassembler toutes ses troupes pour l’ultime offensive vers Vienne. ■

Pour aller

+ loin

Les Guerres de la Révolution (17921797), Antoine de Jomini, Hachette, 1998. Premières Gloires, Frédéric Bey, VaeVictis, collection Jeux d’Histoire, 2017.

Alvinczy élabore un plan complexe qui repose sur l’attaque convergente de pas moins de six colonnes différentes.

Guerres & Histoire HS No 4 • 21

22 • Guerres & Histoire HS No 4

Le 6 juillet 1798, la traversée du désert menant Bonaparte vers les Pyramides et les mamelouks est épuisante. Tous vont à pied, sauf les malades.

LA CAMPAGNE

D’ÉGYPTE ●●●

1798 - 1799

L’objectif de la campagne est d’attaquer l’Angleterre sur la route terrestre des Indes ; mais elle résulte surtout d’un double calcul. Bonaparte veut construire son destin, tandis que le Directoire cherche à éloigner un général qui commence à l’inquiéter. Guerres & Histoire HS No 4 • 23

1798 - 1799 - La campagne d’Egypte

UNE SÉRIE DE VICTOIRES SANS RÉSULTATS

E PAR

FRÉDÉRIC BEY

Né durant le premier septennat du général de Gaulle, Frédéric Bey est un concepteur de jeux d’histoire, consacrés aux grandes batailles de l’Antiquité, du Moyen Âge et du Premier Empire, qui ont fait les beaux jours des magazines Casus Belli et VaeVictis. Il est également l’auteur de plusieurs livres et de très nombreux articles sur les mêmes sujets.

n paix avec l’Autriche depuis la signature du traité de Campoformio (voir p. 9), la France du Directoire a sur les bras un jeune général, aussi brillant qu’ambitieux, et un « ennemi héréditaire » hors de portée, protégé qu’il est par la Manche et la Royal Navy. Reçu triomphalement à Paris à son retour d’Italie, nommé commandant de l’armée d’Angleterre, Bonaparte décline rapidement « l’honneur périlleux » de diriger une « descente » outre-Manche, opération jugée par trop hasardeuse sans maîtrise de la mer. Il préfère relancer une proposition déjà formulée en août 1797 : s’emparer de l’Égypte, étape sur la route des Indes, pour abattre la puissance anglaise. Le projet, bientôt enrichi d’une attaque surprise sur Malte, finit par obtenir l’agrément du Directoire, notamment grâce à l’appui de Talleyrand, alors ministre des Relations extérieures. Bonaparte veut soigner son image en marchant sur les traces d’Alexandre le Grand et de César, et le Directoire est ravi de le voir s’éloigner de Paris pour longtemps. Tout réussit à Bonaparte au cours de la première phase de son expédition orientale. Avec une escadre de 13 vaisseaux de ligne, une armada de navires de transport et une armée de 30 000 hommes, il quitte Toulon le 19 mai 1798, sans révéler sa destination. Premier coup de chance, l’escadre anglaise de surveillance commandée par Nelson vient d’être dispersée par un violent mistral et lui laisse le champ libre. Le convoi arrive devant Malte le 9 juin et les Français s’emparent de l’île avec une facilité déconcertante. L’armada reprend la mer le 17 juin et arrive en vue d’Alexandrie le 1er juillet. Nelson, qui sillonne désespérément la Méditerranée à la recherche des Français, vient de

Le chef Mourad Bey (v. 17501801) est, avec son allié mamelouk Ibrahim, à la tête de l’Égypte — sous domination turque — depuis 1791. Il combat à plusieurs reprises l’armée de Bonaparte avant de cesser les hostilités et de s’allier aux Français, mais meurt peu avant la capitulation de Belliard au Caire.

24 • Guerres & Histoire HS No 4

quitter l’Égypte depuis deux jours seulement. Le débarquement s’opère près de l’anse du Marabout, à une douzaine de kilomètres d’Alexandrie, où Bonaparte s’engouffre le 2 juillet avec une avant-garde de moins de 5 000 hommes. L’Égypte est alors dirigée par les mamelouks, une caste de guerriers au mode de gouvernement semi-féodal, tout en faisant théoriquement partie de l’Empire ottoman que Bonaparte veut ménager. La première grande bataille a lieu le 21 juillet lorsque l’armée française rencontre près des pyramides de Gizeh, sur la route du Caire, les troupes de Mourad Bey. La cavalerie mamelouk, impuissante face aux carrés français, est balayée. Mourad Bey se replie vers le sud. Ibrahim Bey, chargé de la défense du Caire, s’enfuit vers la Syrie. Bonaparte peut établir son quartier général au Caire dès le 24 juillet, d’où il va désormais organiser la conquête de la Haute-Égypte.

Prisonnier de sa conquête

En moins d’un mois, le pays est conquis. Mais Nelson fait à nouveau parler de lui lorsqu’il découvre les 13 vaisseaux et 4 frégates de l’escadre française de l’amiral Brueys à l’ancre, dans la rade d’Aboukir. Il passe immédiatement à l’attaque le 1er août, capturant ou détruisant 13 navires français. Bonaparte, selon une formule passée à la postérité, est désormais « prisonnier de sa conquête ». Maître des grandes villes et du Delta, depuis la bataille des Pyramides, et maître de la vallée du Nil jusqu’aux Cataractes, grâce à la campagne menée par Desaix, Bonaparte apprend au cours de l’hiver de 1798 à 1799 l’entrée en guerre de l’Empire ottoman. Le plan de la Porte consiste à concentrer une première

Ibrahim Bey (1735-1817) est l’allié de Mourad Bey à la tête de l’Égypte lorsque débute la campagne de Bonaparte. Mais il n’intervient pas durant la bataille des Pyramides et se replie. Ayant progressivement perdu toute influence, il se réfugie en Syrie puis au Soudan.

La Porte, ou Sublime Porte, désigne, en langage diplomatique, l’Empire ottoman. Le terme vient de la porte d’honneur monumentale permettant d’entrer dans Constantinople.

Mer

St- Jean d’A cre 19/03 au 21/04/99 H aïfa 18/03/99 C ésarée

Méditerranée Victoire navale anglaise à Aboukir 1er août 1798

J affa

N aplouse

G aza

25 février 1799

Damiette

K LÉBER

D UGUA

Alexandrie 2 juillet 1798

16 avril 1799

Jérusalem

V IAL 11 juillet 1798

Rosette

Aboukir

N azareth

El-Arich

Chebreiss

Salahieh

13 juillet 1798

11 août 1799

Bilbéis

BASSEÉGYPTE

L ANNES D UGUA

B ONAPARTE

Pyramides de Gizeh

Le Caire

DE

C AMPAGNE S YRIE - 1799

IBRAHIM B EY se réfugie en Palestine

Suez

21 juillet 1798

Repli de Mourad Bey Fayoum

M OURAD B EY Sediman 7 oct. 1798

D ESAIX 25/08/1798

PÉNINSULE DU SINAÏ

Beni Suef

Bonaparte veut soigner son image en marchant sur les traces d’Alexandre, et le Directoire est ravi de le voir loin de Paris. armée à Rhodes et l’autre en Syrie, dans le cadre d’une double offensive prévue pour le printemps 1799. Bonaparte cherche alors à prendre de vitesse ses adversaires en marchant dès le 6 février sur la Syrie avec 13 000 hommes, laissant 16 000 hommes garder l’Égypte. Son objectif est de détruire les forces en train de se concentrer à Saint-Jean-d’Acre et à Damas, puis de revenir en Égypte affronter l’armée ottomane de Rhodes qui doit y débarquer. Avec sa rapidité habituelle, Bonaparte s’empare d’El-Arich le 20 février, de Gaza le 25, de Jaffa le 7 mars et parvient sous les murs de Saint-Jean-d’Acre le 18 mars. Tout en ouvrant la tranchée du siège d’Acre, Bonaparte, avec un détachement de 4 000 hommes seulement, parvient le 16 avril à vaincre — à 1 contre 6 — l’armée d’Abdallah Pacha au MontThabor. Mais le siège de Saint-Jean-d’Acre, place entourée par la mer sur 3 côtés et soutenue par une escadre anglaise, s’éternise. Le 20 mai, apprenant le débarquement imminent des Ottomans en Égypte, Bonaparte abandonne le siège pour se précipiter vers Le Caire. En concentrant rapidement 10 000 hommes sur le point de débarquement des Turcs, à Aboukir, Bonaparte les rejette à la mer avec fracas le 25 juillet 1799, sauvant pour un temps l’Égypte française. Apprenant les défaites françaises en Allemagne et en Italie et inquiet pour son avenir, Bonaparte décide alors de regagner la France. Il s’embarque le 22 août 1799 sur une frégate rapide, laissant l’Égypte à Kléber. Ce dernier infl ige de nouvelles défaites aux Turcs, notamment à Héliopolis le 20 mars

1800. Kléber, qui tient solidement l’Égypte, est assassiné au Caire le 20 juin 1800. Le commandement passe alors au médiocre général Menou qui est vaincu à Canope par le petit corps expéditionnaire anglais d’Abercromby le 21 mars 1801. L’armée française est alors rapatriée en France avec les honneurs de la guerre par des navires anglais qui récupèrent également Malte. Les campagnes d’Égypte et de Syrie, malgré de brillantes victoires, se soldent par un échec militaire cuisant. Bonaparte a été confronté, notamment en Syrie, à des écueils annonciateurs de ceux qui seront les siens tout au long de sa carrière : la puissance navale anglaise et la profondeur stratégique des vieux empires, comme celui des Ottomans, pourtant en crise profonde. ■

Pour aller

+ loin

Bonaparte. La campagne d’Egypte, J. Tranié et J.-C. Carmigniani, Pygmalion, 1997. Le sultan de feu, Lionel Liron, Les Jeux du Griffon, 2014. Guerres & Histoire HS No 4 • 25

1798 - 1799 - La campagne d’Egypte

AUX PYRAMIDES, BONAPARTE S’OUVRE LA ROUTE DU CAIRE Le 21 juillet 1798

A

près son débarquement à Aboukir et la prise d’Alexandrie le 2 juillet, Bonaparte marche directement vers Le Caire et cherche à vaincre l’armée principale des mamelouks. Ces derniers ont décidé de livrer une bataille décisive contre les envahisseurs français aux abords de leur capitale. « L’opposition de style » entre l’armée française et celle des mamelouks a déjà éclaté au grand jour à Chebreiss, le 13 juillet, lors de leur première rencontre. Ce jour-là, Bonaparte a rapidement compris qu’il lui fallait former son infanterie en carré et organiser rigoureusement les salves de ses soldats et de ses artilleurs pour repousser les charges effectuées au galop par les cavaliers mamelouks et leur infliger de lourdes pertes.

ANTS COMMAND te ar ap Bon Mourad Bey EFFECTIFS is ça 20 000 Fran ouks el am m 0 00 23 s et 250 blessé PERTES ise : 30 tués mmes hors de ça an fr ée ho Arm cha : 20 000 Armée du pa blessé ou prisonniers) , és (tu combat DURÉE rnée Une demi-jou TEMENT L’AFFRON ux camps E D de NATURE s ptée par le Bataille acce NEL N OPÉRATIO RÉSULTAT ise, chute du Caire et ça Victoire fran la Basse-Égypte r mainmise su OLITIQUE gypte ; P AT LT U RÉS l’É t maître de es te Bonapar mamelouk ée rm l’a de élimination

Mourad à gauche, Ibra à droite

C’est Mourad Bey qui organise la défense du Caire. Il dispose au total d’environ 35 000 hommes. Les Français arrivant par la rive gauche du Nil, Mourad Bey décide de s’y établir en force avec 8 000 mamelouks et 15 000 fantassins. Ibrahim Bey est installé sur la rive droite du fleuve avec la réserve. L’aile droite de Mourad Bey est solidement ancrée au Nil : l’infanterie a pris position dans le village d’Embabeh qui a été entouré d’une tranchée garnie de 30 canons sur affûts fixes. Les cavaliers mamelouks couvrent la plaine entre Embabeh et les pyramides, 2 000 d’entre eux restant en réserve en soutien d’Embabeh. Si la volonté de Mourad Bey de livrer bataille est évidente, Ibrahim Bey ne témoigne pas de la même envie d’en découdre et se contente de couvrir Le Caire. L’armée de Bonaparte qui débouche face au camp de Mourad Bey est forte de 17 000 fantassins, répartis en 5 divisions, 3 000 cavaliers et 42 canons. Comme à Chebreiss, Bonaparte ordonne

Le 13 juillet 1798, à Chebreiss, sur la rive gauche du Nil, Bonaparte remporte son premier succès face à la cavalerie de Mourad Bey. Les mamelouks échouent devant la formation en carrés d’infanterie adoptée par l’armée française, une tactique que le général en chef va réemployer par la suite.

26 • Guerres & Histoire HS No 4

de former l’armée en carrés, un par division. Le dispositif tactique prescrit par Bonaparte est le suivant : une demi-brigade est déployée sur le côté du carré qui fait face à l’ennemi et une autre sur le côté opposé ; la troisième demi-brigade de chaque division est partagée entre les deux autres côtés du carré ; cavalerie, équipages et état-major sont au centre de chaque carré ; les fantassins sont déployés debout sur trois rangs tirant à tour de rôle (face aux mamelouks il a été jugé trop dangereux de déployer les hommes du premier rang à genoux) ; l’artillerie, lorsqu’elle entre en action, s’avance en avant de chaque angle du carré, sous la protection des compagnies d’élite de l’infanterie. Les carrés sont mobiles et ne s’arrêtent que face à un assaut. Des colonnes d’attaque peuvent sortir des carrés où s’y replier en fonction des circonstances. En ce 21 juillet, les 5 carrés de division sont déployés, de la droite, le côté des pyramides, vers la gauche, le côté du Nil, de la façon suivante : Desaix, Reynier, Dugua, Vial et Bon. Le champ de bataille est plat et parsemé de palmeraies qui peuvent à la fois gêner les Français dans leur déploiement en carré et les mamelouks dans leurs charges. Les deux armées recherchent la bataille. Mourad Bey compte sur la redoute d’Embabeh pour appuyer les charges de ses mamelouks. Bonaparte, installé au centre du carré de Dugua, lui-même au centre de l’armée, repère à la longue-vue le dispositif adverse. Il remarque rapidement que les canons d’Embabeh ne pourront

Pyramides

Menchat Bakary Nehya

Birket el Khyam

Fuite de M OURAD B EY vers la Haute-Égypte

3 et 4 Attaque de la cavalerie de Mourad Bey 15h00

Geyneneh Saft el Leben

D ESAIX

Kem El Ahmar

El Ma'tamdyeh

R EYNIER D UGUA V IAL B ON

Bechtil Kafr Tahermès Position après la Bataille

Myt Oqbeh

XX

XX Gyseh

XX

D UGUA Dakrour

1 V IAL 4

Ile de Boulac

eh

2 BON

1 et 2 Attaque du camp par Bon et Vial, 15h00 L E NIL

Boulac Le Caire

K. Ouaraq el hader

Embabeh

Ile de Raoudah

Vieux Caire

Geziret

D UGUA

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M OURAD B EY

Damanhour Choubra

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Fuite D'I BRAHIM B EY vers la Syrie

La discipline des Français et la puissance de leurs tirs ne laisse aucune chance aux cavaliers mamelouks de Mourad. pas appuyer l’aile gauche de l’armée de Mourad Bey, trop éloignée de la redoute. C’est donc de ce côté qu’il envisage de pousser son offensive, pour se retourner ensuite sur Embabeh. Mourad Bey prend l’initiative d’ouvrir les combats vers 15 h 30 en lançant 6 000 cavaliers mamelouks à l’attaque, espérant ainsi atteindre les Français avant que la formation de leurs carrés ne soit achevée. C’est la division Desaix qui achève la dernière son déploiement en carré, au sortir d’une palmeraie. Les soldats de Desaix sont néanmoins totalement prêts lorsque les mamelouks les assaillent. Les premières salves et les tirs à la mitraille des canons font un ravage chez les mamelouks, dont la charge est stoppée nette. Les cavaliers ont beau tournoyer autour des carrés, à la recherche d’une faille, se replier pour mieux revenir à l’assaut avec leurs sabres, la discipline des Français et la puissance de leurs tirs ne leur laisse aucune chance. Refoulés par les carrés de l’aile droite française, les cavaliers mamelouks se dirigent ensuite sans plus de succès à l’attaque des carrés de l’aile gauche, s’exposant par là même aux tirs du carré de la division de Dugua qui avance opportunément sur leurs arrières et les met en déroute.

Fébrilité en défense égyptienne

Bonaparte observe que les échecs répétés des charges des mamelouks provoquent une inquiétude visible parmi les défenseurs d’Embabeh. Il confie alors aux deux divisions de son aile

gauche, Vial et Bon, la mission de s’emparer du village. Les colonnes d’assaut qui sortent des carrés sont confiées à Rampon et à Marmont. Mourad Bey réagit en envoyant les 2 000 mamelouks placés en soutien d’Embabeh, renforcés par ceux qui viennent de refluer derrière la redoute, charger les assaillants. Rampon et Marmont forment immédiatement leurs hommes en carré : trois fois de suite, les charges de mamelouks se brisent sur les formations défensives des Français. Ces nouveaux échecs sanglants provoquent la fuite définitive des survivants. L’infanterie d’Embabeh tente alors une sortie désespérée, afin de ne pas être coupée des débris de la cavalerie de Mourad Bey qui se tiennent encore dans la plaine. Les fantassins égyptiens sont pris de flanc sous le feu des Français et se dispersent dans une déroute des plus complètes. Dans la foulée, les troupes de Bonaparte s’emparent de la redoute. Mourad Bey, blessé, a déjà pris la fuite avec les 3 000 cavaliers qui lui restent. Sur l’autre rive du Nil, Ibrahim Bey est resté passif, se contentant de recueillir les fuyards qui ont traversé le Nil à la nage ou en chaloupe, avant de prendre la fuite vers la Syrie. La bataille des Pyramides s’achève sur une victoire décisive de Bonaparte qui n’a perdu qu’une trentaine de tués et 250 blessés alors que 20 000 hommes de l’armée ennemie sont hors de combat. Le fruit de cette victoire s’appelle Le Caire, capitale égyptienne qui va ouvrir ses portes à Bonaparte dans les jours qui suivent. ■

Pour aller

+ loin

L’Expédition d’Egypte. Le rêve oriental de Bonaparte, L. Murat et N. Weill, Gallimard, 1998. Les Pyramides 1798, Frédéric Bey, VaeVictis n° 23, 1998.

Guerres & Histoire HS No 4 • 27

1798 - 1799 - La campagne d’Egypte

LES DAMASQUINS EN ÉCHEC DEVANT LE MONT THABOR Le 16 avril 1799

L

a bataille du Mont-Thabor ne peut être comprise que dans la perspective du siège de la place de SaintJean-d’Acre, où se sont réfugiés Djezzar Pacha et son armée et sous les murs de laquelle Bonaparte et son armée sont arrivés le 18 mars 1799. Privé de son train de siège, capturé en mer pendant son transport par l’escadre anglaise du commodore Sidney Smith, Bonaparte s’engage dans un siège très difficile dont il confie les travaux au général Caffarelli. La défense de la ville est dirigée par Phélippeaux, un émigré, ancien condisciple de Bonaparte à l’École d’artillerie de Paris, débarqué dans la place avec une centaine d’officiers et de canonniers anglais le 5 avril. Mais bientôt, les chrétiens de Damas informent Bonaparte qu’une grande armée turque d’au moins 30 000 hommes marche au secours d’Acre. Bonaparte envoie la division Kléber précédée par des reconnaissances de cavalerie dirigées par Murat et Junot, pour évaluer la situation.

L’armée panachée du pacha

L’armée d’Abdallah, le pacha de Damas, comprend des mamelouks, commandés par Ibrahim Bey, des janissaires, des Arabes, des Naplousiens et des Samaritains. Elle est composée aux deux tiers par de la cavalerie. Son objectif est de venir briser le siège d’Acre. De son côté Bonaparte a emmené 13 000 hommes avec lui en Syrie. Début avril, il déplore déjà la perte de 1 000 hommes tués ou blessés, de 1 000 autres malades et a laissé 2 000 hommes tenir garnison à Qatiya, El-Arich, Gaza et Jaffa. Les opérations de siège mobilisant 5 000 hommes, il ne lui en reste que 4 000 pour agir directement contre Abdallah. Il apprend que celui-ci a pu traverser le Jourdain au pont de Jacob le 7 avril et que le détachement confié à Junot (160 cavaliers et 400 fantassins) a affronté avec succès le lendemain plus de 3 000 cavaliers dans la vallée de Cana, aux abords de Nazareth.

Ahmad Djezzar Pacha (1735-1804), mamelouk d’origine bosniaque, devient gouverneur de la région de SaintJean-d’Acre puis de Damas. Corrompu et cruel mais fidèle à la Porte, il est nommé par celle-ci pacha d’Égypte en 1798, lorsque les Français envahissent le pays. C’est en cette qualité qu’il défend Acre avec ténacité quand Bonaparte assiège la place. 28 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND onaparte B is pu r, be lé K h 00 16 de ir rt Bey à pa ha, Ibrahim ac P h la Abdal ) ks (mamelou Kléber et EFFECTIFS 0 Français (divisions 00 4 2 500, puis valerie) 3 de ement de ca Bon, détach quins au moins, dont 2/ as am D 0 30 00 cavalerie et blessés PERTES ise : 300 tués s et noyés, Armée frança a : 6 000 tués, blessé ch Armée du pa s er 500 prisonni E É R DU entière Une journée NTEMENT E L’AFFRO deux camps NATURE D le r ptée pa s Bataille acce NNEL OPÉRATIO suite du RÉSULTAT ise qui permet la pour ça an Victoire fr e siège d’Acr onaparte POLITIQUE RÉSULTAT s la situation globale, B pa e ai ifi m od 20 m s le Ne er la Syrie dè devant quitt

Bonaparte quitte alors Saint-Jean-d’Acre avec la division Bon et la cavalerie pour rejoindre la division Kléber. Son objectif est maintenant de vaincre et détruire l’armée d’Abdallah avant qu’elle n’approche de Saint-Jean-d’Acre. Murat est d’ores et déjà détaché vers le pont de Jacob, pour couper la voie de retraite des Ottomans et pour faire lever le siège de Safed, où se trouve une petite garnison française. Dans le même temps, Bonaparte demande à Kléber de rejoindre Junot à Nazareth. Une fois réunis,

Le commodore (grade intercalaire entre capitaine de vaisseau et contre-amiral) William Sidney Smith (1764-1840) est un des auteurs du coup de main contre Toulon, durant la Révolution, où la moitié de la flotte à l’ancre est incendiée. Grand adversaire de Bonaparte en Égypte, il est le rival de Nelson. Avec ses deux vaisseaux, il vient notamment renforcer l’artillerie turque de Saint-Jean-d’Acre.

« Enclouer » un canon est une des méthodes les plus simples, rapides et efficaces d’empêcher l’ennemi d’utiliser immédiatement la pièce en cas de capture. On enfonce un clou d’acier carré dans la lumière (trou de mise à feu) de la pièce, puis l’on brise la tête du clou. Il ne reste alors plus de prise pour le retirer.

Bonaparte fait avancer ses soldats en retenant leur tir, et laisse les cavaliers ennemis s’enferrer dans le piège. les deux généraux prennent l’offensive et dispersent l’avant-garde de l’armée d’Abdallah, avant de découvrir la totalité de celle-ci aux pieds du mont Thabor. Avec les 2 500 hommes dont il dispose, Kléber forme alors le projet de marcher depuis Nazareth vers la plaine et d’y surprendre de nuit le camp de l’armée adverse. Il envoie un messager prévenir Bonaparte de cette manœuvre.

Kléber en mauvaise posture

Le 16 avril au matin, Kléber et sa division, après s’être égarés, débouchent trop tard pour surprendre l’ennemi qu’ils trouvent déjà en ordre de bataille : les cavaliers sont déployés dans la plaine et les fantassins ont pris position autour du village de Fouli. Dans ces circonstances, Kléber n’a guère le choix. Comme l’année précédente aux Pyramides, ou comme quelques jours auparavant sur la route de Nazareth, les Français se forment en 2 carrés, pour attendre la charge des cavaliers ennemis. L’expérience et le sang froid des fantassins, qui retiennent leurs tirs jusqu’aux derniers instants, sont d’une redoutable efficacité face aux cavaliers « damasquins » qui attaquent en poussant d’impressionnants hurlements. Les troupes montées d’Abdallah sont formées en 4 corps et se ruent à l’assaut des 2 carrés pour tenter de les briser, puis après un premier échec, pour essayer de les isoler. Les combats se poursuivent ainsi pendant 6 heures. Kléber, craignant pour la solidité du carré de Junot, ordonne bientôt de réunir toute sa division en un seul carré. Sous un soleil torride, les Français souffrent de la soif et commencent à manquer de munitions. Kléber envisage d’abandonner ses blessés, d’enclouer ses canons et de se faire jour au milieu de l’ennemi en direction d’Acre. Il est 16 heures : Bonaparte arrive alors sur le champ de bataille avec la division

Bon, un peu de cavalerie et d’artillerie. Avec beaucoup d’à-propos, il s’est immédiatement mis en marche avec sa petite colonne, dès réception du message de Kléber, craignant que celui-ci ne subisse un désastre. Il fait maintenant tirer ses canons pour annoncer son arrivée. Ses hommes veulent attaquer immédiatement. Bonaparte les tempère et ordonne de constituer 2 carrés qu’il fait avancer méthodiquement dans la plaine, jusqu’à former un vaste triangle avec celui de la division Kléber. Le général en chef retient les tirs de ses soldats, laissant les cavaliers ennemis s’enferrer au centre du triangle. Par un coup de canon de 12, il libère finalement ses hommes qui ouvrent le feu et provoquent des ravages chez l’ennemi, pris entre plusieurs feux. La cavalerie d’Abdallah, éreintée, prend la fuite. Kléber lance immédiatement une attaque sur le village de Fouli, qui est enlevé à la baïonnette. Dès lors, l’armée du pacha de Damas s’évanouit dans une fuite éperdue. Le camp des Ottomans est capturé, avec un immense butin. Murat, en embuscade au pont de Jacob, accable encore un peu plus les fuyards, dont beaucoup se noient dans le Jourdain. En une seule journée, une armée de 2 500, puis de 4 000 hommes après l’arrivée opportune de Bonaparte, a totalement détruit une armée 7 à 8 fois plus nombreuse. Cette victoire au pied du mont Thabor frappe les esprits. C’est le souvenir des exploits des croisades qui est d’abord exalté par les historiens contemporains. C’est sans doute aujourd’hui la cohésion tactique et la valeur de Kléber et Bonaparte qui est mise en avant, comparée à celle de leurs adversaires du jour. Pour autant la victoire du Mont-Thabor reste sans lendemain, même si Bonaparte peut poursuivre pendant encore un mois le siège d’Acre, avant de courir en Égypte où débarque une autre armée ottomane. ■

Pour aller

+ loin

Saint-Jean-d’Acre et le Mont-Thabor, mars-mai 1799, Fabrice Delaître, Historic’One, 2010.

Guerres & Histoire HS No 4 • 29

1798 - 1799 - La campagne d’Egypte

ABOUKIR, ÉPILOGUE D’UNE CAMPAGNE SANS LENDEMAIN Le 25 juillet 1799 ANTS COMMAND Bonaparte acha Mustapha P

R

entré de Syrie où il a perdu 4 000 hommes, Bonaparte est installé au Caire depuis le 14 juin. Un mois plus tard, il apprend le débarquement à Aboukir de l’armée ottomane de Mustapha Pacha, précédemment rassemblée à Rhodes. Les troupes de Mustapha, convoyées et débarquées par une flotte anglo-turque, sont composées principalement d’infanterie (janissaires, contingents des Balkans et d’Anatolie) et de seulement 300 cavaliers. Aussitôt à terre, Mustapha s’empare le 14 juillet du fort et de la redoute d’Aboukir dont les 300 défenseurs français sont submergés. Marmont, arrivé sur place avec 1 200 hommes, comprend immédiatement qu’il ne peut agir seul. Il regagne Alexandrie et envoie des messagers prévenir Bonaparte de la situation. Sur les conseils du commodore Sidney Smith qui l’accompagne, le plan de Mustapha consiste à se retrancher dans la presqu’île d’Aboukir, pour y attendre d’arrivée de la cavalerie mamelouk de Mourad Bey, repliée en Haute-Égypte depuis la bataille des Pyramides.

EFFECTIFS (divisions Lannes ) is 8 700 França tachement de cavalerie valiers dé nt 300 ca do , et Lanusse, ns oi m ans au 18 000 Ottom s S et 500 blessé PERTE ise : 100 tués s Armée frança a : 10 000 tués, blessé onniers ch is Armée du pa 0 prisonniers + 4 000 pr ir 00 uk 3 bo s, A d’ yé fort et no reddition du le 2 août à la DURÉE rnée Une demi-jou TEMENT L’AFFRON ux camps E D E de NATUR s le ptée par Bataille acce NEL N IO OPÉRAT ypte reste RÉSULTAT ète des Français. L’Ég pl m co re oi ct Vi ur deux ans française po onaparte POLITIQUE RÉSULTAT s la situation globale, B pa e ût ifi ao Ne mod e le 22 itter l’Égypt choisit de qu

Bonaparte fonce sur Alexandrie

Hormis quelques conseillers, l’armée de Mustapha ne compte aucun soldat anglais. Bonaparte ne le sait pas encore et craint plus que tout la présence de troupes britanniques à Aboukir. Le général en chef français compte maintenant sur l’effet de surprise en concentrant avec la rapidité qu’on lui connaît le maximum de troupes pour rejeter les Turcs à la mer. Les Français marchent à toute allure vers Ramanieh, puis arrivent à Alexandrie le 23 juillet. L’ultime rassemblement de l’armée à lieu le lendemain à Birket, à mi-chemin entre Alexandrie et Aboukir. En moins de 10 jours, Bonaparte est parvenu à réunir 7 700 fantassins, 1 000 cavaliers et 15 canons. Des renforts conduits par Kléber et Reynier sont encore en route. Desaix, qui commande en Haute-Égypte est par ailleurs

La 32e demi-brigade de ligne est formée en 1796 selon la loi de l’amalgame, qui mêle bataillons de volontaires et soldats professionnels de l’ancienne armée royale. Affectée à l’armée d’Italie dans la division Masséna, elle se distingue à Rivoli et Mantoue. Elle est l’héritière du 32e régiment de ligne, dit de Bassigny. Après la bataille des Pyramides, son chef est le vicomte Jean Barthélemy Claude Toussaint Darmagnac (1766-1855). 30 • Guerres & Histoire HS No 4

chargé d’empêcher Mourad Bey d’arriver à Aboukir. Le 25 juillet, Bonaparte marche sans plus attendre sur Aboukir. Mustapha Pacha est littéralement installé le dos à la mer : les Turcs ont aménagé leur position en fortifiant deux « dunes » — retranchement du Puits sur la gauche couvert de canons, et retranchement du Cheikh sur la droite —, chacune occupée par 1 000 hommes. Le centre de cette première ligne est couvert par un corps de 2 000 hommes, un peu en retrait, disposant d’un retranchement lui-même appuyé sur un village. Enfin, les janissaires et le gros de l’armée sont solidement postés à l’abri d’une deuxième ligne de retranchements (la redoute construite à l’origine par les Français), qui barre l’extrémité de la presqu’île, deux kilomètres en arrière des deux dunes. La garde du pacha est en réserve dans le camp du village d’Aboukir. L’ensemble du dispositif est protégé par les canons de la flotte d’accompagnement qui patrouille le long de la côte. Bonaparte, lui, est le dos au mur. Il doit vaincre pour ne pas perdre l’Égypte. Après avoir observé les positions ennemies de son « coup d’œil » très sûr, rassuré par l’absence de troupes britanniques et sans attendre de renforts, il décide de passer à l’attaque. Bonaparte a organisé sa petite armée de manière très rationnelle. Davout, avec 300 cavaliers, surveille les communications

C haloupes C anonnières

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L’ensemble du dispositif de Mustapha Pacha est protégé par les canons de la flotte d’accompagnement qui patrouille le long de la côte.

2

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1

F lotte d ’accompagnement en patrouille le long de la côte

avec Alexandrie, vitales. Pour l’attaque, les unités sont rassemblées en plusieurs groupes, chacune avec un objectif précis. Destaing et 2 300 hommes sur la gauche et Lannes avec 2 700 hommes sur la droite doivent chacun s’emparer d’une des dunes. Murat, au centre avec la cavalerie, est chargé de contourner les dunes et de menacer leurs arrières. Enfin, Lanusse se tient en réserve avec 2 400 hommes. L’attaque débute à 7 heures. Les troupes françaises se lancent à l’assaut des deux dunes qui sont rapidement enlevées à la baïonnette. La cavalerie française parvient à se glisser derrière les soldats ottomans en déroute et les repousse vers la mer. Lannes et Destaing se rabattent ensuite vers la redoute du centre. La défense des Turcs est cette fois plus soutenue. Une colonne de renforts arrive depuis leur seconde ligne pour les renforcer mais la cavalerie de Murat, parvenue derrière le village, les sabre et les contraint à faire demi-tour. La défense de la redoute du centre s’effondre bientôt. La totalité de la première ligne turque vient d’être balayée.

Les Turcs relèvent la tête

Bonaparte a désormais le choix. Doit-il se contenter de ce premier succès ou doit-il pousser encore plus loin son avantage ? Sans hésitation, le général en chef ordonne aux troupes de Lannes et Destaing de faire une pause et lance la réserve de Lanusse à l’assaut de la deuxième ligne turque. La fameuse 32e demi-brigade de ligne ayant nettoyé le village, Bonaparte peut désormais préparer sereinement sa nouvelle attaque. Il repère à l’est un éperon qui s’avance dans la mer sur lequel il pourrait installer ses 15 canons et prendre en enfilade la gauche des positions ottomanes. Sous les

ordres du colonel Crétin, la batterie s’installe et foudroie les Turcs qui laissent un vide large de 400 mètres dans leur ligne de défense. Murat s’y engouffre, suivi de l’infanterie française, 18e de ligne en tête. Les Turcs, soutenus par leur artillerie, marchent à leur rencontre et, pour la première fois de la journée, les repoussent avec fracas. Bonaparte ordonne la retraite et fait reformer les rangs. Fidèles à leurs habitudes guerrières, les soldats turcs profitent de cette accalmie pour quitter leurs retranchements et venir couper les têtes des Français tombés au combat. Bonaparte en profite pour relancer son attaque. Lannes et la 69e demi-brigade mènent l’assaut. Les soldats français, rageurs, tiennent à venger leurs morts que l’ennemi veut maintenant mutiler. Ils enlèvent cette fois la redoute. Murat et ses cavaliers lancent une nouvelle charge qui les mène dans le camp de Mustapha Pacha. Le chef ottoman blesse légèrement Murat d’un coup de pistolet avant d’être fait prisonnier. Les soldats turcs fuient en désordre vers la mer pour se réembarquer. Selon les mots d’un témoin, « la mer est couverte de turbans ». Le commodore Sidney Smith qui était descendu à terre est à deux doigts d’être pris. Il a tout juste le temps de s’enfuir sur une chaloupe. Quatre mille Turcs se réfugient dans le fort d’Aboukir. Ils capituleront une semaine plus tard. Les Français déplorent une centaine de morts et 500 blessés. Les Turcs ont 10 000 hommes hors de combat, 3 000 autres sont faits prisonniers. L’armée de Mustapha n’existe plus. La victoire est complète, suscitant l’admiration de Kléber, arrivé trop tard pour participer aux combats. Néanmoins, Bonaparte choisit de quitter l’Égypte moins d’un mois après son brillant succès, démontrant ainsi le peu de valeur stratégique du pays. ■

Pour aller

+ loin

Les Guerres de la Révolution, Jean Tranié, Quatuor, 2000.

Guerres & Histoire HS No 4 • 31

e

LA 2 CAMPAGNE

D’ITALIE 1800

À son retour d’Égypte, Bonaparte concentre ses forces contre l’Autriche, dernière puissance combattant la France sur le continent, après le retrait de la Russie de la deuxième coalition. Si des combats ont lieu en Allemagne, la victoire décisive a lieu à Marengo, en Italie. 32 • Guerres & Histoire HS No 4

Le 14 mai 1800, Bonaparte et ses troupes gravissent le col du Grand-SaintBernard (2 470 m). Le Premier Consul, à dos de mulet, est guidé par un jeune montagnard.

Guerres & Histoire HS No 4 • 33

1800 - La 2e campagne d’Italie

VIENNE, ULTIME RIVAL DÉCLARÉ

A PAR

STÉPHANE BÉRAUD

(voir biographie p. 8)

près le succès politique du 18 Brumaire, Bonaparte doit consolider son pouvoir sur le plan militaire et vaincre l’Autriche qui est la dernière puissance militaire en guerre contre la France, dans le cadre de la deuxième coalition. Cumulant les fonctions de chef d’État et de chef de guerre, il a les mains libres pour élaborer une stratégie globale de concentration des forces au service de ses objectifs opérationnels. Le Premier Consul décide de porter son effort en Italie où son adversaire a choisi de masser ses principales forces, avec le général Melas placé à la tête de 90 000 hommes. Bonaparte organise une armée de réserve (voir encadré cidessous) et élabore un plan : tandis que l’armée du Rhin de Moreau doit se porter en Forêt-Noire et sur le haut Danube pour occuper les Autrichiens en Allemagne, l’armée de réserve doit tomber sur les arrières de l’armée de Melas, dont la tête serait fixée par l’armée de Ligurie du général Masséna, chargée de couvrir Gênes et d’empêcher toute offensive autrichienne en Provence. Cette manœuvre repose sur le contrôle de la Suisse qui constitue un formidable saillant entre l’Allemagne et l’Italie, et autorise une action de l’armée de réserve, soit en Souabe

L’ARMÉE DE RÉSERVE DE 1800, PRÉCURSEUR DE LA GRANDE ARMÉE Depuis le 18 Brumaire, Bonaparte dispose des pouvoirs pour façonner un instrument militaire adapté à ses principes de guerre. Il imagine ainsi la création du corps d’armée qui doit structurer l’armée de réserve, comme indiqué dans une lettre adressée le 25 janvier 1800 à Berthier, alors ministre de la Guerre : « Chacun de ces grands corps sera partagé en deux divisions, commandées chacune par un général de division et deux généraux de brigade, et chacun des grands corps aura en outre un 34 • Guerres & Histoire HS No 4

officier supérieur d’artillerie. (…) Chacun de ces corps sera composé de 18 000 à 20 000 hommes, dont deux régiments de hussards ou chasseurs, et seize pièces d’artillerie. » Le corps d’armée constitue une nouvelle unité autonome, et remplace la division des campagnes révolutionnaires. Son caractère interarmes et sa taille critique constituent les deux traits fondamentaux qui vont assurer son efficacité durant les campagnes impériales, et être copiés par toutes les armées d’Europe.

contre le flanc sud de l’armée autrichienne d’Allemagne, soit en Lombardie contre le flanc nord de celle d’Italie. Cependant, alors que Bonaparte regroupe son armée, le général Melas déclenche son offensive le 5 avril 1800. Il jette 75 000 hommes contre les 30 000 hommes de Masséna et le force à s’enfermer dans Gênes à partir du 18 avril. Bonaparte adapte en conséquence son plan : son objectif est de se porter en Lombardie par le col du Grand-Saint-Bernard pour ensuite s’emparer de la position clef du défilé de la Stradella qui constitue un point de passage obligé entre les Apennins et le Pô. Ce plan suit le schéma classique de la manœuvre napoléonienne sur les arrières visant à prendre le contrôle des lignes de communications ennemies (en l’espèce, la ligne passant par Plaisance et Mantoue). Il espère ainsi pouvoir s’établir en position défensive pour bloquer la retraite de l’armée autrichienne et lui imposer la bataille dans des conditions lui assurant la victoire.

Le fort de Bard résiste… en vain

Masséna, qui fixe le gros des forces autrichiennes d’Italie, doit résister suffisamment longtemps pour permettre à Bonaparte d’exécuter sa manœuvre. Ce dernier déclenche le passage des Alpes le 14 mai. Malgré la résistance du fort de Bard (qui ne tombera que le 1er juin) empêchant le passage de l’artillerie, l’armée française bouscule les troupes autrichiennes chargées de défendre la vallée d’Aoste et débouche le 26 mai dans le Piémont avec 33 000 hommes. Ces troupes doivent être complétées par les 12 000 hommes de Moncey détachés de l’armée du Rhin pour rejoindre l’Italie par le Saint-Gothard. Bonaparte peut vite disposer de plus de 40 000 hommes auxquels il faut ajouter les 20 000 hommes de Masséna et de Suchet qui seront libérés par la retraite que le général Melas ne devrait pas tarder à précipiter. Le Premier Consul peut donc espérer affronter Melas en position d’égalité numérique et de supériorité morale, grâce à son apparition soudaine sur les arrières autrichiens. Il préfère cependant reporter l’affrontement, et se porte le 1er juin sur Milan pour s’emparer des magasins ennemis et lier ses forces à celles de Moncey. Mais le 7 juin, il apprend la capitulation de Masséna. Cette nouvelle bouleverse les plans français, car elle libère les forces autrichiennes affectées au siège de Gênes et rétablit les communications de Melas par la mer via l’escadre britannique de l’amiral Keith. Bonaparte se décide cependant à lancer ses troupes vers la Scrivia qu’il franchit le 13 juin. Mais, soucieux

XXX XXXX

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BONAPARTE

XXXX



MELAS

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XX MASSÉNA

L’armée française bouscule les troupes autrichiennes chargées de défendre la vallée d’Aoste et débouche dans le Piémont. de bloquer les voies de retraite de Melas, Bonaparte disperse les 31 000 hommes de son armée, entre Casale et Novi, sur un front de 50 kilomètres. Or, après plusieurs jours d’hésitation, le général Melas a décidé de risquer la bataille pour rétablir ses communications avec Mantoue et Vienne. À l’aube du 14 juin, l’armée autrichienne débouche dans la plaine de Marengo. En infériorité numérique, les Français accumulent les pertes et cèdent du terrain. Le rappel de Desaix sauve la situation et

Formée au début de l’année 1799, la deuxième coalition comprend également l’Angleterre, Naples, la Turquie et la Russie ; mais cette dernière s’en retire après la retraite de Souvarov, à la suite de la bataille de Zürich, les 25 et 26 septembre 1799, qui donne à la France le contrôle de la Suisse.

transforme in extremis le désastre qui se profilait à 17 heures en victoire à 20 heures. La convention d’Alexandrie, qui suspend les hostilités à partir du 15 juin, oblige l’armée autrichienne à se retirer derrière le Mincio, en restituant toutes les places occupées en Ligurie, au Piémont et en Lombardie. Après la reprise des hostilités en novembre, Moreau remporte sa plus belle victoire le 3 décembre à Hohenlinden. L’Autriche se décide à traiter et signe la paix de Lunéville le 9 février 1801.■

L’amiral George Keith (17461823) commande l’escadre britannique de Méditerranée. Son rôle est de participer au blocus de Gênes et surtout à celui de Malte, en préparant un éventuel débarquement du corps expéditionnaire anglais (10 000 hommes) qui se rassemble à Minorque.

La victoire de Hohenlinden, à l’est de Munich, contre l’armée autrichienne de l’archiduc Jean, permet à l’armée du Rhin de franchir l’Inn puis de menacer Vienne.

Pour aller

+ loin

L’Esprit de la guerre moderne. De Rosbach à Ulm, Général H. Bonnal, Librairie militaire Chapelot, 1903. Napoléon Bonaparte. 2e campagne d’Italie, J. Tranié et J.C. Carmigniani, Pygmalion, 1991.

La paix de Lunéville confirme la paix de Campoformio de 1797 : l’Autriche renonce à la Belgique, reconnaît à la France la rive gauche du Rhin et accepte le rétablissement de la République cisalpine qui consacre la domination française en Italie du Nord. Guerres & Histoire HS No 4 • 35

1800 - La 2e campagne d’Italie

À MARENGO, LES AUTRICHIENS SONT À VAU-L’EAU 14 juin 1800 ANTS COMMAND te ar ap Bon Melas EFFECTIFS 0 de Desaix) mes (+ 5 00 23 000 hom mes 30 000 hom

L

e 5 mai 1800, le Premier Consul se rend à l’Opéra où il fait acclamer le nom du général Moreau dont on vient d’apprendre la victoire à Stockach, en Allemagne. Puis, dans la nuit, il troque l’habit de chef d’État contre celui de général en chef. Il quitte Paris le 6 mai à 2 heures du matin et franchit les Alpes le 26 mai avec 33 000 hommes. Après ce coup de maître initial, Bonaparte temporise en rejoignant les forces de Moncey à Milan où il demeure jusqu’au 8 juin. Pendant ce temps, le général Melas obtient la capitulation de Masséna enfermé dans Gênes et concentre ses troupes à Alexandrie. Bonaparte ne lance son offensive que le 12 juin mais en éparpillant ses forces pour intercepter toutes les voies possibles de repli autrichien, en détachant au sud la division Boudet sur Novi et au nord la division La Poype en direction de Valenza. Après une ultime reconnaissance infructueuse de la plaine de Marengo dans la soirée du 13 juin, Bonaparte retourne passer la nuit à une dizaine de kilomètres plus à l’est, à Torre di Garofoli. Il est alors convaincu que son adversaire cherche à se dérober. La canonnade qui lui parvient dans la

LA CHARGE DE RUPTURE FONDATRICE DE KELLERMANN L’évènement tactique majeur de la bataille de Marengo est la charge de cavalerie de Kellermann, qui transforme en quelques minutes une défaite certaine en victoire imprévue. Si le renversement de situation résulte d’une action interarmes associant également l’infanterie de Boudet et l’artillerie de Marmont, la charge de Kellermann en constitue toutefois l’action décisive, ce qui a d’ailleurs été reconnu par Marmont lui-même dans ses mémoires. Il confirme que juste après avoir tiré quelques coups de mitraille, Kellermann est passé avec ses 400 chevaux devant ses pièces et « fit une 36 • Guerres & Histoire HS No 4

charge vigoureuse contre le flanc de la colonne autrichienne qui mit bas les armes ». Il précise qu’à quelques minutes près, la charge aurait échoué, ce qui est confirmé par Murat qui, dans son rapport à Berthier, considère que Kellermann « par une charge faite à propos, sut fixer la victoire encore flottante ». S’il révèle l’exceptionnel coup d’œil de Kellermann, ce succès démontre surtout le potentiel des actions de rupture de la cavalerie lourde utilisée en masse. Napoléon n’oubliera jamais cette leçon tactique et forgera la meilleure cavalerie lourde d’Europe pour obtenir ses victoires.

PERTES es 5 500 homm es m m ho 0 9 50 E É R à 21 heures DU de 7 heures Une journée, NTEMENT E L’AFFRO NATURE D Melas r pa oquée Bataille prov NNEL IO AT OPÉR RÉSULTAT ise ça an Victoire fr POLITIQUE , puis RÉSULTAT armes du 15 juin 1800 d’ n io 01 ns 18 pe r us ie S vr ville du 9 fé paix de Luné

matinée lui démontre le contraire. Le général Melas vient de déclencher le franchissement de la Bormida à la hauteur de Marengo. Au total, plus de 30 000 Autrichiens se préparent à fondre sur 23 000 Français. La supériorité est encore plus nette du côté de l’artillerie puisque les Autrichiens disposent d’une centaine de canons contre une vingtaine de pièces du côté français. La marche du gros de l’artillerie française a en effet été retardée de quinze jours par la résistance du fort de Bard. Les premières attaques de Melas contre Marengo sont repoussées. Mais, la supériorité de l’artillerie autrichienne

Général français (1763-1813), Jean Victor Marie Moreau a exercé plusieurs commandements d’armée (du Nord et du Rhin) avant d’être nommé à nouveau commandant de l’armée du Rhin par Bonaparte en décembre 1799.

La victoire de Stockach est remportée le 3 mai 1800 au nord-ouest du lac de Constance par le général Moreau, qui repousse l’armée autrichienne du général Kray vers Ulm et permet de couvrir l’offensive de l’armée de réserve de Bonaparte à travers les cols suisses.

14 juin 1800, matinée

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ne tarde pas à produire son effet et les troupes de Victor doivent bientôt battre en retraite. D’autant que la colonne du général Ott qui débouche du village de Castelceriolo vers le sud menace de déborder l’aile droite française commandée par Lannes. Bonaparte se porte à cheval sur la ligne de bataille et engage la division Monnier avec la garde consulaire pour stabiliser ce secteur, mais la pression autrichienne est trop forte. À partir de 14 heures et jusqu’à 17 heures, toute la ligne française se replie progressivement vers San Giuliano. Melas va cependant pécher par excès de confiance et commettre plusieurs erreurs qui vont lui coûter la victoire. Le commandant autrichien gaspille tout d’abord sa supériorité numérique en cavalerie en dispersant celle-ci de telle sorte qu’il ne lui reste plus de réserve consistante pour transformer la retraite française en déroute. De plus, contusionné par une chute de cheval et persuadé que la victoire est assurée, Melas abandonne le champ de bataille vers 15 heures pour laisser le général Kaim organiser la poursuite. Enfin, celle-ci est mal coordonnée : les deux ailes des généraux Ott et O’Reilly ont adopté des axes de marche divergents qui les mettent dans l’impossibilité de venir soutenir le centre, lequel progresse sans éclairage de cavalerie.

VICTOR

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Conseil de guerre et riposte

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O’R EILLY BOUDET

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Pour aller Général autrichien (17291806), ancien de la guerre de Sept Ans, Michael Friedrich Benedikt von Melas a combattu sur la Sambre en 1793 et sur le Rhin en 1794 et 1795. Il est nommé début 1799, à l’âge de 70 ans, commandant de l’armée autrichienne d’Italie.

Claude-Victor Perrin (1764-1841), dit Victor, participe à la première campagne d’Italie et se distingue à Dego, Mondovi et La Favorite. Revenu en France, il retourne en Italie en 1799 pour être placé en première ligne à Marengo.

SCRIVIA

14 juin 1800, soirée

BO

Or, dans le même temps, Bonaparte a rappelé à lui la division Boudet et le général Desaix qu’il avait initialement envoyés sur Novi. Ils rejoignent à San Giuliano les rescapés de l’armée française vers 17 heures. Après un rapide conseil de guerre avec Desaix, Bonaparte lance immédiatement ces troupes fraîches (plus de 5 000 hommes) sur la tête de colonne autrichienne. Marmont parvient à rassembler une batterie d’une quinzaine de pièces qui soutient l’infanterie de Boudet pour foudroyer l’avant-garde autrichienne. Celle-ci, surprise par la résistance soudaine d’un ennemi supposé en déroute, se débande rapidement. Desaix lance la poursuite avec ses fantassins tandis que Kellermann charge le flanc des Autrichiens. L’action combinée de l’artillerie de Marmont, de l’infanterie de Boudet et de la cavalerie de Kellermann (voir encadré p. 36) culbute l’avant-garde autrichienne et entraîne la capture de son chef. La panique de l’avant-garde s’étend à toute la colonne principale. En quelques minutes, la situation est retournée : les unités autrichiennes refluent vers les ponts de la Bormida, poursuivies par les troupes françaises. La bataille perdue à 17 heures est définitivement gagnée à 20 heures. L’effet de surprise et l’optimisation de la coordination interarmes ont modifié l’issue d’une bataille mal engagée par Bonaparte. Malgré les erreurs et hésitations du Premier Consul, la manœuvre de la Stradella et la bataille de Marengo constituent la première combinaison réussie d’une manœuvre sur les arrières et d’une bataille à front renversé. ■

KELLERMANN

Général autrichien (17371801), Konrad Valentin von Kaim a commencé sa carrière militaire en 1750 au sein de l’armée royale française. Considéré comme l’un des meilleurs généraux de l’armée d’Italie, il commande les unités du centre qui attaquent Marengo.

Le général Louis Charles Antoine Desaix (1768-1800) se distingue durant les campagnes de la Révolution en Allemagne puis en Égypte. Il est mortellement blessé à Marengo à la tête de l’assaut qui détermine la victoire.

SCRIVIA

+ loin

Marengo, 14 juin 1800, Mal A. Berthier, B. Gainot et B. Ciotti, Lemme Edit, 2010. Premières Gloires, Frédéric Bey, VaeVictis, collection Jeux d’Histoire, 2017.

Guerres & Histoire HS No 4 • 37

LA CAMPAGNE

D’ALLEMAGNE 1805

La troisième coalition fomentée par l’Angleterre contraint Napoléon à changer ses plans. Oublié le débarquement outre-Manche : le danger se précise sur le Rhin. Un échec stratégique bientôt compensé par les succès militaires, couronnés par la célèbre victoire d’Austerlitz. 38 • Guerres & Histoire HS No 4

Le 2 décembre 1805, à Austerlitz, le général Jean Rapp, au centre, à la tête de la cavalerie de la Garde, charge la garde impériale russe et capture le généralmajor prince Repnine.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 39

1805 - La campagne d’Allemagne

L’EMPEREUR SE RETOURNE VERS L’EST

L PAR

PATRICK BOUHET

Adjoint au chef de la division « stratégie » de l’état-major de l’armée de l’air, Patrick Bouhet poursuit des travaux historiques et théoriques dans les domaines de la pensée stratégique, de l’histoire de l’aéronautique et du Premier empire. Il collabore aux magazines Guerres&Histoire et DSI, et écrit pour diverses publications à caractère académique.

a campagne de 1805 marque, paradoxalement, un constat d’échec pour Napoléon et une réussite stratégique du Royaume-Uni. Constat d’échec car la manœuvre combinée pour gagner le temps nécessaire au débarquement de l’armée française sur les côtes britanniques prévu par Napoléon échoue de facto dès le moment où la flotte franco-espagnole ne réussit pas à tromper puis distancer la Royal Navy. Dès le 21 août 1805, lorsque l’amiral Villeneuve se retire à Cadix, le plan peut être considéré comme manqué. C’est ce que comprend bien Napoléon, lorsqu’il apprend la nouvelle. La manœuvre était, peut-être, trop complexe et ne tenait pas suffisamment compte des spécificités liées aux opérations navales et de l’état réel des flottes française et espagnole. Mais face à la supériorité numérique et qualitative de la Royal Navy, cela semblait être le seul moyen de frapper l’ennemi principal au cœur. Le Royaume-Uni, de son côté, a réussi à former une nouvelle coalition, la troisième, qui permet de menacer Napoléon à revers. Réunissant et finançant les empires de Russie, d’Autriche et les royaumes de Suède et de Naples, le Premier ministre William Pitt détourne l’armée française de son objectif principal en obligeant Napoléon à renverser son dispositif d’ouest en est face à la menace qui pèse sur les frontières terrestres de la France et de ses alliés. C’est en fin de compte l’armée destinée à débarquer sur les côtes anglaises et à prendre Londres qui se bat à Austerlitz… Donc, à la fin d’août 1805, Napoléon doit tenir compte des efforts d’armement entrepris par l’Autriche et de l’impossibilité de franchir la Manche. La menace la plus dangereuse se situant maintenant sur le Rhin, il renverse son dispositif en officialisant

Le général russe Mikhaïl Koutouzov (1745-1813) est nommé en 1805 commandant en chef de l’armée envoyée au secours de l’Autriche. La défaite d’Austerlitz lui vaut la disgrâce, mais Alexandre 1er le replace en 1812 à la tête des armées russes, et il affronte à nouveau les troupes de Napoléon durant les batailles de la Moskova et de la Bérézina. 40 • Guerres & Histoire HS No 4

les corps d’armée, qu’il a expérimenté en 1800, et en réintroduisant l’appellation de « Grande Armée ». Il définit les buts de la campagne dès le 23 août dans une lettre adressée à Talleyrand : «... Je cours au plus pressé (…) Au 1er vendémiaire [23 septembre], je me trouve avec 200 000 hommes en Allemagne (...) Je marche sur Vienne, et ne pose les armes que je n’aie Naples et Venise, et augmenté tellement les États de l’Électeur de Bavière que je n’aie plus rien à craindre de l’Autriche. »

Sept corps pour une armée

La campagne en Allemagne peut être divisée en trois phases : la manœuvre d’Ulm, la poursuite de Koutouzov et la prise de Vienne, la campagne de Moravie et la bataille d’Austerlitz. La première phase commence le 29 août, lorsque l’Empereur ordonne à Berthier d’organiser l’armée principale en sept corps numérotés de 1 à 7 (Bernadotte, Marmont, Davout, Soult, Lannes, Ney, Augereau), une réserve de cavalerie (Murat) et la Garde impériale (Bessières). Soit un total de 145 000 fantassins, 38 000 cavaliers et plus de 300 pièces d’artillerie. À cela s’ajoutent les forces laissées en France pour se garantir d’attaques venant de la mer, l’armée d’Italie sous Masséna et les forces de Gouvion-Saint-Cyr qui font face aux Autrichiens et aux Napolitains. La manœuvre d’Ulm (voir p. 42) conduit à l’élimination de l’armée de l’archiduc Ferdinand entre le 25 septembre et le 20 octobre 1805, veille de la bataille navale de Trafalgar. Les opérations débutent à ce moment en Italie sans résultats notables (Masséna contre l’archiduc Charles). Napoléon, ayant obtenu une victoire majeure, engage la poursuite de Koutouzov qu’il

William Pitt le Jeune (1795-1806) est déjà Premier ministre à 24 ans. Il demeure au pouvoir jusqu’en 1801 puis de mai 1804 à janvier 1806. Adversaire le plus résolu de la France républicaine puis impériale, il quitte ainsi le pouvoir en 1801 parce que la paix d’Amiens lui semble trop douce. Incorruptible, bourreau de travail, il incarne le patriotisme anglais jusqu’à l’arrivée de Churchill au XXe siècle.

La troisième coalition, outre la Grande-Bretagne, regroupe essentiellement l’Empire russe, l’Empire d’Autriche et le royaume de Suède. La Prusse, objet d’une lutte diplomatique entre la France et la Russie, décide finalement de conserver sa neutralité.

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Cette campagne peut être divisée en trois phases : la manœuvre d’Ulm, la poursuite de Koutouzov et la prise de Vienne, la campagne de Moravie et la bataille d’Austerlitz. veut détruire à son tour avant sa jonction avec l’autre armée russe de Buxhoeveden et celles des archiducs Charles et Jean qui rejoignent le théâtre principal des opérations. Il n’y parvient pas malgré des combats partiels coûteux (Amstetten, le 5 novembre, Dürenstein le 11, Hollabrünn le 16), prend Vienne mais s’enfonce de plus en plus en Europe centrale, loin de ses bases. Le 19 novembre, Koutouzov fait sa jonction avec Buxhoeveden et le corps autrichien de Liechtenstein dans les environs d’Olmütz [aujourd’hui Olomouc]. Dès lors commence la troisième phase de la campagne qui est conclue par la légendaire victoire d’Austerlitz.

C’en est fini du Saint-Empire

La campagne se termine donc par un coup de tonnerre. L’Autriche, qui signe la paix à Presbourg (Bratislava), le 26 décembre 1805, perd des territoires et doit payer de fortes indemnités, est particulièrement diminuée. Elle est dépossédée de 17 % de ses habitants et de 14 % de ses revenus annuels. Surtout, le Saint-Empire disparaît au profit de la Confédération

du Rhin ; l’Allemagne échappe aux Habsbourg. Les alliés de la France profitent de gains territoriaux qui les renforcent et constituent un glacis protecteur plus puissant composé de la Bavière, du Wurtemberg, du pays de Bade et du royaume d’Italie. Cependant, un nouvel acteur majeur est apparu, la Russie, et un autre se fait menaçant : la Prusse. En fin de compte, la France, qui ne pourrait pas résister à l’ensemble de l’Europe coordonnée, doit battre ses adversaires en détail donc garder l’initiative dans les opérations. Mais vaincre dans cette guerre, ce serait battre l’Angleterre, qui pour détourner les coups n’a d’intérêt que de provoquer des coalitions. L’on voit ici ce qu’il y a de relatif dans la victoire d’Austerlitz, qui passe pour le modèle de la bataille décisive. Si elle a bien évité la catastrophe d’un écrasement dès 1805, elle a avant tout permis à la France de rester dans la course et n’est un résultat majeur que vis-à-vis de l’Autriche d’une part et de la Prusse, retardée dans son attitude belliqueuse, d’autre part. La Russie quant à elle poursuit le combat, comme le Royaume-Uni… ■

Pour aller

+ loin

La Campagne de 1805 en Allemagne, P.-C. Alombert et J. Colin, Teissèdre (5 vol.), 2002. Austerlitz. Napoléon, l’Europe et la Russie, O. Sokolov, Commios, 2006. Jours de Gloire. Campagne : le Danube, Frédéric Bey, VaeVictis no 41, 2001.

Guerres & Histoire HS No 4 • 41

1805 - La campagne d’Allemagne

MOUVEMENT TOURNANT CONTRE ULM Du 15 au 20 octobre 1805

U

lm est moins un siège proprement dit que le résultat d’une manœuvre d’ensemble conduite avec détermination par Napoléon face à un adversaire indécis et pusillanime, Mack, qui assure le commandement effectif de l’armée confiée à l’archiduc Ferdinand. La capitulation de plus de 25 000 hommes marque en réalité le point final de la destruction d’une armée autrichienne qui comptait à l’origine plus de 60 000 hommes, qui sont d’abord battus dans huit combats de détail avant d’être dispersés, forcés à se replier ou à se rendre. Pourtant, en ce début de septembre 1805, cette armée est le fer de lance de l’offensive qui progresse vers le Rhin et la France. Elle doit coordonner ses opérations avec l’armée de l’archiduc Charles en Italie (près de 90 000 hommes), celle de l’archiduc Jean qui assure la jonction au centre du dispositif (plus de 20 000 hommes), et les deux armées russes qui arrivent de Galicie et de Pologne. Il est aussi prévu une opération anglo-russo-suédoise au nord contre le Hanovre et une autre au sud de la péninsule italienne par des forces anglaises, russes et napolitaines.

Mack surveille la Forêt-Noire

Les Autrichiens se sont engagés en Bavière au début de septembre en se figurant la rallier par le seul poids de leur puissance. Mais l’électeur Maximilien IV maintient son alliance avec la France et son armée ne vient pas renforcer celle de l’archiduc Ferdinand mais celle de Napoléon. Mack, qui commande effectivement l’armée autrichienne, s’installe autour d’Ulm dans une position qu’il croit propice pour attendre ses alliés russes et pour surveiller les débouchés de la Forêt-Noire par lesquels il pense que les Français vont passer. De son côté, Napoléon charge

Karl Freiherr Mack von Leiberich (1752-1828), général autrichien, est chargé après le traité de Campoformio de réorganiser l’armée d’Italie. Battu par Championnet en 1798, fait prisonnier, il s’évade en 1800 et obtient en 1805 le commandement de l’armée autrichienne de Bavière. Considéré comme le responsable de la défaite d’Ulm, il est alors déchu de son rang. 42 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap rdinand Archiduc Fe l Mack ha éc Feld-mar EFFECTIFS mes 35 000 hom 0 hommes 00 26 – 0 00 25 S TE R E P blessés 200 tués et niers on is pr 25 365 DURÉE bre 1805 15 – 20 octo TEMENT L’AFFRON E D E NATUR Siège NNEL OPÉRATIO l’archiduc RÉSULTAT de ée rm l’a de Destruction Ferdinand édiat POLITIQUE militaire imm RÉSULTAT politique et t en m se is Affaibl de l’Autriche lliance bavaroise l’a Maintien de

Murat de renforcer Mack dans cette certitude en agissant de ce côté tandis que le reste des sept corps et de la Garde commencent leur mouvement tournant par la gauche dans une manœuvre que même Mack reconnaîtra comme proche de celle de 1800 en Italie. Mais les Autrichiens sont surpris par le mouvement, sa rapidité et l’ensemble des opérations de « déception » (feintes) mises en œuvre par Napoléon (désinformation par des agents dont sûrement le célèbre Schulmeister, action de Murat…). Toutefois, il ne semble pas que l’Empereur ait compté sur une telle passivité de Mack. La manœuvre qui au mieux devait obliger les Autrichiens à se replier et peut-être à accepter une bataille dans une situation défavorable, pour conserver leur ligne de communication avec

Karl Ludwig Schulmeister (1770-1853), fils d’un pasteur luthérien, est connu pour la légende qui en a fait le « maître espion » de Napoléon entre 1805 et 1809. Mais en l’absence de témoignages sérieux et de documents probants, il est difficile d’établir la réalité des exploits qu’on lui prête. Il est toutefois établi qu’il a fourni aux Autrichiens les renseignements qui les ont amenés à s’enfermer dans Ulm, erreur qui va s’avérer fatale.

L’archiduc Jean-Baptiste Joseph Fabien Sébastien d’Autriche (17821859) est le 9e fils de Pierre-Léopold de Toscane, empereur Habsbourg de 1790 à 1792, et le frère de l’archiduc Charles (1771-1847), qui commande l’armée d’Italie. Il commande l’armée de Bavière battue à Hohenlinden en 1800, puis l’armée territoriale du Tyrol en 1805.

Vienne, devient un encerclement complet et une destruction en détail des forces autrichiennes qui réagissent trop tard. La première rencontre d’importance à lieu à Donauwörth, le 7 octobre. Elle est suivie des batailles de Wertingen le 8, de Gunzbourg le 9, de Haslach-Jungingen le 11, de Memmingen et d’Elchingen le 14, de Nerenstetten le 16, Neresheim le 17. Tous ces combats sont remportés par les Français, même dans des situations désavantageuses grâce à leur supériorité tactique. La première phase de la manœuvre consiste donc à couper la ligne de retraite naturelle des Autrichiens en les débordant. Dès que ce résultat est obtenu, deux possibilités sont à prendre en compte. Une fuite par le nord en traversant l’écran formé par la ligne des corps français ou un repli vers l’armée de l’archiduc Jean au sud. Mack, le 9 octobre, penche tout d’abord vers la seconde, avant de revenir sur Ulm et de prévoir une fuite par la Bohême. Le dispositif mis en place par l’Empereur permet de s’adapter à l’évolution de la situation, même si certains éléments de la Grande Armée, parfois mis en danger comme la division Dupond à Haslach, peuvent malgré tout vaincre grâce à une forte cohésion et d’excellentes qualités tactiques. Le dispositif tient aussi compte d’une potentielle arrivée des Russes jusqu’au 12 octobre. Rassuré de ce côté, Napoléon concentre ses forces contre Mack et Ulm dont le siège commence le 15 octobre par une première attaque repoussée. Le 20, certain de ne plus pouvoir être secouru par Koutouzov, Mack

capitule avec les plus de 25 000 hommes qui lui restent. L’archiduc Ferdinand a bien tenté une sortie, mais l’armée dont il avait le commandement nominatif est détruite et il est vite poursuivi par Murat et sa cavalerie.

Le résultat marque les esprits

Le résultat obtenu le 20 octobre 1805 frappe les observateurs de l’époque par son ampleur — la destruction complète d’une armée en 13 jours —, et la méthode pour l’atteindre — la manœuvre sans engagement majeur de l’ensemble des forces. Cette première partie de la campagne a aussi permis de valider le concept du corps d’armée, qui comprend toutes les armes — infanterie, cavalerie, artillerie, génie — et peut donc remplir toutes les missions d’une armée, du renseignement aux opérations défensives et offensives. Sa taille lui permet aussi de résister à des assauts plus importants, le temps d’être renforcé. Le corps d’armée peut donc être autant un pion opératif dans le cadre de la manœuvre, qu’un pion tactique dans celui de la bataille, voire un élément stratégique compte tenu de sa capacité à mener des opérations isolées sur un théâtre particulier. La campagne de 1805 démontre l’ensemble de ces capacités, d’autant que l’état-major mis en place, au-delà de la seule personnalité et du génie de Napoléon, prouve aussi son aptitude à concevoir et à conduire des opérations avec la souplesse et la rapidité nécessaires.■

Les Autrichiens sont surpris par la rapidité du mouvement tournant, qui rappelle la manœuvre opérée en 1800 en Italie.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 43

1805 - La campagne d’Allemagne

AUSTERLITZ, UNE RÉUSSITE EXEMPLAIRE 2 décembre 1805

L

a bataille d’Austerlitz oppose, le 2 décembre 1805, l’armée française, commandée par Napoléon en personne, à une armée austro-russe commandée nominalement par le général russe Koutouzov, mais en réalité placée sous la tutelle très directe de l‘empereur de Russie Alexandre Ier, accompagné de François Ier d’Autriche. Elle est de fait, un lieu de concentration non seulement de troupes mais aussi du pouvoir politique. Austerlitz est tout d’abord un chef-d’œuvre de « deception », c’est-à-dire de « tromperie » de l’ennemi. Eu égard à la situation sur le théâtre d’opérations et à la réalisation des objectifs stratégiques via l’ensemble des actions tactiques considérées comme des ensembles homogènes, Napoléon doit livrer une bataille qui lui permette d’éviter le regroupement des forces coalisées et l’entrée en guerre effective de la Prusse. Il doit aussi obtenir une victoire rapide, car son pouvoir n’a pas et n’aura jamais la légitimité et la solidité de celui des monarques qui s’opposent à lui.

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap ov hal Koutouz Feld-maréc xandre 1er le A s ur Empere 1er et François EFFECTIFS viron mes dont en 73 000 hom rs lie 13 000 cava 139 canons 000 à mes dont 14 86 000 hom rs et 250 à 300 canons lie 16 000 cava PERTES 0 hommes 9 000 à 9 50 mes m ho 38 000 E É DUR 7 h à 17 h heures, de Environ 10 NTEMENT E L’AFFRO NATURE D ensive off Défensive NNEL OPÉRATIO RÉSULTAT re eu Victoire maj POLITIQUE IIIe coalition – fin de RÉSULTAT France utriche de la Retrait de l’A édiate et directe sur la m im e ac la men

Un jeune homme arrogant

Il y parvient par deux opérations. La première, militaire, vise à mettre en confiance l’armée coalisée. En offrant une maigre brigade de cavalerie légère comme appât, à Wischau, il laisse penser que l’armée française cherche à éviter la bataille, et même la craint. Cet échec tactique apparent est le premier pas vers le succès d’une opération pensée globalement. Ceci est encore renforcé par les ouvertures diplomatiques de Napoléon en direction d’Alexandre Ier qui conduisent à la célèbre rencontre entre l’Empereur et le prince Dolgoroukov, aide de camp d’Alexandre. Le premier en décrit lui-même le sens dans un courrier : « Ce jeune homme est d’ailleurs de la plus excessive arrogance ; il a

Le 28 novembre 1805, peu de temps après Hollabrünn et avant Austerlitz, des cavaliers français sont défaits par les forces austro-russes de Koutouzov, près de Wischau, en Moravie. Bien que mineur, leur succès convainc les coalisés qu’une victoire sur Napoléon est à leur portée. 44 • Guerres & Histoire HS No 4

Le prince Piotr Ivanovitch Bagration (1765-1812) sert sous les ordres du général Souvorov, en Pologne puis en Italie. Après Austerlitz, il combat à Eylau, Heilsberg et Friedland, en 1807. Il est tué en 1812 lors de la bataille de la Moskowa.

dû prendre mon extrême modération pour une marque de grande terreur ; ce que je désirais sous le point de vue militaire, et ce qui a donné lieu à la bataille d’Austerlitz. » Cependant, il ne faut pas sous-estimer des facteurs que Napoléon ne connaît peut-être pas. La logistique des troupes alliées est précaire car les alentours d’Olmütz ne peuvent plus suffire à nourrir les troupes et la retraite — sage militairement, car elle permet de gagner du temps et de se rapprocher de certains renforts — n’est pas envisagée pour des raisons politiques. Cela pourrait provoquer la rupture avec l’Autriche déjà fortement affaiblie et remettre en question l’engagement prussien. Surtout, cela ne correspondrait pas aux ambitions d’Alexandre et à l’humeur belliqueuse de son entourage. Enfin, la manœuvre logistique consistant à faire basculer la ligne de communication française de Vienne vers Brünn (Brno), contribue aussi à rendre l’analyse de la situation par l’état-major austro-russe inexacte, et le conduit à une fausse manœuvre qui les mène à attaquer la droite française, la route de Vienne, en croyant ainsi couper l’armée française de ses ressources. Napoléon l’a dit lui-même : la bataille d’Austerlitz n’est que le résultat du plan de campagne de Moravie. Le 2 décembre, au matin, ce sont plus de 72 000 hommes

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2 Contre-attaques françaises

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Vers V ienne

Après trois heures de combat, 9 000 Français réussissent à arrêter des colonnes composées de 40 000 adversaires. et 139 canons du côté français qui s’opposent à plus de 85 000 Austro-Russes et environ 300 pièces. Ces chiffres sont bien entendu des approximations, mais il est admis que les coalisés bénéficient d’une certaine supériorité numérique. Vers 7 heures, la bataille commence et les troupes coalisées se mettent en mouvement vers la droite française. Après trois heures de combat, 9 000 Français réussissent, en tirant parti du terrain, à arrêter des colonnes composées de près de 40 000 adversaires. À 11 h 30, après une forte contestation, les deux hauteurs qui surplombent le plateau du Pratzen sont aux mains des Français et les troupes austro-russes en déroute.

Victoire totale à la nuit tombée

Le centre coalisé est rompu. Une contre-attaque de la garde russe ne change rien à la situation. À la gauche de l’armée française, les combats n’ont pas débuté avant 10 h 30 et l’offensive de l’infanterie française n’est lancée que vers 12 heures contre Bagration qui lutte pied à pied et réussit vers 16 h 30 à désengager ce qui reste de ses troupes. À 17 heures, alors que la nuit est tombée, tout est terminé. La victoire est totale. Les Russes ont perdu environ 30 000 hommes, tués, blessés ou prisonniers,

les Autrichiens près de 8 000. Les pertes de la Grande Armée sont de 9 000 à 9 500 tués, blessés, disparus et prisonniers. Le récit classique de la bataille d’Austerlitz présente l’image d’une bataille réglée a priori : Napoléon a tout prévu et le combat se déroule comme si l’empereur des Français avait été aux commandes des deux armées. Ceci conduit même les historiens russes puis soviétiques à plaider pour une trahison, donc à la connaissance par Napoléon du plan du général autrichien Weyrother. En réalité, il a su profiter au mieux de la souplesse, de la mobilité et de l’excellence tactique des corps d’armée. Napoléon fait en sorte de pouvoir s’adapter et réagir à toutes les situations. Et si les Austro-Russes n’avaient pas fait l’erreur d’attaquer, la bataille n’aurait pas eu lieu et Napoléon aurait sûrement dû se replier devant des forces beaucoup plus importantes à la suite de la jonction de toutes les armées alliées. C’est là qu’Austerlitz devient une réussite exemplaire. En effet, les dispositions prévues à 8 heures 30 du soir sont obsolètes à 4 heures du matin. Et pourtant, il a pu sembler que le plan français était la réponse parfaite à celui des coalisés. Cela confirme surtout qu’Austerlitz est une possibilité née de la rencontre d’un chef avec une armée, un outil militaire, les deux étant au sommet de leur art. ■

Pour aller

+ loin

Austerlitz, 2 décembre 1805, J. Garnier, Fayard, 2005. Austerlitz en sa campagne, P. Bouhet, in Guerres et armées napoléoniennes. Nouveaux regards, Nouveau monde, 2013. Austerlitz, Rising Eagles, Walter Vejdovsky, Hexasim, 2016. Austerlitz, 1805, F. Bey, VaeVictis nos 58 (2004) et 64 (2005).

Guerres & Histoire HS No 4 • 45

LA CAMPAGNE

DE PRUSSE 1806

Pour sa méthode, la manœuvre de corps d’armée, et son objectif atteint, la destruction de l’armée ennemie, la campagne prussienne de 1806 est sans nul doute la plus réussie de toutes les opérations napoléoniennes. Mais la paix sera brève : les Russes entrent en Pologne. 46 • Guerres & Histoire HS No 4

Le 27 octobre 1806, Napoléon entre à Berlin à la tête de ses troupes, moins d’un mois après l’ultimatum lancé par la Prusse à la France...

Guerres & Histoire HS No 4 • 47

1806 - La campagne de Prusse

LA PRUSSE MISE À GENOUX EN QUATRE SEMAINES

A FRÉDÉRIC BEY (voir biographie p. 24)

lors que Napoléon, dès le 12 juillet 1806, constitue la Confédération du Rhin pour y rassembler ses alliés allemands, la Prusse, inquiète que la Saxe l’abandonne au profit des Français, mène de secrètes négociations avec l’Angleterre et la Russie, qu’elle va réussir à entraîner dans la guerre à ses côtés. Spectateur passif de l’écrasement de l’Autriche en 1805, c’est en effet Berlin qui prend l’initiative, un an plus tard, de la rupture avec la France. Les préparatifs militaires s’engagent dès le mois d’août et s’accélèrent en septembre. Le 1er octobre, la Prusse émet un ultimatum exigeant que la France évacue la rive droite du Rhin avant le 8 octobre.

PAR

+

Pour aller loin Notes sur la Prusse dans sa grande catastrophe, Carl von Clausewitz, Ivrea, 1999. Iéna-Auerstaedt. Le triomphe de l’Aigle, F.-G. Hourtoulle, Histoire & Collections, 2007 Napoléon 1806, Denis Sauvage, Shakos, 2016.

La Prussienne est belliqueuse...

Napoléon réunit alors son armée sur le Main, au sud de la Prusse. Alors que la mobilisation prussienne pèche par sa lenteur et son ignorance des positions françaises, l’Empereur avait donné dès le 19 septembre des ordres pour réunir un groupe central (IIIe, IVe, VIe corps et Garde impériale) dans la zone Ansbach-Bamberg-AmbergWurtzbourg, couvert par le VIIe corps face à la Hesse, le Ve corps face aux débouchés de Thuringe et le Ier corps face aux débouchés de Saxe. La cavalerie légère est déployée sur un front large de 200 km, pour constituer un réseau de surveillance. L’armée prussienne est commandée par le vieux duc de Brunswick. Le roi Frédéric-Guillaume III, poussé par sa belliqueuse épouse Louise, est également présent. La principale faiblesse de l’armée prussienne réside paradoxalement sur ce qui fit sa force un demi-siècle plus tôt. Pétris de principes rigoureux et intangibles — discipline du soldat, automatismes des manœuvres, rigidité des formations —, ses chefs n’ont pas tenu compte des évolutions formidables apparues avec les guerres de la Révolution. Or Napoléon déclenche une offensive fulgurante vers la Saxe à partir du 8 octobre. L’armée est formée en 3 colonnes dans la disposition de « bataillon carré » : front égal à la profondeur (60 km), avant-garde précédant le gros de l’armée d’une journée, colonnes constituées de 2 corps à une demi-journée de distance et précédées d’une brigade de cavalerie, bagages réduits au minimum. La traversée des monts de Thuringe, isolant les différentes colonnes, est dangereuse, mais ce risque est compensé par la rapidité du mouvement. Les 9 et 10 octobre, les combats perdus de Schleiz et Saalfeld sont catastrophiques pour les Prussiens : le prince Louis-Ferdinand est tué et les débouchés sur la vallée de la Saale sont ouverts. En 4 jours, Napoléon a tourné le flanc gauche ennemi. Les

48 • Guerres & Histoire HS No 4

Prussiens, risquant d’être débordés et coupés de Berlin, doivent faire demi-tour pour affronter les Français. Mais par quelle route ? Pour le découvrir, Napoléon organise son armée en 4 groupes : 2 avant-gardes, l’une face au nord et l’autre face à l’ouest, soutenues par le gros de l’armée, la cavalerie de Murat devant occuper la plaine de Leipzig. Comme les Prussiens font mouvement vers Magdebourg, l’Empereur fait pivoter son dispositif vers l’ouest pour marcher à l’ennemi. Le 14 octobre, Napoléon engage les Prussiens à Iéna. Il croit affronter le corps principal de Brunswick, mais il ne s’agit que d’un détachement dirigé par Hohenlohe qui, en infériorité numérique, est mis en déroute. Vingt kilomètres au nord, Davout, avec le seul IIIe corps, livre et remporte à Auerstaedt une bataille défensive, à 1 contre 2,5, face à Brunswick. L’arrivée de Bernadotte lui permet de prendre l’offensive et de refouler les Prussiens. Brunswick est tué au cours de la bataille, la famille royale est contrainte à la fuite. Le 15, Murat lance ses cavaliers à la poursuite des débris de l’armée ennemie.

...mais la victoire foudroyante

Refoulés le 17 octobre lors des combats de Nordhausen et de Halle, les Prussiens, selon le Bulletin de la Grande Armée, « disparaissent comme un brouillard d’automne au lever du soleil ». La poursuite s’accélère, Berlin est occupé dès le 25. Les Français achèvent l’enveloppement des Prussiens, vaincus à Altenzaun et Zehdenick le 26 puis culbutés par les cavaliers français aux combats de Boizenburg le 27 et de Prenzlau le 28. La brigade infernale de hussards du général Lasalle, soutenue par les cavaliers de Milhaud et les fantassins de Roguet, achève le travail et s’empare de Stettin le 29 octobre. Blücher capitule à Lübeck le 7 novembre. Il ne reste guère au roi de Prusse, réfugié à Königsberg, que les 15 000 hommes du général L’Estocq. Ils sont pour l’instant hors de portée de la Grande Armée, d’autant que les Russes débouchent en Pologne à leur secours. En une semaine, entre les 9 et 15 octobre, Napoléon et sa Grande Armée ont totalement écrasé l’armée prussienne. Deux combats préliminaires, Schleiz et Saalfeld, puis deux grandes batailles, Iéna et Auerstaedt, auront suffi à faire basculer la Prusse dans la réalité d’un désastre qui va longtemps désespérer le pays, du simple soldat à la famille royale. Trois semaines de plus suffisent à la destruction complète des forces armées prussiennes, prises au piège entre l’Elbe et l’Oder. On n’avait encore jamais assisté, au cours de l’ère moderne, à une victoire aussi foudroyante dans une guerre opposant deux puissances européennes majeures. ■

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Armée française

Zehdenick Ku s t r in

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Les Bulletins de la Grande Armée – suite de ceux de la campagne d’Italie – donnent le récit officiel des opérations, souvent sous la dictée de Napoléon. Paraissant irrégulièrement, ils sont très lus dans l’armée, les écoles et même dans les villages où les maires en donnent des lectures publiques.

Le duc de Brunswick (1735-1806) est un vieux briscard prussien, dont les premières campagnes remontent à Frédéric II, et où il se montre au mieux. En revanche, il ne brille guère durant les guerres de la Révolution (sa défaite à Valmy) et prend sa retraite en 1794. Il reprend du service en 1806, pour pousser à la guerre contre la France. À nouveau commandant en chef, il se montre hésitant et connaît l’humiliation puis la mort à Auerstaedt.

En 1805, le général Lasalle – déjà légendaire – reçoit de Napoléon le commandement d’une brigade réunissant les 5e et 7e hussards. Elle est bientôt surnommée la brigade infernale, à la suite de la poursuite échevelée de l’armée prussienne après Iéna : 400 km en deux semaines, qui lui livrent 20 villes et forteresses ! Guerres & Histoire HS No 4 • 49

1806 - La campagne de Prusse

L’EMPEREUR ET SA GRANDE ARMÉE TRIOMPHENT À IÉNA 14 octobre 1806

D

epuis Bamberg, Napoléon a projeté et réussi une marche rapide dans le dos des Prussiens. À la suite des succès de Schleiz et Saalfeld, l’Empereur s’installe à Gera le 13 octobre. Après avoir craint un retour offensif des Prussiens, il est désormais convaincu d’un repli général de ses adversaires sur Magdebourg. Napoléon ordonne alors une conversion vers la gauche de la totalité de son armée dans le but de provoquer une grande bataille. Le Ve corps de Lannes qui est entré dans Iéna s’est ensuite établi par la force sur le plateau du Langrafenberg. Napoléon le rejoint vers 16 heures et observe à la lunette ce qu’il croit être le gros de l’armée prussienne. Il juge désormais probable — et souhaitable — une bataille décisive dès le lendemain.

Une nuit d’intenses préparatifs

L’Empereur décide de bivouaquer auprès de ses soldats. Les grenadiers du 40e régiment de ligne sont d’abord désignés pour organiser son campement et sa protection avant d’être relevés par les « grognards » de la garde impériale, dès son arrivée sur place. Lorsque la nuit tombe, Napoléon, qui s’inquiète de l’absence d’artillerie française sur le Langrafenberg, découvre qu’un convoi est bloqué dans un défilé très étroit. Il fait élargir le passage à coups de pioche par les soldats. Enfin, les premières pièces d’artillerie parviennent au sommet. Pour Napoléon, il est en effet capital de disposer de tous ses canons. Il se plaît d’ailleurs à répéter que « c’est avec l’artillerie que l’on fait la guerre ». Dans ce cas précis, l’ennemi sera d’autant plus surpris qu’il n’imagine pas les Français capables de disposer de leur parc d’artillerie sur le plateau. À Kapellendorf, Hohenlohe passe une nuit tranquille. Avec ses 35 000 hommes et les 15 000 de Rüchel, il ne devrait avoir aucun mal à vaincre les corps d’armée de Lannes et Augereau, qu’il pense isolés face à lui, s’ils commettaient la folie de venir l’attaquer. En aucun cas, il ne pense avoir à faire face à Napoléon et à la majeure partie de la Grande Armée. Au cours de cette nuit froide, les avant-postes de l’armée prussienne, dont les feux sont étendus sur plus de 20 kilomètres, se trouvent presque au contact de ceux de l’armée française, concentrée sur le seul plateau du Langrafenberg. À 6 heures, un épais brouillard prolonge l’obscurité nocturne. Napoléon d’un côté et Hohenlohe de l’autre disposent à cet instant de forces égales, mais le premier se croit en infériorité numérique alors que le second est persuadé du contraire. Comme à Rivoli, Marengo ou Austerlitz, Napoléon prévoit d’engager le combat avant que toutes ses forces soient parvenues sur le site envisagé de la bataille. C’est en alimentant celle-ci avec des troupes de plus en plus nombreuses qu’il compte l’emporter. 50 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol elfingen Nap ohenlohe-Ing Prince de H EFFECTIFS ts sur le mes présen 82 750 hom de journée, n fi taille en champ de ba t 60 000 environ seront en dont seulem engagés t en em tiv effec mes 53 000 hom et blessés PERTES et 7 500 tués 000 prisonniers, entre 4 000 15 s, sé ou bles ux capturés 12 000 tués et 30 drapea 200 canons DURÉE 6 h à 16 h 10 heures, de NTEMENT E L’AFFRO NATURE D rencontre Bataille de NNEL OPÉRATIO AT RÉSULT s Français de e èt pl m S Victoire co IONNELLE S OPÉRAT E mence C m N E co U Q ite CONSÉ ux, la poursu no ge à e is S Prusse m ATÉGIQUE re neuf ENCES STR CONSÉQU vaincue : il faudra enco t La Prusse es signer un traité de paix de mois avant

Au total, l’Empereur dispose, à portée de main, d’environ 80 000 hommes qui pourront participer à un moment ou à un autre aux combats du 14 octobre, sans tenir compte des corps de Bernadotte et de Davout, déployés plus au nord. À Iéna, les corps d’armée de Ney et de Soult, qui n’ont pas encore gravi le Langrafenberg, doivent entrer en scène après ceux d’Augereau et Lannes. La préoccupation principale de Napoléon est de déployer son armée dans la plaine, à partir de la position exiguë qu’il occupe sur les hauteurs. Pour cela il faudra faire preuve d’ordre et de méthode. C’est sans aucun doute pour cela que l’Empereur insiste sur un dispositif initial en deux lignes de deux corps d’armée chacune, afin d’éviter la confusion dans les rangs. Le point le plus important de son plan est la mise en place d’une grande batterie, composée des canons de la division Suchet et de ceux de la garde impériale. Son objectif : écraser de boulets les villages situés en contrebas et semer le désordre dans l’armée ennemie, avant l’attaque des fantassins français. Dans le camp prussien, c’est la dispersion des forces qui prédomine. Tauentzien, avec les brigades Zweiffel, von Schönberg et les troupes légères de von Bila, soit 6 500 hommes au total, a bivouaqué en arrière de Lützeroda et de Closewitz, ne laissant que quelques détachements en observation à l’avant des villages. Le

Her mstedt SAINT-HILAIRE

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55e L 43e L

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Dès le lever du jour, Lannes descend en premier des hauteurs du Langrafenberg pour venir affronter Tauentzien.

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Artillerie NERHT

gros des forces de Hohenlohe, environ 24 000 hommes, est dispersé dans un carré délimité par les quatre villages de Kötschau, Kapellendorf, Gross-Romstedt et Isserstedt. Enfin, Holtzendorff se trouve avec environ 5 500 hommes à Dornbourg. Les 35 000 hommes de Hohenlohe sont donc séparés en trois groupes distincts incapables de se soutenir immédiatement. Enfin, Rüchel est encore à Weimar, avec environ 15 000 combattants.

Une matinée dans le brouillard

À cause du brouillard intense, de la dispersion des troupes prussiennes et du fait de l’arrivée progressive des corps français sur les lieux, la bataille d’Iéna se décompose en une combinaison de quatre ou cinq affrontements, concomitants ou successifs. Napoléon donne l’ordre, dès le lever du jour, d’attaquer. Il a repéré les positions ennemies la veille, et malgré le brouillard, il ne déclenche donc pas le combat en aveugle. Lannes descend en premier des hauteurs du Langrafenberg pour venir affronter Tauentzien. Dans le camp prussien, seul le général von Grawert, à la tête de la 1re division, a pris de sa propre initiative une série de mesures qui permettent aux Prussiens de se préparer à l’assaut imminent des Français. De 6 h 30 à 9 heures du matin, les divisions Gazan et Suchet (Ve corps) livrent un combat acharné aux troupes de Tauentzien pour prendre le contrôle des villages de Closewitz, Cospeda et Lützeroda. L’action se déroule au centre du champ de bataille. Celle-ci prend de l’ampleur avec l’arrivée de Soult (IVe corps), qui, après avoir marché vers la zone des combats, prend à partie, entre 9 heures et 11 heures, les troupes du général Holtzendorff. L’action se déroule cette fois-ci sur le flanc droit de la Grande Armée. Dans le même temps, le gros des troupes prusso-saxonnes, sous Hohenlohe, et le VIe corps de Ney progressent vers le centre du champ de bataille. L’Empereur a prévu que, le moment venu, Ney déboucherait sur la droite de Lannes et Soult. Alors que Napoléon envoie de plus en plus de bataillons à l’assaut de l’ennemi, les troupes prussiennes

Closewitz

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DIVISION LEGRAND

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DIVISION LEVAL

Cospeda

P LAT EAU DU LA NGRAFENBERG

Fusiliers

subissent une série de revers sur chaque ligne de défense. Après ces premiers succès français, la bataille s’intensifie en avant du village de Vierzehnheiligen. Là, de 9 heures à 10 heures du matin, Lannes attaque la nouvelle ligne de défense établie par Tauentzien, entre Krippendorf et Vierzehnheiligen, deux kilomètres en arrière de la première qui a déjà cédé. L’attaque des Français pivote sur la gauche, afin de s’orienter sur un axe plein ouest. Le corps d’Augereau débouche à son tour à 10 heures, à l’extrême gauche du dispositif français. De son côté, Ney, à peine arrivé sur le champ de bataille, se lance dans la mêlée. À partir de 9 h 30 et jusqu’à 10 heures, il engage l’ennemi avec une remarquable énergie, mais se retrouve dangereusement isolé de reste de l’armée. Cette offensive précipitée donne lieu à de violents combats de cavalerie aux cours desquels les chasseurs à cheval et hussards français affrontent avec succès des cuirassiers ennemis, avant d’être débordés par le nombre. À cet instant, Napoléon se trouve en avant de la garde impériale. Il vient de suspendre par ailleurs ses attaques, dans le but de remettre de l’ordre dans son armée et d’y voir plus clair. Déconcerté par l’attaque précoce de Ney, qu’il aurait souhaité déclencher deux heures plus tard, après avoir achevé le déploiement de ses deux ailes et

La ville d’Iéna est dominée par les hauteurs boisées du Langrafenberg (220 m) et de Windknollen, qui débouchent vers l’ouest sur des plateaux ouverts et ondulés descendant jusqu’à Weimar et Apolda. Le terrain entre Iéna et Weimar est barré par trois lignes successives de villages.

La méthode d’attaque de l’armée prussienne repose avant tout sur l’infanterie. Elle correspond à une succession d’avances au pas cadencé et de tirs, en échelons, comme on a pu en voir une tentative à Valmy. Elle témoigne d’un conservatisme suranné et de ce que l’on pourrait considérer comme une forme d’aveuglement, au regard de ce que les dernières campagnes en Europe ont démontré : s’il y a un pays où les leçons d’Austerlitz n’ont pas été retenues, c’est bien en Prusse ! Guerres & Histoire HS No 4 • 51

1806 - La campagne de Prusse le rassemblement de sa cavalerie, Napoléon n’hésite pourtant pas longtemps. Maintenant que les troupes de Ney sont engagées, il ne lui reste plus qu’à les soutenir : l’Empereur envoie dans un premier temps la brigade de cavalerie de Trelliard à son secours. Entre 11 heures et 13 heures, les deux armées s’affrontent dans un combat général le long de la ligne Isserstedt-Vierzehnheiligen-Krippendorf.

Un après-midi dans la lumière

+

Pour aller loin Iéna. Octobre 1806, A. Blin, Perrin, 2003. Iéna et Auerstaedt. La victoire foudroyante, F. Bey, Quatuor, 2006. Iéna 1806, Frédéric Bey, VaeVictis no 71, 2006.

Le brouillard se dissipe enfin à la mi-journée. Augereau à gauche et Soult à droite sont désormais liés au centre de la Grande Armée. Hohenlohe, qui sent la bataille lui échapper, se décide à réagir. Mais face aux assauts furieux des Français, ses contreattaques en échelons (voir p. 51), menées de manière désuète et au pas cadencé, ne pèsent pas lourd. Si la première manque d’allant, la seconde, organisée autour de 28 escadrons de cavalerie tirés de la réserve, a, un temps, plus de succès. Mais ne parvenant pas à se soustraire à la pression que lui imposent les Français, Hohenlohe choisit d’attendre l’arrivée des renforts de Rüchel, en bombardant Vierzehnheiligen avec des obus incendiaires qui mettent le feu au village. Grâce à l’action des corps de Soult, d’Augereau et des premiers éléments de la réserve de cavalerie, Napoléon lance à partir de 13 heures une attaque sur toute la largeur du front. Elle se poursuit jusqu’à 14 h 30, sans que le corps de Rüchel n’ait pour l’instant le temps d’intervenir. L’offensive, qui voit tous les corps d’armée français attaquer de concert, a raison des lignes de résistance successives des Prussiens qui plient avant de rompre définitivement. Les villages tombent les uns après les autres aux mains des troupes françaises. L’ultime assaut de la Grande Armée est massif. Napoléon engage simultanément, de gauche à droite, le 105e de ligne, la totalité du corps de Lannes et la division Saint-Hilaire de Soult. Ney et la garde impériale se tiennent en réserve. À partir de 14 heures, le chaos s’installe dans les rangs ennemis, et les cavaliers français, épaulés par les fantassins, lancent alors la poursuite, sabre au clair. Sur un front désormais large de 9 kilomètres, la bataille tourne au désastre pour les Prussiens. À 14 h 30, Rüchel débouche enfin aux environs de Kapellendorf. À la tête des dernières troupes prussiennes organisées, il attaque en direction de Gross-Romstedt. Une fois sur le plateau, il est implacablement repoussé par des troupes françaises désormais très largement supérieures en nombre. À 15 h 30, l’armée prussienne n’est plus constituée que de longues colonnes de fuyards. La cavalerie des corps de Lannes et d’Augereau encercle et capture les derniers éléments des troupes saxonnes

Le chaos s’installe dans les rangs ennemis, et les cavaliers français, épaulés par les fantassins, lancent la poursuite, sabre au clair. de Zezschwitz. Soult bifurque de son côté vers le nord pour arrêter les soldats ennemis qui tentent leur chance en direction d’Apolda. À 16 heures, la bataille d’Iéna est terminée. Weimar est pris. Les Prussiens et les Saxons accélèrent leur retraite éperdue, désormais en direction d’Erfurt. Napoléon fait une apparition à Weimar. Il peut savourer sa victoire, car elle est totale : 12 000 Prussiens et Saxons sont tués ou blessés, 15 000 faits prisonniers, 200 canons et 30 drapeaux capturés ! Les pertes françaises se situent entre 4 000 et 7 500 tués ou blessés. La Prusse est à genoux. La raison principale de la défaite prussienne provient de l’incapacité de ses chefs à engager la totalité de leurs forces de manière coordonnée. Hohenlohe a dispersé ses troupes. Il s’est persuadé que Tauentzien pourrait arrêter à lui seul l’avant-garde française, il a cru trop longtemps nécessaire de maintenir les troupes de Holtzendorff à Dornbourg, il a voulu ménager les Saxons lorsqu’il s’est enfin décidé à contre-attaquer. À l’inverse, les Français sont entrés en action dès leur arrivée dans la zone des combats. Les maréchaux, en particulier Lannes et Ney, n’ont jamais tergiversé. Napoléon, enfin, apparaît comme le chef d’orchestre de ce triomphe : à titre de comparaison, Hohenlohe ne s’engage personnellement dans la bataille que 4 heures après le début de celle-ci, alors que la défaite des troupes de Tauentzien et de Holtzendorff est déjà consommée. Dans le même temps, Napoléon a inspecté le futur champ de bataille, organisé l’arrivée de son artillerie sur le plateau et soigneusement calculé les délais de marche nécessaires de chacun de ses corps d’armée avant de donner ses ordres. Murat parcourt ainsi 60 kilomètres de nuit pour rejoindre Iéna avec sa cavalerie, et combat sur 40 km pendant la journée du 14 octobre, jusqu’à Weimar ! Pour livrer la bataille décisive d’Iéna, les corps d’armée français ont tous marché, souvent plusieurs dizaines de kilomètres — sauf le corps de Lannes et la Garde, qui ont bivouaqué sur le Langrafenberg —, combattu, puis marché à nouveau pour poursuivre l’adversaire. ■

AUERSTAEDT, UNE OMBRE SUR LA VICTOIRE DE NAPOLÉON À IÉNA ? Napoléon ne connaissait peut-être pas exactement ni le nombre ni l’identité des forces qu’il a rencontrées à Iéna, il ne leur a pas pour autant épargné une destruction complète. Qui plus est, lorsque Napoléon entre à Weimar, il ne sait pas ce qui s’est passé à Auerstaedt. De ce fait, les historiens ont longuement échafaudé des interprétations contradictoires sur l’hypothèse que c’est le maréchal Davout qui aurait sauvé la journée du 14 octobre en remportant la difficile bataille d’Auerstaedt, livrée à 1 contre 2,5 face à l’armée du duc de Brunswick, à une vingtaine de kilomètres au nord d’Iéna. Auerstaedt, comme Iéna, est une bataille 52 • Guerres & Histoire HS No 4

de rencontre, que son ampleur a transformé en bataille décisive. Comme à Iéna, mais dans des conditions plus difficiles, Davout est parvenu à engager efficacement et de façon cohérente ses forces, alors que son adversaire ne lui opposait que des attaques parcellaires, au fur et à mesure que les régiments débouchaient sur le champ de bataille. La victoire d’Auerstaedt vaut-elle plus que celle d’Iéna ? Son déroulement remet-il en cause la valeur du plan général de Napoléon ? La question ne se situe pas vraiment là. L’Empereur est globalement à l’origine d’un éclatant succès qui

se matérialise lui aussi globalement au cours de double bataille d’IénaAuerstaedt. C’est bien Napoléon qui a décidé de détacher les jours précédents les corps de Davout et Bernadotte en direction de Naumbourg et au défilé de Kösen, pour y bloquer la route de Leipzig aux Prussiens. Il ne l’a pas fait par hasard, tout comme il n’a pas retenu sans réfléchir Davout, son meilleur maréchal, le plus autonome et le plus habile de ses lieutenants, pour accomplir cette mission périlleuse. Envoyer en avant le maréchal Davout et le IIIe corps, c’était pour l’Empereur un moyen de limiter ses risques, sachant

que cette grande unité de plus de 25 000 hommes serait capable de résister, le temps de lui envoyer du soutien, à n’importe quelle force adverse. Inutile donc de chercher une quelconque jalousie ou rivalité entre Napoléon et son lieutenant, qui recevra d’ailleurs sans tarder les récompenses et les honneurs dus à son incroyable exploit. Napoléon a simplement choisi d’envoyer le bon général au bon endroit et au bon moment. Malgré quelques accrocs et imprévus, le plan des opérations de Napoléon était, à la mi-octobre 1806, tout à fait magistral. Si Davout avait échoué, c’est Napoléon qu’il aurait d’abord fallu blâmer.

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Eylau, 8 février 1807 : Napoléon déclenche à midi une charge immense de cavalerie contre l’armée russe. La victoire est acquise mais elle est chère et sans bénéfice.

54 • Guerres & Histoire HS No 4 3

LA CAMPAGNE

DE POLOGNE 1807

Pour stopper l’avance des troupes russes et imposer le blocus continental au commerce britannique, la France doit se battre en Pologne. La campagne, et ses deux batailles majeures, Eylau en hiver et Friedland en été, marque l’apogée de l’Empire napoléonien.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 55

1807 - La campagne de Pologne

LES CHAUDS ET FROIDS DE LA GRANDE ARMÉE

F

ace à Napoléon, le tsar Alexandre se rêve en « protecteur » de l’Europe conservatrice. Il rend l’Autriche responsable de sa défaite d’Austerlitz, en 1805, et nullement découragé, rejoint la Prusse au sein de la coalition de 1806, dans l’espoir d’une revanche. Mais Iéna et Auerstaedt mettent l’armée prussienne hors-jeu dès le mois d’octobre, et lorsque les troupes russes de Bennigsen pénètrent en Pologne, Napoléon est déjà installé à Berlin.

Objectif de Napoléon, le blocus

FRÉDÉRIC BEY (voir biographie p. 24) PAR

À l’automne 1806, l’objectif de Napoléon est de poursuivre sa marche vers la Prusse-Orientale et la Pologne pour s’assurer le contrôle des côtes de la Baltique et permettre la mise en œuvre du décret sur le blocus continental (voir p. 64) tout juste signé à Berlin. Les premières escarmouches entre les deux armées ont lieu à la fin novembre sur la Vistule. Les Russes se retirent et les Français entrent triomphalement à Varsovie le 28 novembre. Désormais déployée le long du fleuve, entre Thorn et Varsovie, la Grande Armée est prête à lancer une offensive vers le nord, mais Napoléon hésite à s’engager dans une campagne d’hiver. Pendant ce temps, les Russes accélèrent la concentration de leurs forces. Bennigsen dispose désormais de quatre divisions à Pultusk et deux autres divisions rassemblées plus au nord, à Golymin, pour maintenir le contact avec les troupes prussiennes qui rétrogradent alors vers l’est. Le 15 décembre, Napoléon se décide à lancer une vigoureuse offensive sur toute la ligne de front, mais le temps exécrable et la boue l’empêchent de réussir une manœuvre de débordement. Le 26 décembre 1806, Lannes et ses 20 000 hommes attaquent directement les 37 000 hommes

La quatrième coalition regroupe l’Angleterre, la Prusse, la Russie et la Suède. L’Autriche, vaincue à Austerlitz et qui a signé le traité de Presbourg, n’en fait bien entendu pas partie.

56 • Guerres & Histoire HS No 4

Levin August von Bennigsen (1745-1826) est un officier allemand entré au service la Russie en 1773. Battu à Eylau et à Friedland, on le reverra toutefois à Borodino (1812) et à Leipzig (1813) où il est anobli par le tsar.

de Bennigsen à Pultusk, tandis que Davout assaille les deux divisions de Golymin et que Ney repousse L’Estocq de Soldau. Les combats sont acharnés et les pertes sont lourdes. Les Russes se replient vers Ostrolenka, puis en direction de Königsberg tout en affirmant avoir obtenu la victoire. À la fin janvier, Napoléon et Bennigsen échafaudent de nouveaux plans. Le général russe remet son armée en marche, dans l’idée d’effectuer un mouvement qui contournera la gauche française. Napoléon concentre alors les corps de son armée vers Willenberg. Il demande à Ney de couvrir le front et de retarder Bennigsen, et lance Bernadotte dans une manœuvre de contournement des Russes sur leur droite, en direction d’Eylau. C’est le schéma avorté de la manœuvre de Pultusk qui est en quelque sorte remis à l’ordre du jour. Après un premier contact et des premiers affrontements à Jonkowo, Bennigsen, conscient des tentatives de débordement dont il est la cible, abandonne son plan. Il rétrograde à toute vitesse vers Königsberg, via Landsberg et Eylau. C’est là, le 7 février 1807 que les deux armées se retrouvent face à face pour une des plus effroyables boucheries de toute l’épopée napoléonienne. La bataille, frontale et sans artifice, provoque des pertes apocalyptiques : entre 15 000 et 20 000 Français sont mis hors de combat, les Russes déplorent 11 000 morts et un total de pertes supérieur aux Français. Malmené, Napoléon va passer près d’une semaine sur le champ de bataille, pour prouver à l’Europe qu’il est bien le vainqueur de la bataille d’Eylau.

Une brillante manœuvre

Après un siège difficile, Dantzig tombe enfin le 27 mai aux mains des Français. Au début du mois de juin 1807, Napoléon a reconstitué en Pologne une armée de 100 000 hommes, avec l’apport de nouveaux conscrits et des renforts venus d’Italie avec le maréchal Masséna. Bennigsen dispose de 85 000 hommes aux alentours de Heilsberg, au sud de Königsberg. L’Estocq et 5 000 Prussiens couvrent son flanc droit, jusqu’à la Baltique, et 18 000 Russes, dirigés par Tolstoï, sont déployés à Ostrolenka, bien plus au sud et sans liaison directe avec l’armée principale. En livrant le VIe corps de Ney en appât à l’offensive lancée le 5 juin par Bennigsen, Napoléon va réussir une des plus belles manœuvres de sa carrière : il attire volontairement les Russes vers le sud, où se trouve le corps de Davout, prêt à servir de pivot immobile à l’opération préparée par Napoléon. L’Empereur donne l’ordre à Davout de rétrograder lentement,

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puis de bloquer Bennigsen pendant qu’il débordera le flanc droit des Russes avec le reste de l’armée. Les jeux sont faits dès le 11 juin. Profitant à plein de l’action aspirante de Ney, Napoléon se retrouve solidement installé avec toute son armée entre Königsberg et Bennigsen. Ce dernier, dépassé par les événements, passe la rivière Alle vers l’est le 13 juin au soir par l’unique pont de Friedland. Napoléon réussit le lendemain, à l’échelle tactique, le même coup de génie que celui réussi à l’échelle stratégique depuis le 5 juin, avec cette fois le corps d’armée de Lannes comme appât. Le croyant isolé devant lui,

25 Déc.

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P loc k

Varsovie

Bennigsen retraverse l’Alle le 14 juin au matin pour venir l’attaquer en force. Il ne sait pas que dans la nuit précédente Napoléon a déjà organisé la concentration de ses troupes pour contre-attaquer dans l’après-midi du 14 juin. Les Russes, qui combattent désormais le dos à la rivière, sont écrasés. La victoire française est cette fois complète, la moitié des 60 000 hommes de Bennigsen sont hors de combat. Le 16 juin, Soult s’empare de Königsberg. Napoléon et le tsar Alexandre se rencontrent sur le radeau de Tilsit à partir du 7 juillet pour conclure une paix qui marque l’apogée de l’empire napoléonien. ■

Pour aller

+ loin

D’Eylau à Friedland, F.-G. Hourtoulle, Histoire & Collections, 2007. Jours de Gloire Campagne II : La Pologne, Frédéric Bey, VaeVictis no 47, 2007.

Guerres & Histoire HS No 4 • 57

1807 - La campagne de Pologne

EYLAU, UNE VICTOIRE DOULOUREUSE 8 février 1807

L

e général russe Bennigsen lance par surprise, à la mi-janvier 1807, une audacieuse offensive d’hiver. Rapidement en difficulté, il se résout très vite à rétrograder vers Königsberg. Les Français, Murat et sa cavalerie en tête, accrochent son arrière-garde les 6 et 7 février près du village d’Eylau. Napoléon, bien qu’en infériorité numérique, ne veut pas laisser échapper son adversaire. Bennigsen dispose sans doute de 64 000 hommes. D’autres sources parlent de 72 000 à 80 000 hommes. Son front, à plus d’un kilomètre d’Eylau, s’étend en largeur sur 4 500 mètres. L’infanterie est déployée en ordre serré sur deux lignes. La cavalerie couvre les deux ailes, avec un groupe en réserve au centre. La particularité du dispositif russe réside dans la mise en place de trois grandes batteries d’artillerie.

Quatre kilomètres de front

Napoléon a réparti les 45 000 hommes dont il dispose de manière plus dispersée pour couvrir au total 4 000 mètres de front. Le corps du maréchal Soult est en première ligne, sur toute cette longueur. Dans le plan général de Napoléon, la décision doit venir des troupes qui ne sont pas encore arrivées sur le champ de bataille : Davout (15 000 hommes) qui est alors à 15 km d’Eylau, et Ney (14 500 hommes), occupé à surveiller les Prussiens de L’Estocq à près de 35 kilomètres de la gauche de l’armée. La cavalerie est déployée en réserve. Tôt dans la matinée du 8 février, la garde impériale se positionne aux abords de l’église d’Eylau et le corps d’Augereau se place sur la droite du corps de Soult. L’Empereur compte attaquer par les ailes avant de frapper au centre. Bennigsen se satisfait de sa position d’attente et espère écraser les Français grâce à son artillerie. La bataille s’ouvre, peu

Sur la droite, la première des trois batteries russes compte 40 pièces lourdes et 20 légères. Massée devant Eylau, en plein centre de la ligne russe, la deuxième batterie rassemble 70 pièces lourdes. Enfin une troisième batterie de 40 pièces lourdes est placée entre la deuxième batterie et le village de Klein-Sausgarten. 58 • Guerres & Histoire HS No 4

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après 8 heures, par une terrible canonnade. Sur la gauche de la Grande Armée, Français et Russes lancent sans grand succès leurs premières attaques. Les choses sérieuses commencent à 9 heures, lorsque Napoléon décide d’attaquer sur sa droite, en profitant de l’arrivée progressive sur le champ de bataille des divisions du Ier corps de Davout. La division Saint-Hilaire, séparée du reste du IVe corps et placée sous les ordres directs de l’Empereur, est envoyée à la rencontre des unités de pointes de Davout pour mener cette offensive qui connaît de jolis succès jusqu’à 10 heures. Les Russes la stoppent enfin grâce à leur cavalerie avant de reculer sur une ligne perpendiculaire à celle de leur centre. C’est alors que Napoléon décide de porter ce qu’il pense être le coup de grâce, en lançant le VIIe corps d’Augereau contre le centre ennemi. Mais les deux divisions s’égarent à cause d’une terrible tempête de neige. Elles marchent parallèlement à la ligne de front russe et débouchent face à leur principale batterie, qui ouvre le feu à la mitraille et

Après une expérience à moindre échelle à Austerlitz, Napoléon décide, avec la grande charge d’Eylau, d’utiliser sa cavalerie comme une force de choc offensif, comme une arme de pénétration capable de rompre les dispositifs défensifs les plus solides. La cavalerie se voit confier une mission autonome qui n’entre pas dans le cadre d’une combinaison inter-armes.

provoque des pertes effroyables. Bennigsen exploite ce carnage en lançant une partie de ses réserves dans la bataille. La situation est désormais fort compromise, car la cavalerie russe s’engouffre dans le trou béant laissé par le VIIe corps qui reflue en déroute.

Napoléon se refuse à lancer la Garde à pied dans la bataille. À 15 heures, il est rassuré et rentre à Eylau. Mais L’Estocq est parvenu à se soustraire à la poursuite du maréchal Ney. Débouchant sur l’aile droite russe, les Prussiens traversent le champ de bataille pour aller contre-attaquer sur la gauche de Bennigsen. Face à ces troupes fraîches, les Français reculent à nouveau. Ney débouche alors à son tour sur le champ de bataille à partir de 18 heures. En attaquant vers 19 heures sur l’arrière du flanc droit russe, alors que la nuit tombe, Ney provoque la retraite de Bennigsen. Les combats se poursuivent jusque tard dans la nuit, les Russes contre-attaquant pour couvrir leur retraite en direction de l’Alle. L’Estocq gagne de son côté Königsberg. L’épuisement des régiments de cavalerie français rend néanmoins toute tentative de poursuite très difficile. Le lendemain, Napoléon découvre avec stupeur l’ampleur de ses pertes. Avec 5 000 morts (dont 16 généraux) et 15 000 blessés, son armée est saignée à blanc. Le bilan est encore pire pour les Russes : 7 000 tués, 5 000 blessés abandonnés sur place et 15 000 autres évacués vers Königsberg. Les Français ont fait 4 000 prisonniers, portant à 30 000 hommes le nombre de Russes hors de combat. Les Prussiens ont perdu 900 hommes. Si la victoire française est incontestable, Russes et Français regagnent leurs quartiers d’hiver sans avoir obtenu le moindre bénéfice de la bataille d’Eylau. ■

Une charge de 11 000 chevaux

Une colonne offensive de 4 000 Russes approche maintenant du cimetière d’Eylau. Avec sang-froid, et pour la première fois depuis Marengo, l’Empereur envoie un bataillon de la Vieille Garde pour les repousser. Il fait rassembler par Murat toute la cavalerie disponible, soit 80 escadrons et près de 11 000 chevaux. L’objectif est de briser les trois lignes d’infanterie russe placées au centre du front, protégées par leur grande batterie. La grande charge est déclenchée à midi. Les dragons de Grouchy nettoient le terrain avant que les cuirassiers d’Hautpoul ne chargent, ouvrant une brèche dans les deux premières lignes ennemies. Napoléon engage la Garde à cheval pour enfoncer le clou. Grenadiers et chasseurs à cheval partent à l’assaut. Au terme de cette charge immense et spectaculaire, 3 000 cavaliers français sont hors de combat, mais leur mission est accomplie. Le centre de la Grande Armée est rétabli, et Bennigsen ne peut plus envisager la moindre action offensive sur Eylau. Sans nouvelles concrètes de Ney et des Prussiens de L’Estocq,

Pour aller

+ loin

Eylau (8 février 1807), Frédéric Naulet, Economica, 2007. Eylau 1807, Frédéric Bey, VaeVictis no 77, 2007.

L’Empereur veut attaquer par les ailes, puis frapper au centre. Quant à Bennigsen, il espère l’écraser par son artillerie.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 59

1807 - La campagne de Pologne

FIN DE PARTIE POUR LES RUSSES À FRIEDLAND 14 juin 1807

A

u début de juin 1807, Napoléon a reconstitué la Grande Armée, désormais forte de 600 000 hommes sous les armes, Français et alliés, dans toute l’Europe. Seuls 100 000 hommes, dont ceux du corps de Masséna, rappelé d’Italie, vont participer activement à l’offensive d’été contre les Russes en Pologne, dans l’espoir d’obtenir une victoire et la paix. Bennigsen est à la tête de forces à peu près égales dans cette région, dont environ 10 000 Cosaques. Le Russe s’appuie sur Königsberg, dernière grande ville prussienne à ne pas être tombée aux mains de Napoléon.

Bennigsen dans la souricière

Le fantasque général décide d’aller attaquer Napoléon — qu’il nomme par provocation le « vaincu d’Eylau » — en marchant sur la basse Vistule. L’Empereur, qui souhaite couper les Russes de Königsberg, est un instant pris de court. Il a rangé ses corps d’armée le long de la Passarge : du nord au sud, on trouve Bernadotte (Ier corps), Soult (IVe corps) et Davout (IIIe corps). La réserve de cavalerie et la garde impériale sont en arrière. Lannes, avec la réserve d’infanterie, et Mortier (VIIIe corps), sont entre Dantzig et la Passarge. L’armée polonaise, commandée par Poniatowski, occupe la Pologne et couvre le flanc droit, en liaison avec Masséna. Napoléon va réussir sa première manœuvre, grâce au VIe corps du maréchal Ney, établi à Altkirch, en avant du front français. Le 5 juin 1807, Bennigsen lance en effet une offensive sur Ney qui lui est livré en appât et qui va l’entraîner, en se retirant, dans une véritable souricière. Dès le 11 juin, profitant à plein de l’action aspirante de Ney, Napoléon parvient à se placer, avec une grande partie de son armée, entre Königsberg et Bennigsen. Ce dernier, dépassé par les événements, franchit en catastrophe la rivière Alle vers l’est, à

Le général Alexandre-Antoine Hureau de Sénarmont (1769-1810) organise à Friedland ses canons en deux batteries de 15 pièces – il en garde 6 en réserve – qu’il déploie sur les flancs de la division Dupont. Mais il avance plus vite que les fantassins, et attaque ainsi seul le centre de l’armée russe. Les attelages tractant les pièces foncent, suivis à la course par les artilleurs. C’est une sorte de « charge d’artillerie ». La batterie, qui tire 2 600 coups en trois heures, de très près (entre 100 et 400 m des cibles), cause des pertes immenses aux Russes. 60 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap Bennigsen EFFECTIFS mes le matin 26 000 hom près-midi l’a 0 puis 80 00 mes m ho 0 00 60 0 blessés PERTES ns 0 tués et 6 30 environ 1 70 000 blessés et 80 cano ,7 11 000 tués 22 h 30 DURÉE , de 8 h 00 à 14 heures 30 MENT TE N O R bataille E L’AFF NATURE D e Bennigsen dans une tir Napoléon at piège NNEL OPÉRATIO RÉSULTAT e gn mpa Fin de la ca POLITIQUE AT LT U S RÉ té de Tilsit e par le trai lu nc Paix co

Friedland, le 13 juin au soir, dans l’espoir de regagner Königsberg où se sont déjà réfugiés L’Estocq et ses 5 000 Prussiens. Bennigsen découvre dans la matinée du 14 juin la présence de l’avant-garde française constituée des 26 000 soldats du corps de réserve de Lannes. En effet, Napoléon avait sciemment lancé la veille son maréchal, qui était alors à Eylau, à la poursuite de Bennigsen pour tenter de le pousser une nouvelle fois à la faute. Le général russe, jugeant Lannes isolé et donc une proie facile, commet l’imprudence de retraverser l’Alle vers l’ouest avec ses 60 000 hommes, en utilisant le pont de bois fixe et trois ponts de bateaux de Friedland. Il déploie ensuite son armée, dos à la rivière, pour engager la bataille. Il ignore que depuis le 13 juin au soir, Napoléon fait converger plus de 50 000 hommes des corps de Ney, Mortier, Victor (qui vient de remplacer Bernadotte blessé), de la garde impériale et des divisions de cavalerie Grouchy et Latour-Maubourg vers Friedland. De 8 heures à 13 heures, Lannes mène une éprouvante bataille défensive pour contenir les colonnes russes que Bennigsen lance contre lui. Il reçoit bientôt le soutien de la division Verdier du corps de Mortier, puis de la grosse cavalerie de Nansouty. Les Russes perdent du temps en cherchant à combiner aux mieux leurs actions. Finalement, Gortchakov attaque Heinrichsdorf, sur la route de Königsberg, et Bagration Posthenen, sur la route d’Eylau. Mortier déploie son artillerie et stoppe la poussée russe contre la

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Les troupes ennemies sont bientôt entassées dans Friedland, accablées par les tirs à la mitraille des canons français. droite française. Lannes, avec une parfaite maîtrise tactique, utilise les moindres replis du terrain pour tenir. Les grenadiers d’Oudinot et les cuirassiers de Nansouty parviennent à boucher les brèches ouvertes par l’ennemi. Napoléon, qui était à Eylau à 10 heures, arrive sur le champ de bataille un peu après midi, au moment où les Russes marquent une pause. Il observe les positions ennemies à la longue-vue et arrête son plan : s’emparer des ponts de Friedland, en plein centre, et détruire les deux ailes russes acculées à la rivière.

Napoléon attaque par la droite

À 13 heures, Napoléon s’installe à Posthenen et prend personnellement la direction de la bataille. Il fait monter progressivement en ligne les renforts qui arrivent de toute part. Disposant à 17 heures de 80 000 hommes, il lance d’abord son offensive sur la droite. Le maréchal Ney traverse les bois de Sortlack, pour atteindre une boucle de l’Alle. Les canons russes de la rive droite de la rivière font néanmoins des dégâts dans les rangs français. Une contreattaque de la garde à cheval russe est arrêtée par la cavalerie de Latour-Maubourg et l’offensive lancée par Victor. Bientôt confinés dans la boucle de l’Alle, les Russes tentent de se dégager, mais sans succès. La défaite de Bennigsen est désormais scellée. L’offensive décisive des Français a lieu en plein centre, appuyée par la batterie du général Sénarmont. La division Dupont, accompagnée

des cavaliers de Latour-Maubourg et du reste du corps de Victor, renverse les troupes ennemies qui se retrouvent bientôt entassées dans le village de Friedland, accablées par les tirs à la mitraille des canons français. Bennigsen est personnellement parvenu à franchir l’Alle, mais les ponts sont bientôt détruits par les tirs des Français et les soldats de son aile gauche n’ont plus d’autre solution que de se jeter dans la rivière. Ney et Dupont font alors leur jonction dans le village en flammes. L’offensive de Napoléon continue à se développer jusqu’à l’extrême gauche du dispositif français. Dos à la rivière, les Russes résistent comme ils le peuvent. Gortchakov tente de reprendre Friedland aux Français. Après avoir pénétré un instant dans le village, ses troupes sont refoulées vers le nord. La colonne située à l’extrême droite de la ligne russe découvre un gué qui permet à Gortchakov de sauver quelques milliers d’hommes. À 22 h 30, les Russes déplorent 11 000 morts, 7 000 blessés et un nombre difficile à évaluer de noyés. Ils abandonnent 80 canons et des dizaines de drapeaux. Napoléon a perdu 1 700 tués, et environ 6 300 Français sont blessés. Si la lutte a été chaude, le succès de Napoléon est total. L’Empereur a manœuvré pour obtenir une bataille décisive le 14 juin, jour anniversaire de Marengo, et il est parvenu à ses fins de la plus brillante des manières. Il cherche ainsi à marquer les esprits et à obtenir avec le traité de Tilsit, fruit de sa victoire, la manifestation de l’apogée de son Empire. ■

Pour aller

+ loin

La Victoire. Juin 1807, Yves Amiot, Librairie José Corti, 1980. La Bataille de Friedland, Didier Rouy, Azure Wish Enterprise, 1996.

Guerres & Histoire HS No 4 • 61

LA CAMPAGNE

D’ESPAGNE 1808

Dans un pays où la population rejette la présence française, la campagne ne s’apparente pas à un affrontement militaire entre deux armées, mais bien à une occupation se heurtant à une résistance. Une situation complexe pour Napoléon et son état-major. 62 • Guerres & Histoire HS No 4

Le 30 novembre 1808, à Somosierra, le 3e escadron de chevau-légers polonais, de service auprès de l’Empereur, charge les batteries espagnoles.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 63

1808 - La campagne d’Espagne

NAPOLÉON MANŒUVRE EN TERRE HOSTILE

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PATRICK BOUHET

(voir biographie page 40)

a défaite de la flotte franco-espagnole à Trafalgar, le 21 octobre 1805, d’abord, et la menace des puissances autrichiennes, russes et prussiennes à l’est, ensuite, ont enlevé tout espoir à Napoléon d’agir directement et de manière décisive sur le sol britannique. En conséquence, le 21 novembre 1806, il a signé le décret dit de « Berlin » qui ferme l’ensemble des ports du continent européen au commerce britannique pour l’attaquer dans ce qu’il pense être un point faible majeur. L’application stricte de cette mesure est toujours à l’ordre du jour en 1808. Les aménagements, politiques et économiques, n’apparaîtront en effet que vers 1810. Le blocus continental, réponse au blocus naval, constitue le pilier d’une véritable guerre économique conduite par l’Empire français contre le Royaume-Uni. Faute de guerre d’escadres, il faut contrôler les ports. Une autre raison peut expliquer certaines décisions : la volonté de Napoléon de reconstituer une marine suffisamment puissante pour s’opposer à la Royal Navy. Pour atteindre ce but, il doit s’appuyer sur tous les moyens de ses alliés, des marines de guerre constituées aux ressources naturelles disponibles. Ou a minima neutraliser, comme l’ont fait les Britanniques, les forces navales qui pourraient faire pencher la balance encore plus au profit de ceux-ci. C’est pourquoi, le Portugal, allié économique de la Grande-Bretagne, est attaqué par Junot avec l’aide de l’Espagne en application d’une convention secrète. Des troupes françaises d’appui entrent en Espagne sous les commandements de Moncey et Dupont. Murat, nommé commandant en chef en Espagne, le 20 février 1808, rêve déjà d’une couronne qui correspondrait à son ambition et à celle de son épouse Caroline, sœur de l’Empereur.

Charles IV (17481819) est un souverain faible, dominé par son entourage. Son fils Ferdinand complote contre lui. En mars 1808, il abdique en faveur de son fils, puis le force à lui rendre sa couronne et la transmet à Napoléon Ier. 64 • Guerres & Histoire HS No 4

Manuel Godoy (1767-1851), favori et amant de la reine Marie-Louise, devient Premier ministre en 1792 et exerce quasiment seul le pouvoir. Par sa politique incohérente, il est discrédité, haï de tous, et devient la marionnette de Napoléon. Arrêté en mars 1808, il finit sa vie en exil.

Les tensions internes à la couronne d’Espagne qui opposent Charles IV à son fils Ferdinand, le rôle du Premier ministre Godoy et les soubresauts d’une société tiraillée entre extrême conservatisme, vu de France, et progressisme des Lumières forment l’arrière-plan qui transforme la péninsule ibérique en poudrière et en piège. Mais Napoléon, guidé par sa méfiance vis-à-vis de la solidité de l’alliance espagnole, ses objectifs stratégiques et son souhait de poursuivre aussi la politique de Louis XIV qui a permis de créer des liens du sang entre les deux monarchies, profite de la situation. Le 2 mai 1808, un soulèvement antifrançais et de soutien à Ferdinand est écrasé par Murat à Madrid. Le 5 mai, à Bayonne, à la suite de manœuvres diplomatiques et personnelles de Napoléon, Ferdinand VII abdique. La couronne est proposée à Joseph Bonaparte, alors roi de Naples, le 10.

Une invincibilité mise à mal

Mais militairement, les choses s’engagent très mal. En Espagne, le général Dupont placé à la tête d’un corps d’armée capitule, dans des conditions terribles à Bailén. La réputation d’invincibilité des armées impériales est mise à mal, la situation est telle que Joseph abandonne Madrid, le 22 juillet 1808. Au Portugal, Junot est battu et doit capituler, dans des conditions honorables, face aux Britanniques venus soutenir leur allié en août 1808. La Prusse, l’Autriche et la Russie se remettent lentement des campagnes de 1805, 1806 et 1807. Ce théâtre d’opérations semble sûr et calme. Davout et Oudinot, principalement, assurent la sécurité à l’est des frontières de l’Empire en bénéficiant de l’appui des armées de la Confédération du Rhin et du Grand-Duché de Varsovie. Aussi Napoléon pense qu’il peut régler les affaires espagnoles et portugaises personnellement et conduit une armée de 150 000 à 200 000 hommes contre les forces espagnoles réunies contre Joseph et lui. Il doit d’une part retrouver le prestige perdu à Bailén, d’autre part en terminer avec ses adversaires, y compris avec l’armée du général Moore (voir p. 67) ce qui mettrait fin à la présence britannique dans la péninsule et surtout au soutien qu’elle apporte à la résistance portugaise et espagnole. L’armée d’Espagne est composée d’une réserve de cavalerie sous les ordres de Bessières et de 7 corps d’armée (Victor, Lefebvre, Mortier, Ney, Soult, Moncey, Gouvion St-Cyr) et de la garde impériale. La campagne débute le 6 novembre avec l’arrivée de Napoléon à Vitoria. L’objectif est de percer le centre des lignes espagnoles qui s’étendent de la Catalogne à la Galice, puis de détruire les armées

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Objectif : percer le centre des lignes espagnoles, de la Catalogne à la Galice, puis détruire les armées ennemies isolées. ennemies isolées les unes des autres à partir de la position centrale conquise. Dans la foulée, il s’agit aussi de reprendre Madrid et de réinstaller Joseph sur son trône. Dès le 10, Soult occupe Burgos tandis que Victor l’emporte le 11 contre les forces espagnoles des généraux Blake et de La Romana. Le 23, c’est Lannes, qui vient d’arriver, qui l’emporte à Tudela. La manœuvre n’atteint pas tous les objectifs espérés car toutes les armées espagnoles n’ont pas été détruites, mais Napoléon entre à Madrid le 4 décembre.

Les Anglais en embuscade

Renseigné alors sur les mouvements britanniques, il se retourne contre eux. Agissant depuis Lisbonne vers Salamanque, Moore espère aider les armées espagnoles en menaçant le flanc et les arrières français. Le 29 décembre, après une affaire d’avant-garde défavorable à la cavalerie de la Garde, tombée dans une embuscade de la cavalerie anglaise, l’Empereur arrive à Benavente. Le 1er janvier à Astorga, il se rend compte que Moore s’échappe ; il charge Soult et Ney de la poursuite et repart vers Valladolid dans l’attente d’informations en provenance de France. Mais les nouvelles sont mauvaises : des intrigues politiques renaissent à Paris

parce qu’il est absent ; l’Autriche, profitant de son engagement en Espagne, réarme et pense profiter de la situation pour venger la campagne de 1805. Le 23 janvier, Napoléon est revenu à Paris. Cette courte campagne d’Espagne est à l’image des guerres menées par Napoléon. Ce sont souvent les événements qui lui commandent. La multiplicité des adversaires implique toujours le risque d’être attaqué là où il n’est plus. Par ailleurs, la stabilité du régime impérial n’est pas suffisante pour qu’une longue absence ne comporte pas de risques intérieurs. Enfin, la campagne d’Espagne démontre aussi les limites du système napoléonien. La prise de la capitale, la victoire sur le champ de bataille, ne sont pas suffisantes pour obtenir la paix souhaitée par Napoléon. Le terrain, notamment par son manque de communication et les faibles capacités logistiques — d’autant plus au milieu d’une population majoritairement hostile —, ne permet pas non plus d’emporter des victoires majeures voire décisives dans des délais courts. Napoléon ne reviendra jamais en Espagne, qu’il ne verra plus que sous un prisme stratégique en laissant la direction des opérations à son frère Joseph et ses maréchaux, dont seul un petit nombre sortira grandi. ■

Pour aller

+ loin

L’Espagne contre Napoléon, J.-R. Aymes, Nouveau Monde/ Fondation Napoléon, 2003. A History of the Peninsular War, Sir Charles Oman (dir.), Greenhills Books, 1999. Tomb for an Empire, Francisco Ronco, Bellica Third Generation, 2009.

Guerres & Histoire HS No 4 • 65

1808 - La campagne d’Espagne

LES POLONAIS À L’ASSAUT DU COL DE SOMOSIERRA Le 30 novembre 1808

L

e premier objectif de la campagne est de regagner la couronne de Joseph. Pour cela, il faut reprendre Madrid, après avoir rompu la ligne de défense espagnole. Seulement voilà : la route de Burgos à Madrid passe par un col, ou plutôt des gorges, Somosierra. Le 30 novembre 1808, l’Empereur ordonne au maréchal Victor d’ouvrir la voie vers la capitale. Cependant, la position espagnole est forte. La route traverse, en effet, un défilé de six kilomètres de long et s’élève de 300 m, jusqu’à 1 440 m ; il faut aussi franchir un pont de pierre somme toute assez étroit. Les Espagnols sont disposés de façon à barrer cet accès : l’infanterie assure les flancs tandis que quatre batteries sont installées aux coudes successifs formés par la route. Cela représente 22 pièces en tout. La première batterie prend par son tir le pont en enfilade, la dernière couvre le col de ses feux. Le dispositif mis en place par le général San Juan semble tirer le meilleur parti du terrain et des moyens dont il dispose.

Guerre dans le brouillard

L’action débute vers 9 heures. Le brouillard matinal est encore très dense. C’est la division du général Ruffin (9e léger, 24e et 96e de ligne) du corps de Victor qui engage la progression. Le dispositif français, qui repousse dans un premier temps les avant-postes espagnols, est le suivant : le 96e de ligne, avec six pièces, avance par la route, le 24e de ligne sur sa gauche et le 9e léger sur la droite, sur les pentes. L’intention première du maréchal Victor est de déborder les positions ennemies par les deux flancs. Mais le terrain est difficile et le feu espagnol suffisamment dense pour freiner les 24e de ligne et 9e léger. Le 96e arrive donc seul face à la première batterie espagnole, et ne peut lui opposer, depuis la route, que deux pièces. Elles ne suffisent pas à soutenir la progression qui est donc bloquée au niveau du pont. Cela fait déjà trois heures que les combats ont débuté. Le brouillard s’est dissipé. L’Empereur, accompagné de la cavalerie de la garde impériale, est présent depuis une heure. Un escadron d’un des régiments de la Garde est toujours de service auprès de lui. Ce jour-là, c’est le 3e escadron du très récent régiment de chevaulégers polonais. Les autres unités sont en arrière, formées en colonne au bord de la route. Napoléon envoie des reconnaissances, en particulier le chef de bataillon Lejeune. Il juge que les choses ne vont pas assez 66 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol Juan Nap Benito San Général Don EFFECTIFS nons mes et 12 ca ns 33 500 hom cano 22 et es m 12 500 hom

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vite : il ordonne alors à la cavalerie d’agir. L’escadron de service est en tête. La charge va durer sept, huit minutes tout au plus. Sur 150 cavaliers polonais, 57 sont tués ou blessés. Mais les quatre batteries espagnoles sont prises. Les troupes du général San Juan, dont bien peu ont réellement participé au combat, se débandent — le général lui-même sera massacré par ses propres hommes quelques semaines plus tard. Le verrou qui bloquait la route vers Madrid a été brisé.

Un mouvement d’humeur ?

La victoire assurée, l’épisode devient un élément majeur de la geste héroïque de l’Empire, et des Polonais ayant servi sous les aigles françaises en particulier. Cependant, la décision peut être interrogée : mouvement d’humeur de l’Empereur face aux tentatives de faire rétablir l’ordre par certains de ses subordonnés, ou volonté de ne pas perdre le temps qui permettrait aux Espagnols de renforcer les défenses de Madrid ? En un mot, était-ce un expédient ou une analyse adéquate du contexte ? Il n’en reste pas moins que la surprise, la rapidité et l’effet moral de la charge ont débloqué la situation. Napoléon arrive devant Madrid le 2 décembre 1808 et découvre que la cité a été mise en état de défense. Vers 15 heures, la division Lapisse du corps du maréchal Victor (16e léger, 45e, 8e et 54e de ligne) attaque le secteur nord-ouest de la ville. La nuit venue, les premières maisons sont emportées. Le 3 décembre, une sommation est envoyée aux défenseurs ;

sans succès. Les opérations de siège reprennent alors et une brèche est ouverte dans les murs du Buen Retiro. La division Villatte (27e léger, 63e, 94e et 95e de ligne), envoyée à l’assaut, pénètre dans la ville, tandis que les derniers défenseurs espagnols, environ 5 000 hommes, s’enfuient. La capitulation est signée le 4 décembre au matin et les troupes françaises prennent possession de Madrid.

Le premier objectif politique majeur de la campagne est atteint. Joseph Bonaparte peut reprendre le contrôle de sa capitale. Mais cela n’implique pas qu’il conquiert celui du pays. Un résultat immédiat a donc bien été atteint, mais celui poursuivi ne le sera jamais. Car ces premières victoires n’ont ni anéanti les forces militaires, y compris britanniques, ni brisé la résistance de la société espagnole. ■

La première batterie prend le pont en enfilade, la dernière couvre le col : le dispositif est efficace.

Pour aller

+ loin

Gloire et Empire. no 14 : 1808, La campagne d’Espagne, LCV, 2007 ; no 19 : 18081809, Napoléon en Espagne, LCV, 2008. Somosierra 1808, Frédéric Bey, VaeVictis no 83, 2008.

S omosie r r a

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Le Britannique John Moore (1761-1809) est envoyé en 1808 au Portugal, d’où il passe en Espagne pour aider les résistants à l’invasion française. Après avoir cru prendre au filet le corps de Soult, il échappe au piège de Napoléon et se réfugie à La Corogne, où il est tué avant d’avoir pu rembarquer.

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Armée française Armée espagnole Tirailleurs Batterie

V il lar g io

Protégé de Godoy, le général Benito de San Juan (17271809) assume en 1808 le commandement en chef des forces espagnoles affectées à la défense de Madrid. Blessé à Somosierra, il perd la bataille. Il se retire à Talavera, pour rassembler une nouvelle armée. Mais il est exécuté lors de la mutinerie de ses soldats. Guerres & Histoire HS No 4 • 67

À Essling, le 22 mai 1809, Napoléon subit le premier revers important de sa carrière militaire, quelques semaines avant la victoire de Wagram.

68 • Guerres & Histoire HS No 4

LA CAMPAGNE

D’AUTRICHE 1809 Cette campagne de trois mois annonce, par ses difficultés à vaincre, les futurs échecs français. Épuisement des troupes, pression relâchée sur l’ennemi qui s’inspire désormais de l’organisation napoléonienne, expliquent en partie la victoire finale en demi-teinte. ●●● ●● ●● ● ●

Guerres & Histoire HS No 4 • 69

1809 - La campagne d’Autriche

LE DÉBUT DES VICTOIRES LABORIEUSES

A STÉPHANE BÉRAUD (voir biographie p. 8) PAR

vril 1809, les pluies et le brouillard enveloppent l’Allemagne du Sud et interrompent le fonctionnement du télégraphe optique. Commandant par intérim de l’armée d’Allemagne (cf. encadré) en l’absence de Napoléon, le maréchal Berthier se retrouve en première ligne, pour conjurer la plus grave menace militaire depuis l’avènement de l’Empire. Profitant de l’engagement de l’élite de la Grande Armée en Espagne, l’Autriche envahit la Bavière, principal allié allemand de la France. Battue à trois reprises par la France, elle a décidé de mettre cette fois tous les atouts de son côté : elle a mobilisé la plus imposante armée jamais mise sur pied par les Habsbourg (600 000 hommes comprenant 350 000 troupes de première ligne). Elle a

abandonné la rigidité de l’organisation unitaire pour adopter une organisation modulaire en corps d’armée, selon le modèle napoléonien. Enfin, elle a placé cet instrument rénové entre les mains de son meilleur général en chef, l’archiduc Charles. À ces atouts, il faut ajouter l’impéritie du maréchal Berthier qui interprète mal les instructions impériales. Malgré les bruits de bottes en Europe centrale, Napoléon a dû maintenir son armée en posture défensive de façon à obtenir le soutien du tsar Alexandre, mobiliser les États de la Confédération du Rhin, et transférer une partie de ses troupes encore en Espagne. Comme à son habitude, il prévoit pour parer à toutes les éventualités un plan en arborescence incluant deux scénarios : un scénario optimal de concentration à Ratisbonne

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2 - Offensive autrichienne secondaire

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70 • Guerres & Histoire HS No 4

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Le télégraphe optique a été mis en service en 1794 pour communiquer avec les armées aux frontières et s’est développé sous l’Empire pour transmettre rapidement (six heures entre Paris et Strasbourg, par exemple) des messages codés entre Paris et les principales villes de l’Empire.

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Début des opérations

Campagne 1809 - Début

AUTRICHE

L’ARMÉE D’ALLEMAGNE qui lui permet de contrer les différentes menaces contre la Bavière, la Franconie ou la Saxe, en cas d’attaque autrichienne fin avril ; un scénario plus prudent de concentration cent kilomètres plus à l’ouest autour de Donauwörth, pour assurer la sûreté de la concentration des forces françaises, en cas d’attaque autrichienne début avril. Lorsque l’Autriche attaque le 9 avril, Berthier pense que l’option Ratisbonne du plan impérial doit être déclenchée, alors qu’au même moment Napoléon lui écrit que cette option est caduque. L’interruption du télégraphe optique empêche Napoléon de transmettre ses instructions dans les délais. Le maréchal panique et multiplie les ordres et contrordres, ce qui aboutit à disperser l’armée d’Allemagne en deux groupements autour des localités de Ratisbonne et d’Augsbourg, distantes de 120 kilomètres. En quelques marches, l’archiduc Charles peut donc se retrouver au milieu des forces françaises pour les battre « en détail » à la manière napoléonienne.

Quatre batailles en quatre jours

Mais Napoléon arrive enfin sur le théâtre d’opérations allemand le 17 avril 1809. Il profite de la lenteur de l’archiduc Charles pour menacer ses communications et bloquer son armée dans la nasse formée par l’Inn et le Danube, dont les principaux points de passage sont contrôlés par des garnisons françaises. Lors de quatre batailles livrées en quatre jours (Abensberg le 20, Landshut le 21, Eckmühl le 22 et Ratisbonne le 23 avril), Napoléon rétablit la situation et accroche sévèrement l’archiduc Charles. Il coupe l’armée autrichienne en deux tronçons et force son aile gauche à se replier sur Vienne, tandis que Charles se replie sur Ratisbonne. Il échoue cependant dans sa manœuvre d’encerclement car les deux corps de Bellegarde descendus de Bohême ont rompu le verrou de Ratisbonne et ouvert une nouvelle ligne de communications vers Prague. Le bilan de

À la suite de l’invasion de l’Espagne, la Grande Armée est supprimée et remplacée par l’armée du Rhin commandée par Davout. Pour faire face aux menaces autrichiennes, Napoléon va réussir le tour de force d’improviser une nouvelle armée alors que plus de 200 000 vétérans sont engagés en Espagne. Son noyau de 90 000 hommes est notamment composé des

trois divisions de vétérans du IIIe corps (Morand, Friant et Gudin). Napoléon appelle par ailleurs 180 000 conscrits et demande à ses alliés de lui fournir 100 000 hommes. Avec cet afflux de jeunes conscrits et de troupes étrangères, l’armée d’Allemagne pâtit d’une cohésion plus faible, à l’origine de paniques observées lors des journées d’Essling et de Wagram.

cette première phase de la campagne est toutefois positif puisque l’armée autrichienne a renoncé à son offensive et se replie vers la Bohême après avoir perdu plus de 30 000 hommes. L’archiduc Charles va être sauvé par une faute de Napoléon qui décide de marcher sur Vienne au lieu de le poursuivre « l’épée dans les reins ». Il laisse ainsi son adversaire s’échapper pour reconstituer son armée et s’inviter à nouveau à la table de jeu. Obligé d’obtenir une victoire rapide pour éviter un renforcement de la coalition antifrançaise, Napoléon doit combattre sur le terrain choisi par l’ennemi, ce qui aboutit aux batailles frontales d’Essling les 21 et 22 mai et de Wagram les 5 et 6 juillet. À l’issue de ces deux rencontres sanglantes, Napoléon est nerveusement épuisé et ne déclenche que tardivement la poursuite de l’armée autrichienne. Celle-ci se retire en bon ordre vers la Bohême et fait face à ses poursuivants lors de la bataille de Znaïm. Après deux jours de combats indécis, l’archiduc Charles, menacé plus au nord par les succès polonais, propose un armistice qui aboutit le 14 octobre 1809 au traité de Schönbrunn et met fin à la cinquième coalition. ■

Pour aller

+ loin

1809. De Ratisbonne à Znaïm, E. Buat, Lib. militaire Chapelot, 1909. La Révolution militaire napoléonienne, t. 1 : Les manœuvres, S. Béraud, éd. B. Giovanangeli, 2007. Jours de Gloire. Campagne : le Danube, Frédéric Bey, VaeVictis no 41, 2001.

L’archiduc Charles va être sauvé par une faute de Napoléon qui décide de marcher sur Vienne au lieu de le poursuivre.

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Fin des opérations

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L’archiduc Charles-Louis d’Autriche (1771-1847) a remporté les victoires de Wetzlar et de Wurtzbourg en 1796, de Stokach en 1799. Il est surtout le principal artisan de la modernisation de l’armée autrichienne.

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Campagne 1809 - Fin

En signant le traité de Schönbrunn, l’Autriche s’engage à verser 85 millions de francs d’indemnités de guerre et perd 4 millions de sujets sur des territoires revenant au duché de Varsovie, à la France et à la Bavière. Guerres & Histoire HS No 4 • 71

1809 - La campagne d’Autriche

ABENSBERG, UN SUCCÈS QUI CACHE UNE ERREUR 20 avril 1809

D +

Pour aller loin La Campagne de 1809. Les opérations du 20 au 23 avril, Michel Molières, LCV, 2003.

ans la nuit du 16 au 17 avril 1809, Napoléon arrive à Donauwörth et découvre la pagaille mise par Berthier dans le dispositif français : ses forces sont écartelées entre Ratisbonne (Davout) au nord-est et Augsbourg (Masséna et Oudinot) au sud-ouest, séparées de plus de 100 kilomètres « protégés » par un mince rideau de trois divisions bavaroises, sous les ordres du maréchal Lefebvre. Quant à l’armée autrichienne, elle s’est séparée en deux : une force secondaire débouche de la Bohême en direction de Ratisbonne, une force principale, sous les ordres de l’archiduc Charles, franchit l’Isar à Landshut en direction de Pfaffenhausen. Dès le 17 avril, Napoléon prend une décision audacieuse qui reflète son tempérament militaire agressif : plutôt que de réunir ses forces sur la rive gauche du Danube, il ordonne à Davout de le rejoindre par la rive droite, en se portant sur Neustadt. L’objectif est de rejoindre les autres corps d’Oudinot et de Masséna qui vont à sa rencontre. Davout se met en marche dans la journée du 19 avril et, après un combat de rencontre qu’il remporte, près de Teugen, à mi-chemin entre Ratisbonne et Neustadt, il a à la nuit tombée remporté le pari lancé par l’Empereur.

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72 • Guerres & Histoire HS No 4

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Napoléon passe la nuit du 19 au 20 avril à Vohburg (10 km à l’ouest de Neustadt). C’est là qu’il reçoit à 6 heures du matin le compte rendu très optimiste de Davout qui lui fait croire qu’il a battu le gros de l’armée autrichienne, alors qu’il a simplement repoussé ses avant-gardes. Napoléon ordonne alors aux forces réunies près d’Abensberg de balayer les Autrichiens situés en face d’elles vers l’Isar. Il constitue dans ce but un corps provisoire confié au maréchal Lannes, épaulé par Lefebvre et Vandamme.

Victoire en trompe-l’œil

Son plan semble imparable : l’aile gauche (Davout) doit fixer ses opposants tandis que la masse centrale (Lannes et soutiens) doit perforer l’armée ennemie et que l’aile droite (Masséna et Oudinot) doit couper la ligne de retraite autrichienne qui passe par Landshut. Napoléon ne doute pas que cette action va précipiter un repli général des Autrichiens et conclure cette campagne. Les forces de Lannes se mettent en marche à l’aube vers Rohr, au sud-est. À droite, Napoléon accompagne les forces bavaroises, qui franchissent l’Abens en direction de l’est et du sud. Sous la pression, le corps d’Hiller se replie à l’est de la Laber que viennent border les forces de Lannes dans la soirée. Dans le rapport de la journée pour Davout qu’il dicte à Berthier, Napoléon qualifie la bataille d’Abensberg de second Iéna. Il réalise cependant, à la lecture des derniers rapports de Davout, que la retraite du gros des forces autrichiennes vers Landshut n’est pas confirmée. Il n’a pas encore compris que la facile progression des troupes françaises vers la Laber n’est due qu’à la faiblesse des effectifs adverses sur ce point. Il a certes obtenu l’avantage en séparant l’aile gauche autrichienne du gros des forces de l’archiduc Charles, mais sans provoquer sa déroute. Il va pourtant s’en convaincre et donner ses ordres pour parachever son offensive vers Landshut. ■

L’AFFAIRE MANQUÉE DE LANDSHUT 21 avril 1809

A

près Abensberg, Napoléon passe la nuit à Rohr : il dort peu, et envoie ses ordres à 5 heures du matin. Il est persuadé d’avoir provoqué la déroute de l’ensemble de l’armée autrichienne qui devrait se replier sur Landshut ou Straubing. Il ne reste plus qu’à lancer une poursuite générale pour récolter les fruits du « second Iéna ». Davout doit donc nettoyer ses arrières avant d’aller sur Ratisbonne attaquer les corps autrichiens (Bellegarde et Kollowrath) sur la rive gauche du Danube et les acculer contre les montagnes de Bohême. Napoléon espère de son côté capturer les restes de l’armée autrichienne en la devançant sur l’Inn.

Charles fait du Napoléon

Simple illusion : il n’a fait qu’accrocher une partie du corps d’Hiller, et le gros des forces de Charles conserve sa liberté d’action. Napoléon ignore en outre que l’archiduc a compensé la perte des liaisons avec le corps d’Hiller par le rétablissement de celles avec les corps de Bellegarde et Kollowrath. Il a ainsi opéré, dans la pure tradition napoléonienne, un changement de sa ligne d’opérations vers la Bohême qui lui permet d’ignorer la menace contre ses communications vers la Haute-Autriche par l’Isar et l’Inn. Sa perception erronée de la situation dicte les mouvements ordonnés par l’Empereur : Davout et Lefebvre doivent progresser

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2. Attaque de Davout soutenue par Lefebvre

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4. Concentration autrichienne sur la gauche de Davout ROSENBERG

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1. Attaque de Napoléon Isar

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ensemble vers le sud en direction d’Ergoldsbach, tandis que les divisions de Lannes et bavaroises, sous les ordres directs de Napoléon, se porteront sur Landshut. En parallèle, les forces de Masséna doivent capturer les passages de l’Isar pour intercepter le repli autrichien. Devant Landshut, situé en partie entre deux bras de l’Isar, Napoléon s’impatiente : il veut aller vite pour empêcher le génie autrichien de détruire les ponts. Sur son ordre, son aide de camp, le général Mouton, capture le premier pont puis lance les grenadiers du 3e bataillon du 17e de ligne sur le second pont, sous un feu meurtrier. Il pénètre enfin dans Landshut au milieu des Autrichiens vers 4 heures de l’après-midi. Napoléon aurait consacré le fait d’armes en s’exclamant : « Mon Mouton est un lion ! » Mais ce fait d’armes dissimule un double échec opérationnel. La lenteur de Masséna, qui est entré dans la ville par le sud, a permis à Hiller d’échapper au piège tendu par Napoléon. Celui-ci ne découvre le second échec que dans la nuit lorsqu’il reçoit le rapport envoyé par Davout. Ce dernier n’a le 21 avril que trois divisions, alors qu’après Ratisbonne, l’archiduc Charles a opéré sa jonction avec les corps autrichiens de la rive gauche du Danube et en commande désormais 14 ! Pourtant Davout, soutenu par Lefebvre, attaque au matin et marche vers l’est en refoulant les Autrichiens de Schierling. Mais il s’arrête près d’Eckmühl quand lui est confirmée la jonction de Charles avec l’armée de Bohême. L’archiduc masse en effet ses forces sur son aile droite pour tourner la gauche de Davout. Au même moment, les résultats des reconnaissances envoyées vers Straubing confirment à Napoléon l’absence d’Autrichiens sur l’Isar. Il découvre enfin son erreur. Depuis deux jours, il accumule des succès faciles contre une force secondaire et s’éloigne du cœur des combats face à la force principale autrichienne déployée entre Ratisbonne et Eckmühl. L’offensive sur Landshut s’apparente donc à un inutile et dangereux coup d’épée dans l’eau ! ■

Pour aller

+ loin

La Manœuvre de Landshut, H. Bonnal, librairie militaire Chapelot, 1905.

Guerres & Histoire HS No 4 • 73

1809 - La campagne d’Autriche

COMMENT ECKMÜHL AURAIT PU ÊTRE UNE BATAILLE DÉCISIVE 22 avril 1809

A

près deux jours d’affrontement contre les forces autrichiennes à Abensberg et Landshut, Napoléon doit admettre que le bilan est contrasté. Il a enrayé l’offensive ennemie mais sans parvenir à déséquilibrer l’archiduc Charles qui conserve sa liberté d’action. Il a en outre mis en danger les forces de Davout et doit maintenant repositionner d’urgence ses troupes pour venir le soutenir à Eckmühl. Génie de l’adaptation aux circonstances, Napoléon ne perd pas une minute pour réviser entièrement son dispositif de combat. Il bénéficie pour cela, d’une part de la flexibilité de son armée modulaire, dont les corps d’armée autonomes peuvent être affectés sans délai à de nouveaux objectifs, et d’autre part d’un État-Major général efficace, capable de transcrire et diffuser rapidement sa pensée. Napoléon multiplie les ordres de deux heures à cinq heures du matin pour faire remonter ses forces et tomber sur l’armée autrichienne qui menace les corps de Davout et Lefebvre.

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Offensives autrichiennes

Après la chute de Ratisbonne, l’archiduc Charles s’est enfin décidé à prendre l’offensive contre Davout. Il demande à Kollowrath de traverser le Danube pour marcher par Bad Abbach sur Abensberg afin de couper les communications du IIIe corps. Cette offensive nord-sud sera soutenue par une offensive générale est-ouest des corps de Liechtenstein, Hohenzollern et Rosenberg, déjà en position face à Davout. Ce plan, s’il avait été appliqué énergiquement, pouvait redonner l’initiative au camp autrichien. L’aile gauche de Davout est en effet seulement protégée par la cavalerie de Montbrun et ne peut pas tenir longtemps face aux 28 000 hommes de Kollowrath. La lenteur de l’armée autrichienne va une fois de plus hypothéquer son offensive. Les colonnes autrichiennes ont

Le feld-maréchal comte Kollowrath (1748-1816) est le spécialiste de l’artillerie dans l’armée autrichienne. Son cursus est typique de sa génération : quand il ne combat pas le Turc, il court sus au Français. Il est de la campagne de 1805 et de celle de 1809. Il retourne en Transylvanie après la paix de Vienne.

74 • Guerres & Histoire HS No 4

en effet reçu l’ordre d’attendre l’arrivée de Kollowrath et ce n’est que vers 13 heures que Montbrun est obligé de se replier sous la pression ennemie. Au même moment le canon tonne en provenance d’Eckmühl. C’est l’Empereur qui arrive sur le champ de bataille. Les forces de Lannes, Vandamme et Masséna se sont mises en marche à l’aube avec Napoléon qui arrive au sud d’Eckmühl vers 14 heures. Il gravit avec l’avant-garde les hauteurs d’Unterdeggenbach (sud-est d’Eckmühl) et découvre le déploiement autrichien sur un terrain cultivé, légèrement vallonné et couronné de forêts. Il peut apercevoir

Le petit duché, puis Électorat de Wurtemberg, entre dans l’alliance française en 1805, lors de la formation de la 3e coalition. À contrecœur, mais Napoléon paie bien. Contre 12 000 soldats et son entrée dans la Confédération du Rhin, le duché devient royaume en 1806, double sa superficie et sa population.

Les grenzers sont des troupes d’infanterie légère autrichiennes, venant de Croatie et de Transylvanie, où elles gardent la frontière (grenze, en allemand) face aux Turcs. Durant les guerres contre la France républicaine puis impériale, elles sont transformées en infanterie de ligne. Les Français respectent leur agressivité à Marengo et à Austerlitz.

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Le 22 avril, à 13 heures, le canon tonne en provenance d’Eckmühl: c’est l’Empereur qui arrive sur le champ de bataille.

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1. Poursuite de la gauche autrichienne

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le vallon nord-sud d’Eckmühl dans lequel serpente la route vers Ratisbonne. Les forces autrichiennes sont déployées en équerre pour faire face à l’ouest aux forces de Davout épaulées par celles de Lefebvre et au sud à l’arrivée des forces de Napoléon. L’empereur rédige immédiatement ses ordres : Davout et Lefebvre doivent rejeter la ligne autrichienne vers la route de Ratisbonne, Vandamme doit déboucher d’Eckmühl pour remonter cette route pendant que Lannes déboîte vers l’est pour attaquer les arrières de la ligne autrichienne. L’affaire est rondement menée : les Wurtembergeois prennent la ville d’Eckmühl après un combat acharné contre les grenzers autrichiens qui les repoussent par deux fois. Ils ouvrent la voie pour permettre à la masse de cavalerie (53 escadrons) rassemblée par Napoléon de passer la Grosse Laber.

Charles frôle la catastrophe Vers 14 heures, l’archiduc Charles est informé de la menace contre son flanc sud et comprend qu’il a perdu l’initiative. Il annule son offensive et confie à Rosenberg la mission de couvrir le repli des autres corps au nord du Danube. Entre-temps, Davout a lancé les divisions Friant et Saint-Hilaire contre les

villages d’Ober-Laiching et Unter-Laiching, qui sont pris après d’intenses combats. La manœuvre de débordement de Lannes se heurte également à de fortes résistances et progresse difficilement au nord de la Grosse Laber. La supériorité numérique française et l’action conjointe des forces de Davout et Napoléon finissent cependant par obliger Rosenberg à se replier sous la protection des troupes à cheval. Un ultime affrontement général de cavalerie lourde se déroule vers 19 heures sur la route de Ratisbonne, opposant 29 escadrons autrichiens à 66 escadrons des divisions Nansouty et Saint-Sulpice. Charles a frôlé la catastrophe en montant une offensive à contretemps et sur le mauvais secteur du champ de bataille. Il a concentré l’essentiel de sa force de manœuvre pour une mission de débordement trop large. Sa conception déficiente dès l’origine est aggravée par une exécution qui souffre des travers traditionnels de l’armée autrichienne : l’attaque des colonnes se focalise sur des objectifs topographiques sans coordination des efforts. Napoléon ne peut pas pour autant se targuer d’une bataille décisive. Malgré les succès tactiques français, il n’a pas pu enfermer dans la nasse du Danube l’armée autrichienne, qui s’échappe vers la Bohême. ■

Pour aller

+ loin

Eggmühl 1809. Storm over Bavaria, Ian Castle, Oprey, 1998. La Bataille d’Eckmühl, Didier Rouy, Azure Wish Enterprise, 1996.

Guerres & Histoire HS No 4 • 75

1809 - La campagne d’Autriche

L’EMPEREUR PREND RATISBONNE, MAIS CHARLES S’ÉCHAPPE 23 avril 1809

D

ans la soirée du 22 avril, alors que les cuirassiers français ont malmené leurs homologues autrichiens et que l’armée autrichienne se replie dans la confusion vers Ratisbonne, Napoléon suspend la poursuite malgré l’avis de Lannes. Cette décision surprenante témoigne, pour certains analystes des opérations de 1809, d’une usure psychologique de Napoléon qui n’a plus l’énergie de ses premières campagnes. Il est vrai que les troupes françaises sont harassées mais cela n’a pas entamé dans le passé la détermination de Napoléon à préserver le continuum des opérations qui seul permet de maintenir le déséquilibre de l’adversaire. Cette suspension des combats permet à l’archiduc Charles de faire passer le Danube à l’ensemble de son armée. Il utilise le pont de pierre de Ratisbonne et un pont de bateaux qu’il lance en aval, à l’ouest de Weichs. Il confie au corps de Kollowrath, établi dans Ratisbonne sur les hauteurs de Stadtamhof — au nord de la cité et sur la rive droite —, la mission de protéger la retraite.

Coups de canon sur le Danube

Dans la matinée, les divisions Gudin, Morand et Vandamme se mettent en marche vers Ratisbonne. Elles refoulent les unités autrichiennes, qui se replient vers Ratisbonne avant de franchir le Danube. Kollowrath attire ainsi les Français vers la ville et les détourne du pont de bateaux sur lequel passent les dernières unités autrichiennes. La cavalerie française ne repère que tardivement le point de passage et l’artillerie à cheval, envoyée par Lannes pour détruire le pont, ne peut que canonner les dernières forces de couverture. Il reste à prendre Ratisbonne dans laquelle Kollowrath a laissé deux régiments. Napoléon doit capturer la cité s’il veut poursuivre les Autrichiens au nord du Danube. S’il opte, comme

Dominique Vandamme (1770-1830) est un des meilleurs divisionnaires de Napoléon. D’abord à l’armée d’Allemagne avec Moreau, il commande une division du corps Soult à Austerlitz. En 1809, il prend le 8e corps, qui se distingue à Abensberg puis à Eckmühl. 76 • Guerres & Histoire HS No 4

Jean Lannes (1769-1809), maréchal de France et duc de Montebello, d’un courage exceptionnel, fait l’Italie, l’Égypte, la Pologne, l’Espagne, avec un dégoût croissant de la guerre. La jambe arrachée au soir d’Essling, il agonise six jours.

ANTS COMMAND er I n éo Napol Kollowrath EFFECTIFS mes 37 000 hom mes m ho 0 00 26 PERTES es 2 000 homm es 6 000 homm E DURÉ heures De midi à 19 TEMENT L’AFFRON l E D NATURE e d’Eckmüh ill rès la bata Poursuite ap NNEL OPÉRATIO RÉSULTAT ise accélérant le repli de ça e Victoire fran rs la Bohêm ichienne ve l’armée autr POLITIQUE RÉSULTAT décisive n no Bataille

ce sera finalement le cas, pour une poursuite sur la rive méridionale, il ne peut pas laisser entre les mains ennemies ce pont sur le Danube qui menace ses lignes de communications. Par ailleurs, un siège en règle prendrait trop de temps et permettrait à l’archiduc Charles de reconstituer ses forces. Napoléon décide donc de prendre d’assaut sans délai la cité. La division de tête Gudin atteint les hauteurs sud de la ville vers 10 heures. Les forces de Lefebvre arrivent vers midi et celles de Davout vers 1 heure de l’après-midi. Napoléon, qui est monté à cheval à 7 heures, arrive vers midi en vue des remparts. Vers 14 heures, il veut juger l’effet des tirs d’artillerie et s’approche d’une batterie lorsqu’il est atteint au pied par un tir de fusil en provenance de la muraille. La blessure est légère mais douloureuse, car un nerf est touché. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et Napoléon est rapidement entouré par des milliers de soldats. Très ému par ces marques d’affection, l’Empereur remonte à cheval après avoir été pansé par le chirurgien Yvan et parcourt le front des divisions Saint-Hilaire et Friant pour rassurer l’armée sur sa santé. Les murailles de la ville sont anciennes et ne peuvent pas résister à une artillerie de siège ; mais l’enceinte est défendue par un profond fossé, dominé par des murs escarpés, qui forme une puissante position fortifiée pour des troupes déterminées. Les forces de Lannes tentent des attaques brusquées contre les principales portes, mais sans succès. La mission est pour le moins

périlleuse : la raideur des murs de contrescarpe et d’escarpe impose de descendre et de remonter du fossé avec des échelles puis de traverser la promenade au pied des murailles avant d’escalader ce dernier élément fortifié. Ce parcours d’obstacle doit être franchi sous le tir de l’artillerie et des tireurs d’élite autrichiens. En fin d’après-midi, Lannes repère, près de la porte de Straubing (Ostentor), une maison adossée aux remparts qu’il fait écrouler par son artillerie pour combler le fossé et enjamber la muraille de l’escarpe. Plusieurs attaques lancées sur ce point sont repoussées malgré les admonestations de Lannes. La légende retient alors le geste du maréchal qui s’empare d’une échelle et s’élance vers les remparts pour rappeler à tous qu’il a été grenadier avant d’être

maréchal. Il est retenu par ses aides de camp et devancé par ses soldats qui cette fois parviennent à prendre pied sur le parapet avant de prendre la porte de Straubing, ce qui permet à la division Morand de s’élancer dans la ville vers 17 heures. Les combats de rue durent jusqu’à 19 heures, au moment où la division Friant capture le pont de pierre et prend pied dans Stadtamhof sur la rive nord du Danube. La garnison autrichienne est capturée mais elle a rempli sa mission. L’armée de l’archiduc Charles a réussi à échapper à l’étreinte impériale et se replie avec ses équipages vers la Bohême. Napoléon prend alors la décision fatale du 25 avril de ne pas poursuivre mais de se porter sur Vienne. ■

Pour aller

+ loin

Mémoires du général baron de Marbot, Mercure de France, 2001.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre : l’Empereur a été atteint par un tir de fusil venant de la défense.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 77

1809 - La campagne d’Autriche

À ESSLING, LA PREMIÈRE DÉFAITE IMPORTANTE 21 et 22 mai 1809

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l’issue de la « campagne des quatre jours » qui voit l’archiduc Charles repoussé de Bavière, Napoléon décide le 25 avril de marcher sur Vienne plutôt que de poursuivre l’armée autrichienne à travers la Bohême. Il viole ainsi son principe de continuum des opérations qui consiste à déséquilibrer le gros des forces adverses pour le désorganiser, puis à le poursuivre sans répit pour que cette désorganisation temporaire devienne durable et susceptible de produire des effets politiques. Il justifie cette décision dans le 9e bulletin du 19 mai 1809 par des motifs discutables d’ordre logistique (difficultés d’une poursuite à travers la Bohême) et géographique (importance politique et militaire du contrôle de Vienne).

Un franchissement périlleux

Or, à cette date, la situation stratégique est incertaine pour Napoléon. L’élite de ses troupes s’use contre des ennemis insaisissables en Espagne, ses arrières sont menacés par le soulèvement du Tyrol et l’agitation en Allemagne, l’archiduc Jean se replie d’Italie et peut venir renforcer à tout moment l’archiduc Charles. Ce dernier a reconstitué ses forces sur la rive gauche du Danube, que les Français doivent franchir s’ils veulent obtenir la victoire. L’empereur doit donc tenter la difficile opération de franchissement avec le risque de combattre dos au fleuve, comme Bennigsen à Friedland. Dans la matinée du 21 mai, 25 000 hommes sous les ordres de Masséna se positionnent entre Aspern et Essling après avoir franchi le Danube à Kaiserebersdorf, à quelques kilomètres au sud-est de Vienne. Ils doivent marcher vers le nord pour éclairer les autres corps de l’armée française. Charles a été informé par ses espions dans Vienne des mouvements français de franchissement et a organisé la riposte dans la nuit du 20 au 21 mai. Il envoie plus

L’armée française combat en Espagne depuis mai 1808 ( voir campagne p. 62), avec plus de 200 000 hommes comprenant l’essentiel des vétérans de la Grande Armée de 1805.

78 • Guerres & Histoire HS No 4

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de 100 000 hommes répartis en cinq colonnes qui convergent vers les villages d’Aspern et d’Essling pour repousser les Français. Le choc entre les deux armées se produit à partir de 4 heures de l’après-midi. En situation d’infériorité numérique, l’armée française est contrainte à la défensive. Les divisions Molitor et Boudet combattent avec acharnement pour défendre la tête de pont sur la rive gauche en attendant les renforts. Mais un imprévu tactique vient remettre en question le plan d’attaque impérial. Utilisant la position avantageuse qu’il occupe sur la rive gauche du Danube en amont des ponts lancés par Napoléon, l’archiduc Charles envoie contre eux des corps flottants à la dérive, et provoque deux ruptures temporaires dès le 20 mai puis le 21.

Sous la conduite de l’aubergiste Andreas Hofer (1767-1810), le Tyrol se soulève en avril 1809 contre les troupes d’occupation francobavaroises. Après Eckmühl, les Bavarois tentent de reprendre Innsbruck mais sont battus. Napoléon doit envoyer Lefebvre avec un corps d’armée. Après l’armistice de Znaïm, abandonné par les Autrichiens, Hofer continue la lutte jusqu’à sa capture, en janvier 1810. Il est fusillé et sa mort éteint l’insurrection.

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Conseils de guerre exceptionnels

Charles relance en avant ses unités qui parviennent à prendre Aspern vers 11 heures. Elles échouent en revanche à prendre Essling suite à l’intervention de la Garde. Du côté français, l’objectif est désormais de se replier en bon ordre sur l’île Lobau pour pouvoir ensuite regagner la rive droite du Danube. Fait exceptionnel et signe de sa nervosité, Napoléon réunit à deux reprises ses maréchaux en conseil de guerre pour discuter des mesures à prendre en vue de la retraite. Les ponts sont réparés le 24 mai et l’armée repasse sur la rive droite le 25 mai. Il a éprouvé des pertes importantes sans parvenir à prendre pied sur la rive gauche du Danube. Le bilan aurait été nettement plus lourd si l’archiduc Charles avait fait preuve de plus d’agressivité et avait décidé de bombarder les Français entassés dans l’île Lobau et de passer sur la rive droite L’échec est indiscutable pour Napoléon qui enregistre la première défaite importante de sa carrière. ■

Pour rompre les ponts de l’ennemi, on lance contre eux des corps flottants : des bateaux lourdement chargés, des radeaux équipés d’une pièce de bois verticale pour qu’ils ne puissent pas passer sous le tablier, et des brûlots portant des obus et des grenades qui éclatent successivement, afin de décourager toute tentative de stopper les corps. Puis ont été mis au point les ancêtres des mines : des tonneaux ou des caisses, remplis de poudre et surmontés d’un levier qui déclenche la mise à feu en touchant le pont.

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1. Rupture des ponts et immobilisation de Davout sur la rive droite du Danube

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2. Retraite de l'armée française sur l'île Lobau Mühleuten

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Pour aller

+ loin

Napoleon’s Great Adversaries, Gunther Rothenberg, Batsford, 1982. Napoléon et l’Autriche. La campagne de 1809, Tranié et Carmigniani, Copernic, 1979. Aspern-Essling 1809, Frédéric Bey, VaeVictis, collection Jeux d’Histoire, 2009. Guerres & Histoire HS No 4 • 79

1809 - La campagne d’Autriche

WAGRAM, UN SUCCÈS NON DÉCISIF ET CHÈREMENT PAYÉ 5 et 6 juillet 1809

L

’échec sanglant d’Essling oblige Napoléon à reconstituer ses forces pour tenter un deuxième affrontement du « fort au fort ». De son côté, Charles estime qu’il ne peut pas rassembler des effectifs équivalents et opte pour une posture de « défense réactive » fondée sur des travaux de fortifications au nord de la plaine du Marchfeld, derrière la rivière du Russbach qui se prolonge à l’ouest par les collines de Bisamberg.

L’Empereur se mouille

À la suite de l’échec d’Essling, l’Empereur prépare minutieusement sa nouvelle tentative de franchissement du Danube. Il fait construire une estacade en amont des ponts et fait déployer une flottille de barques pour protéger ceux-ci contre les projectiles flottants. L’ancien pont de bateaux utilisé pour la bataille d’Essling est consolidé et doublé d’un pont de pilotis de plus de 750 mètres. L’île Lobau qui sert de tremplin pour franchir le Danube est fortifiée avec 109 canons. Ces mesures de préparation sont efficaces puisque le franchissement se déroule sans incident de la soirée du 4 juillet jusqu’à celle du 5 juillet. Durant cette phase, l’Empereur surveille étroitement les opérations, ne quittant pas les bords du fleuve et revenant à ses quartiers, « mouillé, comme s’il avait été trempé dans le Danube ». Il obtient un premier avantage en réussissant à franchir sans opposition le Danube et à surprendre l’adversaire en jetant ses ponts à l’est de l’île Lobau afin de contourner les défenses

L’ARTILLERIE EN 1809 La campagne de 1809 marque un tournant dans l’utilisation de plus en plus massive de l’artillerie. Elle résulte de la dégradation de la qualité de l’infanterie dont les meilleurs éléments sont engagés en Espagne. Pour compenser la diminution des vétérans dans ses unités, Napoléon développe son artillerie en renforçant celle de la Garde. En face, l’archiduc Charles met en œuvre une réforme visant une utilisation plus concentrée de ses canons. L’artillerie française conserve 80 • Guerres & Histoire HS No 4

cependant son avance en matière de doctrine d’emploi privilégiant un rôle d’arme d’assaut, comme le démontre l’offensive de la grande batterie à Wagram. Composée de 100 pièces disposées sur un front de 2000 mètres face à la zone comprise entre Aderklaa et Süssenbrunn, elle neutralise les pièces adverses puis martèle le centre autrichien pendant près d’une heure et demie, jouant ainsi un rôle déterminant dans le succès de l’attaque de rupture de Macdonald.

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autrichiennes construites entre Aspern et Gross-Enzersdorf. Mais l’avantage moral obtenu dans la matinée est annulé par l’échec de l’attaque brusquée lancée en fin de journée pour profiter des dernières heures de luminosité. Dans le contexte d’une bataille acceptée par les deux camps, Napoléon sait qu’il doit élaborer, selon ses propres mots, « un système ou une combinaison » de façon à provoquer un déséquilibre qu’il n’a pas réussi à installer lors de la manœuvre. Le plan conçu est classique au regard du modèle napoléonien de la bataille : l’Empereur prévoit une attaque débordante de Davout contre la gauche autrichienne afin de la couper des renforts de l’archiduc Jean et de sa principale ligne naturelle de retraite. Quand l’adversaire aura engagé ses réserves pour faire face à cette attaque débordante, une attaque de rupture sera conduite au centre.

La bonne droite de l’Autriche

Mais le 6 juillet, c’est l’archiduc qui prend l’initiative en déclenchant, dès 4 heures du matin, une attaque générale sur le secteur du Russbach. Si la gauche autrichienne est bloquée par Davout, le centre réussit à prendre le « pivot » d’Aderklaa tandis que la droite progresse irrésistiblement et capture Aspern vers 11 heures après avoir repoussé les Français de Süssenbrunn et Breitenlee. Napoléon doit intervenir personnellement pour rallier les troupes de Saint-Cyr et de Legrand. La gauche française est en voie de dislocation. Napoléon démontre alors sa parfaite maîtrise des actions indirectes. Plutôt que de barrer directement la route à la droite

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De leur côté, les Autrichiens profitent de la passivité française sur le front allemand pour reconstituer leurs forces.

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3. Attaque de Davout

4. Attaque décisive du centre français

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2. Mouvement de flanc de Masséna

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autrichienne en renforçant sa gauche, il maintient une stricte économie des forces sur ce secteur et conserve ses réserves pour l’attaque de rupture au centre qui sera lancée après les premiers succès de Davout. Afin de gagner le temps nécessaire au déclenchement de l’attaque au centre, Napoléon décide de faire glisser les unités de Masséna vers le sud pour ralentir la progression de la droite autrichienne. Il consent juste à renforcer Masséna par quatre régiments de cuirassiers. Sous la couverture de ces « gros talons », ce dernier rétablit une ligne défensive par une audacieuse marche de flanc de la zone d’Aderklaa jusqu’à la rive nord du Danube. Au centre, l’espace abandonné par la marche de Masséna vers le sud est occupé par Macdonald qui doit commander l’attaque de rupture en direction de Süssenbrunn. Sa montée

Laurent, marquis de Gouvion-Saint-Cyr (1764-1830), fils d’un tanneur, abandonne une carrière de dessinateur pour celle des armes. Déjà général sous Robespierre, il démontre ses remarquables qualités de manœuvrier en Allemagne. Ne l’aimant guère, mais reconnaissant son intelligence, Napoléon ne lui confie que des tâches difficiles, aux limites de la diplomatie, en Italie et en Espagne.

en ligne est préparée par l’intervention de la cavalerie de la Garde suivie par la mise en place d’une grande batterie d’artillerie (cf. encadré). Peu après midi, alors que Napoléon aperçoit les progrès de Davout, il déclenche l’attaque de rupture de Macdonald en direction de Süssenbrunn. La colonne massive française s’enfonce dans l’aile droite autrichienne mais subit des pertes importantes. Elle est heureusement soutenue par une offensive générale déclenchée vers une heure de l’après-midi par Napoléon qui fait plier l’ensemble de la ligne autrichienne. Charles ordonne la retraite vers 14 h 30. L’attaque de rupture a précipité le repli de l’armée autrichienne mais n’a pas entraîné sa dislocation comme en 1805. Cet échec relatif illustre la difficulté de créer un déséquilibre tactique pour compenser l’absence de déséquilibre opérationnel. ■

Claude Legrand (1762-1815) devient général de division en 1799. Il se couvre de gloire à Austerlitz, se tient mieux que bien à Iéna et Eylau, puis, en 1809, à Ebersberg, Essling et Wagram. Il mourra des graves blessures reçues au passage de la Berezina, en novembre 1812.

Pour aller

+ loin

Wagram, F. Naulet, Economica, 2009. Aspern and Wagram 1809, Ian Castle, Osprey, 1994. Wagram 1809, Laurent Martin, Battles Magazine no 12, 2012.

Jacques-Etienne Macdonald (17651840), d’une famille écossaise réfugiée en France sous Louis XIV, est déjà général de division en 1795. Il appuie le coup d’État de Bonaparte le 18 Brumaire puis tombe en disgrâce. Napoléon le rappelle pour la campagne de 1809. À la tête de l’aile droite de l’armée d’Italie, il arrive à pic sur le champ de bataille de Wagram. Fait unique, Napoléon le fait maréchal sur le champ. Guerres & Histoire HS No 4 • 81

1809 - La campagne d’Autriche

À ZNAÏM, UN ÉPILOGUE MI-FIGUE MI-RAISIN 10 et 11 juillet 1809

A +

Pour aller loin La Révolution militaire napoléonienne, t. 2 : Les batailles, S. Béraud, éd. B. Giovanangeli, 2013.

soir de la victoire de Wagram, Napoléon, épuisé, ne donne pas d’instructions pour la poursuite. Cette inertie est une indéniable négligence de sa part. Sa victoire est loin d’être décisive, comme le soulignent les pertes importantes dans les deux camps. Si l’archiduc Charles décide de continuer la lutte, il sera soutenu par l’archiduc Jean, alors que Napoléon devra opérer des détachements pour protéger ses communications vers Vienne et la Bavière. Au matin du 7 juillet, il se retrouve donc sans information fiable sur la retraite autrichienne, et ne se décide que le soir à envoyer des avantgardes par les routes qui conduisent vers la Bohême et la Moravie. Ce n’est que le 8 juillet après-midi que Marmont fournit des renseignements déterminants sur le repli de l’armée autrichienne vers la Bohême, et le 10 juillet, Napoléon apprend que ce repli se fait sur Znaïm. Il ordonne en conséquence à Davout, Oudinot et la Garde de soutenir Masséna et Marmont en marche vers cette cité. Entre-temps, Marmont a franchi la Thaya au nord de Laa et rencontre les Autrichiens vers 11 heures du matin à environ six kilomètres à l’est de Znaïm. L’archiduc Charles a fait occuper le plateau à l’est de la ville pour protéger son armée qui passe la Thaya au sud de Znaïm, ce que découvre Marmont le 10 lorsqu’il parvient à s’emparer des hauteurs à l’est du plateau.

2. Offensive française avec débordement par le nord XXX

4. Contre-attaques autrichiennes

MARMONT

Vers Prague

Znaïm

Vers Brünn

3. Repli autrichien

XXXX

CHARLES

Th

ay

Mihlfraun

a

Teswitz

a

ay Th Oblass

1. Axe de la retraite autrichienne avant la bataille

82 • Guerres & Histoire HS No 4

Pumlitz

XXX

MASSÉNA

ANTS COMMAND er Napoléon I harles Archiduc C EFFECTIFS mes 73 000 hom mes m ho 0 50 00 S TE PER es 3 000 homm es 5 000 homm DURÉE Deux jours NTEMENT E L’AFFRO m NATURE D s la bataille de Wagra rè ap te ui rs Pou NNEL OPÉRATIO istice du RÉSULTAT ise conduisant à l’arm ça an fr re oi Vict 09 12 juillet 18 1809 POLITIQUE AT LT 14 octobre RÉSU önbrunn du ch S Traité de

De son côté, l’archiduc Charles s’est résolu à déployer en ligne de bataille les 50 000 hommes dont il dispose. Le combat s’ouvre le matin du 11 juillet avec l’arrivée du corps de Masséna qui prend le pont d’Oblass au sud de Znaïm et se lie aux forces de Marmont. Napoléon arrive au quartier général de Marmont à Teswitz vers 10 heures. Il comprend aussitôt que son inertie initiale l’empêche de surprendre son adversaire en train de passer la Thaya, car il ne dispose pas de forces suffisantes. Davout, Oudinot et la Garde ne peuvent pas entrer en ligne avant le 12 juillet et Masséna et Marmont ne peuvent seuls exécuter cette manœuvre.

Échec des attaques françaises

Il faut toutefois tenter de fixer l’ennemi en attendant l’arrivée des renforts et empêcher un nouveau repli de l’archiduc Charles qui prolongerait encore la campagne. Napoléon lance donc Marmont contre le flanc gauche des Autrichiens pour les attirer le plus au nord possible, en menaçant leur ligne naturelle de retraite afin de faciliter le passage de la Thaya par les unités de Masséna. L’attaque de Marmont est repoussée par l’archiduc Charles qui parvient également à rejeter Masséna dans la Thaya. Dans l’aprèsmidi, Napoléon relance Marmont sans plus de succès, tandis que Masséna progresse laborieusement vers Znaïm. Mais en fin d’après-midi, Napoléon, après avoir réuni un conseil de guerre, décide d’accepter une proposition d’armistice des Autrichiens. Cette décision, a priori surprenante, qui prive Napoléon de la possibilité d’abattre la puissance des Habsbourg, s’explique par l’épuisement de l’armée et par le résultat mitigé de la campagne. D’où cette transaction diplomatique qui va s’avérer fatale, puisqu’elle maintient sur l’échiquier européen l’acteur autrichien qui sera le principal responsable de l’échec de la campagne de 1813, à l’origine de la chute du régime impérial. ■

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84 • Guerres & Histoire HS No 4

Le 7 septembre 1812, Napoléon, depuis la colline de Chevardino, observe la canonnade. Malgré son air maussade, la victoire revient aux Français.

LA CAMPAGNE

DE RUSSIE 1812

La crise diplomatique entre la Russie et la France, en particulier sur la question polonaise, fait vite oublier le traité de Tilsit : une Grande Armée de 450 000 hommes fait alors route en juin vers Moscou. Mais au début de l’hiver, ils ne seront que quelques milliers à revenir. ●●●

Guerres & Histoire HS No 4 • 85

1812 - La campagne de Russie

QUAND UN EMPEREUR PERD SON ARMÉE

M PAR ANTOINE REVERCHON

Antoine Reverchon est journaliste au Monde, où il participe aux horsséries à thématique historique et aux atlas La Vie/Le Monde (Atlas de l’Occident, Atlas de la France). Il collabore régulièrement à Guerres&Histoire. Il est également l’auteur de La France pouvaitelle gagner la guerre en 1870 ? et de Et si Napoléon avait gagné à Waterloo ?, deux livres de la collection « Mystères de guerre » chez l’éditeur Economica.

algré l’alliance passée à Tilsit en 1807, les relations entre l’empereur des Français et le tsar de Russie se dégradent au fil des ans. Napoléon reproche à Alexandre de ne pas l’avoir aidé contre l’Autriche en 1809 ; Alexandre est furieux de l’annexion à l’Empire, en 1810, du grand-duché d’Oldenbourg dont le souverain est son parent. Il refuse de marier une de ses filles à « l’ogre corse », qui contracte du coup un mariage autrichien et fait craindre un renversement d’alliance. Les crises diplomatiques se succèdent, sur l’application du blocus continental, sur les velléités polonaises d’agrandir leur État rétabli par Napoléon… Celui-ci est convaincu que les Russes, soudoyés par l’argent anglais, vont frapper alors que la France est plongée dans le guêpier espagnol : ils réunissent d’ailleurs une armée à la frontière polonaise ; le tsar rétorque qu’il s’agit de faire taire les provocations de Varsovie et… de dissuader les Français d’attaquer. Napoléon veut crever l’abcès : il réunit une armée multinationale de 450 000 hommes pour écraser l’armée russe placée juste derrière la frontière. Après quoi le tsar fera la paix, comme après Friedland ! La Grande Armée est divisée en quatre groupes : au centre, à Kovno, six corps et la réserve de cavalerie (300 000 hommes) doivent attaquer frontalement la 1re armée russe (Barclay de Tolly, 120 000) basée à Vilna ; au nord, à Tilsit, Macdonald (30 000) doit prendre Riga, sécuriser la côte balte et les fleuves qui porteront le ravitaillement ; à 150 km au sud, à Grodno, quatre corps (78 000) commandés par Jérôme Bonaparte doivent empêcher la 2e armée russe (45 000) de Bagration (voir p. 44), de rejoindre Barclay ; plus au sud encore,

Le prince Michel Barclay de Tolly (1761-1818) est un feld-maréchal russe d’origine écossaise. Il se distingue durant la campagne de Pologne de 1807, à Eylau, où il est blessé. Puis il réorganise l’armée russe. En 1812, il est nommé à la tête de la 1re armée de l’Ouest. Malade, il participe à Borodino et est rendu responsable de l’abandon de Moscou.

86 • Guerres & Histoire HS No 4

le corps autrichien (34 000) de Schwarzenberg doit attaquer à Brest-Litovsk l’armée de réserve russe (Tomasov, 30 000). Les 24 et 25 juin, Napoléon franchit le Niémen. Barclay recule devant le nombre jusqu’au camp retranché de Drissa qui couvre les routes de Moscou et Saint-Pétersbourg, tandis que Bagration doit venir harceler les arrières ennemis. Napoléon lance Murat à la poursuite de Barclay, détache Davout vers Minsk pour intercepter Bagration poursuivi par Jérôme, et reste lui-même à Vilna, hésitant entre l’objectif militaire de battre Barclay et l’objectif politique de rattacher la Lituanie à la Pologne, mais aussi pour régler les problèmes de ravitaillement aggravés par les pluies diluviennes.

Un tiers des effectifs en moins

Apprenant que Bagration a semé Jérôme - aussitôt relevé de son commandement -, et que Barclay s’est retranché, il quitte Vilna le 16 juillet vers Vitebsk pour tourner Barclay et le séparer de Bagration. Réalisant la faiblesse de sa position, Barclay l’évacue le même jour et atteint Vitebsk le 23, laissant Wittgenstein (35 000) couvrir la route de Saint-Pétersbourg. Après de durs combats à Ostrovno, Napoléon arrive devant Vitebsk le 26, où il espère livrer la bataille attendue. Mais Barclay a appris que, rejoint par Davout à Moguilev le 23, Bagration a été battu et contraint de faire retraite plus à l’est. Il lève le camp la nuit du 27 et marche vers Smolensk, où Bagration le rejoint le 4 août. Napoléon dépité déclare alors que la campagne de 1812 est terminée : le manque de ravitaillement, la chaleur étouffante, la poursuite et les combats ont réduit les effectifs d’un tiers. On restera à Vitebsk pour organiser les territoires conquis, passer l’hiver et préparer la campagne de 1813.

Le prince Charles de Schwarzenberg (1771-1820), diplomate (ambassadeur à Saint-Pétersbourg) et excellent chef de guerre, est à Wagram puis, la paix signée, négocie le mariage de Napoléon avec Marie-Louise. L’Empereur lui confie le commandement du corps autrichien qui entre en Russie avec la Grande Armée. Il le sert avec honneur. En 1813, les alliés le font commandant suprême de leurs armées.

Napoléon est persuadé, à tort, que la prise de Moscou et la défaite de son armée pousseront le tsar à négocier. Mais côté russe, Bagration et les généraux arrachent à un Barclay jugé trop timoré l’ordre d’attaquer les Français affaiblis. Le 8 août, l’armée russe avance vers Vitebsk par la rive droite du Dniepr. Napoléon, ravi de rompre avec sa prudente résolution, opère par le sud un mouvement tournant qui, en franchissant le Dniepr, lui permet de gagner Smolensk par la rive gauche où court la route de Minsk, meilleure que celle de Vitebsk. Mais le sacrifice d’une division donne le temps à Barclay de revenir à Smolensk avant Napoléon. Le 17, les Français attaquent la ville et refoulent sur la rive droite Barclay, qui s’enfuit vers l’est le soir du 18. Napoléon envoie Junot couper sa route en traversant le Dniepr en amont de la ville tandis que Ney le poursuit, mais Junot refuse d’obéir, et Barclay se dérobe à nouveau à l’issue de la bataille de Valoutina, le 19. Si Junot est cassé de son commandement, Barclay est remplacé le 29 par Koutouzov (voir p. 40), qui promet de livrer bataille pour sauver Moscou. Le 4 septembre, Koutouzov prend position à Borodino. Pour ne pas laisser échapper l’occasion une troisième fois, Napoléon lance une attaque frontale le 7. Après une lutte acharnée, les Russes abandonnent le terrain, laissent les Français entrer dans Moscou le 14, et se replient au sud de la ville. Napoléon est persuadé, à tort, que la prise de sa deuxième capitale et la défaite de son armée pousseront le tsar à négocier. Mais l’incendie qui éclate le 15 détruit en cinq jours les deux tiers de la ville, privant les Français des quartiers d’hiver espérés. Après cinq semaines d’attente, Koutouzov renforcé attaque

Murat à Winkowo le 18 octobre, ce qui convainc Napoléon de retourner à Smolensk où l’attendent ravitaillement et renforts, pour y prendre des quartiers d’hiver plus proches de sa base. Afin de battre Koutouzov encore une fois, il prend la route du sud. Les avant-gardes s’affrontent à Malo-Iaroslavetz le 24. Le 25, Napoléon choisit pour la première fois de renoncer à la bataille tant recherchée pour retourner à Smolensk par le plus court chemin.

La Grande Armée n’est plus

Koutouzov suit une route parallèle, attaquant timidement l’arrière-garde, les Cosaques se chargeant des traînards et des fourrageurs. La désorganisation gagne peu à peu, les effectifs fondent, vaincus par la boue puis la neige. Surtout, l’insuffisance des stocks réunis dans les villes étapes oblige à reculer toujours plus vers l’ouest. En revanche, les tentatives russes de capturer la colonne française échouent : le 2 novembre à Viazma, du 14 au 18 à Krasnoï, et surtout du 26 au 28 à la Bérézina, où les troupes de Wittgenstein venues du nord et celles de Tchitchagov (voir p. 92) — qui remplace Tomasov — venues du sud arrivent trop tard pour bloquer le passage. Les pertes sont encore plus lourdes sur la route de Vilna en raison du froid (-28°). Le 6 décembre, Napoléon quitte l’armée pour Paris. Du 11 au 13, les débris de la Grande Armée, 23 000 hommes, repassent le Niémen à Kovno. Un anéantissement qui ouvre la voie à la révolte de toute l’Europe occupée, jusqu’à la chute de l’Empire. ■

Pour aller

+ loin

La Campagne de 1812 en Russie, Carl von Clausewitz, Complexe, 2005. La Campagne de Russie 1812, Eugène Tarlé, Gallimard, 1950. Highway to Kremlin, Kevin Zucker, Operational Studies Group, 2001.

Guerres & Histoire HS No 4 • 87

1812 - La campagne de Russie

LES RUSSES PERDENT SMOLENSK MAIS SE DÉROBENT Du 15 au 19 août 1812

A

vant de marcher vers Vitebsk le 8 août, Bagration avait pris la précaution de laisser en arrière la division Neverovski (7 000 hommes) à Krasnoïé, sur la rive gauche du Dniepr. Refoulé par Ney le 15 août, Neverovski alerte ses chefs. Le corps le plus proche de Smolensk (Raïevski) fait demi-tour. Le 16 août au matin, alors que l’armée française arrive peu à peu devant la ville, 15 000 soldats russes y sont présents, tandis que l’armée rebrousse chemin à marches forcées. Smolensk s’étend sur la rive gauche du Dniepr, entourée d’une solide muraille médiévale garnie de tours devant laquelle s’étendent des faubourgs, au sud de la ville et sur la rive nord du fleuve traversé d’un pont.

ANTS COMMAND er Napoléon I Tolly Barclay de EFFECTIFS es m 182 000 hom ration = 90 000) ag 116 000 (- B PERTES mes 30 000 hom mes 30 000 hom DURÉE 3 jours pleins NNEL OPÉRATIO ain, RÉSULTAT cupe le terr oc n éo ol ap N urtout, S de . es ée al m L’ar nt quasi ég retraite de so es rt pe s mais le uper la re visant à co tant à celui-ci de la manœuv rmet pe , ué ho Barclay a éc s’échapper.

Attaque générale au canon

Au fur et à mesure de leur arrivée, les troupes françaises se disposent en arc de cercle au sud de la ville, Ney à gauche, Davout au centre, Poniatowski à droite, Eugène (voir p. 90), la Garde et Junot en arrière. La fusillade et la canonnade montent en intensité tout au long de la journée. Napoléon, arrivé sur place le matin, constate que la ville ne peut être prise qu’au prix d’un assaut en règle le lendemain. Dans la nuit du 16 au 17, Barclay fait relever Raïevski par Dokhtourov, et envoie Bagration vers l’est sur la route de Moscou afin de protéger sa retraite d’un éventuel mouvement tournant des Français. Le 17 au matin, une attaque russe contre les tirailleurs français qui avancent vers les faubourgs fait croire à Napoléon que les Russes vont livrer bataille devant la ville. Mais comme rien ne se passe, il ordonne l’attaque générale à 14 h. Les batteries françaises canonnent les remparts sans grand effet, tandis que les batteries russes ripostent depuis la rive nord. Après des assauts

Maréchal d’Empire, le prince polonais Joseph Poniatowski (1763-1813) sert les Autrichiens, les Prussiens puis Napoléon lorsque celui-ci crée le grandduché de Varsovie. Il se couvre de gloire en Russie, puis en Allemagne, où il se noie à la bataille de Leipzig. 88 • Guerres & Histoire HS No 4

Andoche Junot (17711813) sort du rang, où il se signale par sa témérité. Aide de camp de Bonaparte dès 1795, général en Égypte, il tombe ensuite en disgrâce jusqu’en 1807. En Russie, il se montre apathique. Puis il sombre dans la folie et se défenestre en 1813.

répétés, les Français s’emparent des faubourgs, mais ne peuvent en déboucher sous le feu nourri des remparts. Sur la droite, Poniatowski réussit à installer en fin de journée une batterie de 60 canons sur une hauteur au bord du Dniepr, qui prend en enfilade le cours du fleuve, bombarde le pont et les batteries russes, tandis que les artilleurs français commencent à repérer les points faibles de la muraille pour y pratiquer une brèche. Malgré les protestations de ses généraux, Barclay décide d’évacuer la ville. Aux feux déclenchés par les canons français s’ajoutent dans la nuit l’incendie des magasins de vivres et l’explosion des dépôts de munitions, tandis que les Russes se retirent dans les faubourgs de la rive nord. La ville est bientôt la proie des flammes, et avec elle les blessés russes laissés en arrière. Un spectacle grandiose et terrifiant pour les Français qui comprennent que la prise de Smolensk n’apportera ni le ravitaillement, ni les abris espérés. Le 18 au matin, les Français entrent dans la ville en ruines. Les Russes tirent toujours depuis la rive nord, mais dans la soirée, Barclay retire ses troupes vers le nord avant de les faire obliquer vers l’est, afin de dissimuler son intention de reculer vers Moscou, et non Saint-Pétersbourg comme le croira Napoléon qui observe le mouvement à la lunette du haut d’un bastion dominant le Dniepr. Barclay envoie une première colonne à 12 km vers le nord avant d’obliquer vers l’est en direction de Loubino, pour y retrouver la route de Moscou ; une deuxième colonne qui doit faire de même oblique vers l’est 4 km au nord de la ville. Mais au cours de cette marche de nuit par des chemins

S tab na

C uirassiers

BARCLAY V E CORPS Cosaques

G renadiers IV E CORPS

BAGRATION III I ER CORPS

E

VIII

CORPS

E

CORPS

G o r b o u n o vo

II CORPS E

VII

E

CORPS

S mo lens k

Évacuation totale le 17 août - 23h00

1

Crêtes de Valoutina

1

2

T ic h i n i n o

Valoutina-Gora

2

L ou bi no

VI E CORPS

Vers S olo vie vo et Moscou

MURAT

1

NEY

1

Pro u d i t c h i n o DAVOUT V E CORPS (pol.)

PONIATOWSKI

Garde

BESSIERES

Legion Vistule

JUNOT VIII

E

CORPS (westp., all.)

Smolensk est bientôt la proie des flammes, spectacle grandiose et terrifiant pour les Français qui comprennent qu’ils n’auront ni le ravitaillement, ni les abris espérés. de traverse, plusieurs corps se perdent et retournent au point de départ, sauf une avant-garde (Toutchkov) qui parvient à Loubino. Or, Bagration s’est retiré jusqu’à Dorogobouj, beaucoup trop à l’est pour pouvoir protéger la retraite de Barclay : Toutchkov (voir p. 90) se retrouve seul pour remplir cette mission…

Barclay arrive à s’échapper

À l’aube du 19, Ney, sorti de Smolensk sur la route de Moscou, croit à un retour offensif des unités russes en réalité égarées et les attaque, puis les suit vers midi jusqu’à Toutchkov sur les crêtes de Valoutina, derrière lesquelles défilent les colonnes de Barclay remises sur le bon chemin. Napoléon qui a suivi un moment la route de Saint-Pétersbourg avant de comprendre son erreur rejoint Ney en début d’aprèsmidi et le fait renforcer par Davout. Mais Barclay renforce de son côté Toutchkov avec les corps qui arrivent successivement.

L’Empereur, le 17, avait envoyé l’ordre à Junot de franchir le Dniepr en amont, à Prouditchino, soit pour prévenir d’un retour de Bagration, soit pour couper une retraite éventuelle de Barclay. Junot franchit le fleuve mais, attaqué le 18 par l’arrière-garde de Bagration, il se contente d’occuper une tête de pont. Malgré l’ordre d’attaquer, porté par Murat en personne le 19, Junot — soit il refuse d’obéir à un rival, soit il réagit de manière paranoïaque (son caractère est devenu erratique depuis des blessures reçues à la tête lors de la campagne d’Italie) — refuse de bouger. La nuit tombe alors que Ney et Davout s’emparent de la dernière crête avant Loubino, mais c’est trop tard, l’armée de Barclay est passée. Napoléon rentré à Smolensk éclate de colère contre Junot, son ami de jeunesse, et le relève de son commandement : ce général ne s’en remettra jamais et mourra en se défenestrant l’année suivante. ■

Pour aller

+ loin

La Campagne de Russie 1812, Curtis Cate, Tallandier, 2012. Napoleon Later Battles : Smolensk – Lubino, Keith Poulter, 3W, 1992.

Guerres & Histoire HS No 4 • 89

1812 - La campagne de Russie

À BORODINO, DE SÉRIEUSES PERTES POUR PEU DE GAINS 7 septembre 1812

L

e soir du 5 septembre, Napoléon, lancé à la poursuite de Koutouzov, aperçoit les feux de camp de l’armée russe, visiblement prête à la bataille. Dans l’attente de l’arrivée de ses troupes échelonnées sur la route, il fait attaquer le soir même la redoute de Chevardino, que Koutouzov avait fait édifier sur la route de Moscou en avant de ses positions. Celles-ci dessinent un S inversé sur un axe nord-sud. Au nord, elles s’appuient sur une ligne de redoutes édifiées derrière le cours de la rivière Kolotcha, un petit affluent de la Moskova traversé par la grande route de Moscou où se situe, en avant de la position russe, le village de Borodino que Koutouzov a également fait fortifier comme avant-poste. Mais la rivière dessine un coude vers l’ouest. Pour ne pas être tourné par le sud, où court la vieille route de Moscou, Koutouzov a fait construire des redoutes et des flèches sur une crête située derrière des ruisseaux à sec, affluents de la Kolotcha : du nord au sud, la « grande redoute », le hameau de Semionovskoié et trois flèches. C’est cette ligne que tient l’armée de Bagration, derrière laquelle Koutouzov a placé ses réserves.

Tir de mitraille sur l’Empereur

La journée du 6 septembre est consacrée au repos, au ravitaillement des troupes et, côté russe, au renforcement des fortifications de campagne. Chacun sait dès lors que la bataille aura bien lieu le lendemain. Napoléon parcourt à deux reprises le front des positions, au point d’essuyer un tir de mitraille russe devant Borodino. Il passe la nuit sur la route de Moscou face à Borodino sur la rive gauche de la Kolotcha, et y laissera sa tente le lendemain pour faire croire que l’effort principal se fera sur cet axe. Mais c’est la redoute de Chevardino, prise le 5 par les Français, sur la rive droite, qui lui servira d’observatoire tout au

Fils de Joséphine, première femme de Napoléon, le prince Eugène de Beauharnais (1781-1824) est de toutes les aventures de son beau-père. En 1805, il est fait colonel général des chasseurs à cheval, puis vice-roi d’Italie. En 1812, il commande le 4e corps de la Grande Armée et montre toutes ses qualités à Borodino et sur la Bérézina.

90 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap Koutouzov EFFECTIFS es m 130 000 hom es m 128 000 hom PERTES mes 50 000 hom mes m ho 0 58 00 E É R DU e 6 h à 16 h) 10 heures (d NNEL OPÉRATIO e. L’armée de RÉSULTAT is ça an ctoire fr s Russes C’est une vi terrain et le le pe cu oc L’armée de . es rt Napoléon pe plus lourdes éantie, mais elle de bi su t on an s que n’a pas été Koutouzov à défendre Moscou alor vers la er ce nc an doit reno it son av uvoir çaise poursu l’armée fran où Napoléon pense po la à e, nt ss ro ru ui le nd ta pi co ca ciations qui go né s le ir ouvr paix.

long de la journée du lendemain, ses fossés servant d’abri lorsque les boulets russes tombent trop près de la tente de l’Empereur. Pendant ses reconnaissances, Napoléon a en effet jugé que le point faible des Russes était leur aile gauche. C’est sur ce point qu’il décide de lancer une attaque frontale, précédée d’un bombardement intensif. Eugène mènera une attaque de diversion contre Borodino sur la route de Moscou, Ney et Davout mèneront l’attaque principale, Poniatowski, à droite, débordera l’aile gauche russe. Mais au dernier moment, Koutouzov a prolongé celle-ci dans la nuit en plaçant dans le bois d’Outitsa le corps de Toutchkov.

Issu d’une fratrie de trois généraux russes, Nikolaï Alexeïevitch Toutchkov (1765-1812) commande en 1812 un corps sous Barclay de Tolly. Il est du combat de Smolensk et se tient à gauche à Borodino, où il est blessé à la tête de ses grenadiers. Il meurt peu après.

La redoute est une fortification isolée capable de se défendre, en général, sur 3 côtés. Elle peut comporter des flèches, ouvrage en forme de pointe destinée à casser l’approche ennemie par des tirs de flanc.

M osk ova

Armée française Armée russe 1

4

COSAQUES

Goroshko va

Phases

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Les flèches et les redoutes défendues par Bagration sont prises et reprises au prix de très lourdes pertes. Davout propose d’appuyer le mouvement tournant de Poniatowski, mais Napoléon refuse : il ne veut pas utiliser ses réserves pour boucher le trou que ce mouvement créerait dans sa ligne, et préfère les garder au cas où l’aile droite russe passerait à l’offensive ; surtout, il craint qu’un mouvement tournant n’incite à nouveau les Russes à se dérober…

La canonnade la plus intense

La canonnade, commencée dès 6 heures le matin du 7 septembre, sera la plus intense de toutes les batailles napoléoniennes, car les Russes, avec 640 canons, ont les moyens de riposter aux 590 pièces françaises. Les historiens ont calculé que les Français ont tiré ce jour-là 60 000 coups de canon et les Russes 50 000, soit en moyenne trois coups par seconde sur la durée de la bataille… Eugène s’empare facilement de Borodino ; en revanche, les flèches et les redoutes défendues par Bagration sont prises et reprises au prix de très lourdes pertes, tandis que Poniatowski ne parvient pas à déboucher de la forêt d’Outitsa, au sud. Napoléon et Koutouzov nourrissent ce combat frontal autour de lignes fortifiées, prémisses des guerres à venir, à coups de renforts pour remplacer les effectifs qui fondent à grande vitesse sous la canonnade. Bagration est mortellement blessé vers midi par un éclat de métal. Koutouzov détache peu à peu

ses troupes de l’aile droite pour renforcer sa gauche. Il envoie vers 11 h sa cavalerie faire un raid de diversion contre Eugène. Les Russes sont rapidement repoussés, mais ce mouvement conforte Napoléon dans son souci de garder des réserves en cas de contre-attaque. Vers midi, les Français sont finalement maîtres des flèches et du hameau de Semionovskoié, et tournent leurs canons contre la grande redoute. Entre 15 et 16 heures, la cavalerie lourde saxonne et polonaise, appuyée par Eugène qui a traversé la Kolotcha, fait tomber définitivement l’aile gauche russe en entrant dans la grande redoute par l’arrière. Le combat se poursuit cependant à coups de canons sans guère plus de mouvements, les Russes refusant d’abandonner la partie. Vers 17 heures, Napoléon, qui a quitté son poste d’observation, vient parcourir les positions conquises. Au soir de cette tuerie, Koutouzov a gardé intacte une partie de son aile droite, et Napoléon sa Garde, malgré les supplications de ses généraux qui demandent que « les vieilles moustaches achèvent le travail ». Chacun pense en effet que la bataille va reprendre le jour suivant. Mais Koutouzov, à l’annonce du décompte des pertes et privé des fortifications de son aile gauche, choisit la retraite, ce dont Napoléon ne s’apercevra que le lendemain matin. ■

Pour aller

+ loin

Napoléon. 1812 : La campagne de Russie, J. Tranié et J.-C. Carmigniani, Pygmalion, 1998. Borodino, Battle of the Moskova 1812, Richard H. Berg, GMT Games, 2004.

Guerres & Histoire HS No 4 • 91

1812 - La campagne de Russie

LA BÉRÉZINA, UNE CATASTROPHIQUE VICTOIRE MILITAIRE Du 25 au 29 novembre 1812

L

a paix conclue avec la Suède et la Turquie en avril 1812 permet au Tsar de faire revenir les troupes engagées en Finlande et dans les Balkans. Wittgenstein ainsi renforcé au nord (34 000 hommes), Tomasov (remplacé par Tchitchagov) au sud, avec 24 000 hommes, repoussent devant eux respectivement les corps de Macdonald et de Schwarzenberg qui leur sont opposés pour converger afin de couper la retraite des restes de la Grande Armée. Attaquée en queue par Koutouzov, celleci, espère le tsar, sera contrainte de capituler.

Stratagème au sud de Borisov

Après avoir appris que Wittgenstein a occupé Vitebsk le 6 novembre et évacué Smolensk le 17 novembre, Napoléon dirige les troupes par la route du sud-ouest vers Minsk, où ont été accumulées d’abondantes provisions. Mais le 16 novembre, Tchitchagov s’empare de Minsk, puis le 21 de Borisov, où est situé le seul pont sur la Bérézina. La retraite étant coupée, Napoléon envoie Oudinot attaquer Borisov et fait rechercher des passages possibles sur la rivière au nord de cette ville. Les éclaireurs d’Oudinot avaient découvert le 22 un gué à Studianka, vers lequel Napoléon averti fait converger les troupes par des chemins de traverse, et ordonne aux pontonniers du général Éblé d’y construire deux ponts. Afin de tromper Tchitchagov, qui s’est retiré sur la rive droite après avoir coupé le pont de Borisov, Oudinot envoie des unités entasser des poutres et des planches au sud de Borisov, afin de faire croire à une tentative de passage. Tchitchagov rappelle les patrouilles envoyées au nord le long de la rive droite et marche vers le sud. Les pontonniers peuvent travailler sans être inquiétés, quoique dans des conditions effroyables, dans une eau glacée, les journées du 25 et du 26. Napoléon lui-même

Pierre Christianovitch, comte Wittgenstein (17681842), est issu d’une famille germano-balte au service du tsar. En 1812, il commande le 1er corps russe. Il manque l’encerclement des Français sur la Bérézina puis prend la tête de l’armée russe en 1813, à la mort de Koutouzov. 92 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo v Napol et Tchitchago Wittgenstein EFFECTIFS mes 20 000 hom mes m ho 0 00 50 PERTES es 6 000 homm es 2 000 homm E DURÉ bre le 28 novem Dix heures NNEL IO OPÉRAT s, les RÉSULTAT çaise. Certe bi moins an fr re oi ct su t on et n C’est une vi ntinué pent le terrai Russes occu s l’armée française a co re ai uv M . œ es an rt r la m de pe a fait échoue urer sa retraite et à l’encercler et à capt uva sait a sa russe qui vi à la Bérézin « Napoléon r et acquit même . ur re pe m l’E t son honneu intégralemen oire. » (Clausewitz) gl le el une nouv

se montre à Borisov le soir du 25 pour conforter le stratagème, avant de gagner Studianka le matin du 26. Le premier pont est achevé à 13 heures le 26 ; le second, pour l’artillerie et les voitures, le sera vers 16 heures Oudinot traverse le soir du 26, mais le pont d’artillerie s’effondre vers 20 heures, il faut le reconstruire. Il s’effondrera à nouveau par deux fois dans la nuit. Ney traverse le matin du 27, puis Napoléon et la Garde l’après-midi, Junot et Poniatowski dans la soirée, Eugène et Davout dans la nuit du 27. Il ne reste sur la rive gauche que la masse des traînards qui ne songent pas à quitter les feux de bivouac pour passer, et les troupes de Victor chargées de surveiller Wittgenstein qui, contournant sans les voir les Français entassés à Studianka, a rejoint Tchitchagov à Borisov. Lorsque ce dernier se rend compte de sa bévue, il marche

L’amiral Pavel Vassilievitch Tchitchagov (1767-1849) commande en 1812 l’armée russe de Moldavie. En marchant vers l’ouest, il se heurte à Schwarzenberg, qui tient l’aile droite de la Grande Armée. Il le repousse puis, remontant vers le nord, vient couper la retraite de Napoléon sur la Bérézina. Il est rendu responsable de l’échec de Borisov.

Nicolas-Charles Oudinot (1767-1847) est le maréchal le plus blessé de l’Empire (22 ou 27 fois, on en discute…). Il n’est absent qu’en Espagne. Chef du 2e corps durant la campagne de Russie, il montre son habituel courage au passage de la Bérézina.

vers le nord par la rive droite, mais Ney défend la tête de pont tout au long de la journée du 28, protégeant le défilé des troupes. Wittgenstein arrive à son tour par la rive gauche du fleuve, provoquant la panique des traînards qui se ruent sur les ponts : c’est à ce moment que se déroulent les scènes les plus terribles qui forgeront le sinistre nom de la Bérézina. Les troupes de Victor résistent jusqu’à la nuit à Wittgenstein avant de franchir les ponts à leur tour. Les pontonniers mettent le feu à leurs ouvrages à 8 heures le matin du 29, suscitant une

Pour aller

nouvelle ruée des traînards et des civils. Mais 10 000 d’entre eux, privés de passage, tomberont aux mains des Cosaques. Pendant ce temps, les dernières unités organisées, dont les équipages de l’Empereur, toujours protégées des attaques de Tchitchagov par Ney, filent par la digue qui traverse les marécages en direction de Vilna. Koutouzov, cantonné à Kopys sur le Dniepr, à une journée de marche de Studianka, n’aura pas esquissé un mouvement durant la bataille... ■

Dans des conditions effroyables, deux ponts sont construits : un pour les troupes, l’autre pour l’artillerie et les voitures. xxx

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L’Effroyable tragédie, M.-P. Rey, Flammarion, 2012. La Bérézina. Une victoire militaire, F. Beaucour, J. Tabeur et L. Ivtchenko, Economica, 2006. La Bérézina 1812, Frédéric Bey, Ludifolie éditions, 2012.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 93

LA CAMPAGNE

DE SAXE 1813

La dernière campagne outre-Rhin est un échec patent pour l’Empereur. Son art est désormais assimilé par les coalisés, qui bénéficient en outre de la supériorité numérique, et l’usure continue, considérable et sans remède des forces françaises les condamne à la ruine. 94 • Guerres & Histoire HS No 4

À Hanau, le 30 octobre 1813, la cavalerie de la garde impériale affronte celle de la Bavière, ex-allié de Napoléon et qui a changé de camp le 8.

Guerres & Histoire HS No 4 • 95

1813 - La campagne de Saxe

ET LA FRANCE ABANDONNA L’ALLEMAGNE

L PAR

PATRICK BOUHET

(voir biographie p. 40)

+

Pour aller loin NapoléonMetternich. Le jour où l’Europe a basculé, Günter Müchler, FranceEmpire, 2013. Allemagne 1813, de Lützen à Leipzig, F. Bey, Hexasim, 2011.

a désastreuse campagne de 1812 en Russie a fait trembler l’édifice napoléonien sur ses bases, mais c’est celle de 1813 qui marque la fin du « Grand Empire » puis préfigure la chute du régime, l’année suivante. Lorsque Napoléon Ier quitte la Grande Armée, le 5 décembre 1812 en Lituanie, celle-ci n’existe déjà quasiment plus. L’Empereur décide alors de rentrer à Paris pour reconstituer une armée et, surtout, raffermir un régime qui a dangereusement vacillé sous la tentative de coup d’État du général Malet. La fin de la campagne de Russie, quant à elle, ne signifie en rien la fin de la guerre. L’empereur de Russie, Alexandre Ier, a décidé de poursuivre son avantage en Allemagne. En décembre 1812, la Prusse, auparavant alliée à la France contre son gré, se déclare neutre. Puis, le 17 mars, elle s’engage avec la Russie et entre ainsi dans la sixième coalition (voir p. 100). Lorsqu’après avoir réussi à reconstituer une armée de campagne de plus de 200 000 hommes en moins de trois mois, Napoléon arrive à Erfurt, le 25 avril 1813, il doit tenir compte de l’ensemble de ces données dans ses calculs. Tout au long de la campagne à venir, son but principal sera de reprendre Berlin. Ce serait un rude coup politique pour les coalisés et un succès militaire qui assurerait des ressources pour le ravitaillement de l’armée. Mais son premier objectif est de reconquérir Dresde et d’y rétablir le roi de Saxe chassé de sa capitale, le 26 mars. C’est la condition nécessaire au maintien de son système d’alliances et de la Confédération du Rhin, d’autant que les coalisés menacent les souverains de la perte de leurs États s’ils ne les rejoignent pas. À Lützen le 2 mai, puis à Bautzen, les 20 et 21, Napoléon bat les armées coalisées, mais les limites de la nouvelle Grande

Le 23 octobre 1812, profitant de l’absence de l’Empereur, le général Claude-François de Malet (1754-1812), ancien gouverneur de Rome déjà incarcéré en 1808 pour conspiration, annonce la mort de Napoléon, la fin de la guerre et la formation d’un gouvernement provisoire. Le coup d’État échoue et les conjurés sont fusillés le 29.

96 • Guerres & Histoire HS No 4

Armée apparaissent au grand jour. Le 4 juin 1813, un armistice est signé à Pleiswitz. Napoléon sent que l’Autriche est menaçante. En outre, les pertes françaises ont été importantes sans avoir permis d’obtenir d’avantages décisifs. Il espère que pendant ce répit de deux mois, il pourra se renforcer et, par une manœuvre diplomatique, réussir à maintenir l’Autriche au mieux dans l’alliance française, au pire hors de la guerre. L’objectif des coalisés est bien sûr inverse, et ils cherchent surtout à miner le système des alliances de Napoléon. Une entrevue orageuse entre le chancelier Metternich et l’Empereur, le 26 juin, ne doit laisser que peu d’illusions à Napoléon sur les intentions de l’Autriche.

Les coalisés serrent les rangs

Mais il accepte, malgré tout, sa médiation et il est décidé qu’un congrès se tiendra à Prague, tandis que l’armistice est prolongé jusqu’à la mi-août. Aucun des belligérants ne veut apparaître comme l’agresseur, mais aucun ne semble non plus souhaiter réellement un compromis. Napoléon double ses effectifs. Les coalisés renforcent leurs liens, reçoivent le soutien financier et matériel du Royaume-Uni, définissent leurs objectifs communs pour faire taire leurs divisions, ainsi qu’un plan qui vise à chasser les Français d’Allemagne. Allemagne où l’exaspération, quant aux conséquences économiques et sociales de la présence française, touche la population de tous les États et fait naître un sentiment antifrançais plus que réellement national. Lorsque les opérations reprennent, ce sont 770 000 coalisés qui sont opposés à environ 530 000 Français et alliés sur un théâtre d’opérations immense qui s’étend de la Baltique au Tyrol et des bords du Rhin à l’empire d’Autriche. Napoléon vise toujours Berlin et souhaite battre les armées ennemies successivement avant leur regroupement et ainsi, peut-être, obtenir la dissolution de la coalition comme il l’a fait en 1805. Les coalisés veulent eux livrer une bataille décisive toutes forces réunies, en évitant des batailles partielles où l’Empereur est présent. Une série de combats et batailles aux chances fluctuantes commence alors. Davout, qui a repris Hambourg en mai, remporte une victoire dès le 18 août. Bernadotte, devenu prince héritier de Suède et commandant de l’armée coalisée du Nord, bat Oudinot à Grossbeeren, le 23. Si Napoléon gagne une grande bataille à Dresde, les 26 et 27 août, le corps d’armée du général Vandamme est détruit à Kulm, le 30. Le 6 septembre, le maréchal Ney est battu à son tour à Dennewitz par le Prussien Bülow.

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La situation se dégrade tant, que la Bavière entame son abandon de l’alliance française dès le 10 septembre, puis rejoint la coalition le 8 octobre. Les 16, 17 et 18 octobre 1813 a lieu, à Leipzig, la plus grande bataille livrée en Europe jusqu’à la Première Guerre mondiale. Napoléon, n’étant pas parvenu à battre ses ennemis les uns après les autres, ne pouvait que plier sous le poids du nombre et la volonté de ses adversaires. Il abandonne alors l’Allemagne et passe le Rhin, le 2 novembre, non sans avoir sévèrement battu les Bavarois à Hanau.

Les Français lassés de la guerre

Napoléon pouvait-il encore gagner ? Politiquement, il n’arrive plus à diviser ses adversaires car, malgré des divergences notables, ils sont unis dans leur rejet de la domination française. Même au sein de l’Empire et de son gouvernement, les soutiens deviennent moins sûrs. Les Français aspirent à la paix et l’expriment. L’ambition de Napoléon n’est plus la leur. D’ailleurs, la France a-t-elle encore les ressources pour mener longtemps ce qui s’apparente de plus en plus à une guerre d’usure ? La campagne de 1813 doit être avant tout considérée comme une victoire diplomatique et financière britannique, tandis que la manœuvre diplomatique qui, chez Napoléon, précède ou accompagne toujours les opérations militaires, a échoué. S’agissant des opérations militaires, l’offensive sur Berlin tentée par Napoléon s’accompagne, selon les réactions de ses adversaires, d’une manœuvre sur lignes intérieures. Elle a induit un constant jeu de va-et-vient qui a épuisé les troupes, tandis que les coalisés ont toujours réussi à esquiver les offensives conduites par l’Empereur. Surtout, cette méthode ne semble plus adaptée. Les masses, l’espace et le temps sont d’une tout autre dimension qu’en 1796 ou 1809. Même les principes qui fondent la conduite

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des opérations par Napoléon sont mis en cause. S’il affirme qu’il ne faut jamais se concentrer au contact de l’ennemi au risque de se faire battre en détail, les coalisés font l’inverse ; et par des marches concentriques l’obligent à une bataille qu’il n’a pas provoquée. Ils réussissent ainsi là où la coordination, liée aux moyens de communication disponibles, n’est plus suffisante pour conduire les plans conçus par l’Empereur et obtenir puis conserver l’initiative. Il est néanmoins certain que la nette supériorité numérique des coalisés leur facilite les choses. Sur le plan tactique également, l’armée impériale a perdu sa supériorité. En 1813, tous les belligérants sur le théâtre allemand sont organisés et combattent selon le principe du corps d’armée et sur la base de tactiques comparables, voire supérieures, à celles des Français. ■ Guerres & Histoire HS No 4 • 97

1813 - La campagne de Saxe

VICTOIRE INSUFFISANTE À LÜTZEN 2 mai 1813

L +

Pour aller loin La Russie contre Napoléon, Dominic Lieven, éd. des Syrtes, 2012. La Bataille de Lützen, E. Wimble et M. Mattson, Clash of Arms, 1999.

e plan de Napoléon au début de la campagne est de marcher sur Stettin en reprenant Berlin et de reporter la guerre plus à l’Est de façon à conserver ses alliances, et les ressources matérielles et politiques qu’elles offrent. Il veut aussi débloquer les places fortes occupées par des unités françaises et alliées, puis manœuvrer sous leur protection. Mais ce sont les coalisés qui ont pris l’initiative et passé l’Elbe dès le 11 avril. Ce plan est alors revu à la baisse. Il s’agit, à l’inverse de Iéna en 1806, de couper l’armée ennemie de ses communications avec la Prusse par l’aile gauche, c’est-à-dire par Dresde, tandis que celle-ci s’avance vers Bayreuth. Les coalisés sont lents, et Napoléon a le temps d’adapter son dispositif. Le 1er mai 1813, un premier combat oppose les Français à l’armée commandée par le général russe Wittgenstein. Les coalisés reculent mais Bessières est tué par un boulet. Le 2 mai, Napoléon continue son mouvement sur Leipzig. Les coalisés lui imposent alors une bataille comportant deux phases principales. De midi à 17 heures environ, c’est une phase défensive. Wittgenstein attaque le 3e corps d’armée de Ney, qui a du mal à résister. Napoléon ordonne des mouvements pour le soutenir : la

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98 • Guerres & Histoire HS No 4

Garde en arrière, les corps de Macdonald (11e) et de Marmont (6e) à gauche et à droite. L’Empereur arrive sur le champ de bataille vers 15 heures. Ney et Marmont doivent contenir les Coalisés ; Macdonald et Bertrand (4e corps) doivent prononcer un mouvement d’enveloppement de l’adversaire par les deux ailes.

La Vieille Garde soutient la Jeune

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WINTZINGERODE

À partir de 17 h-17 h 30, c’est Napoléon qui lance l’offensive. Au centre, ses positions ont tenu, notamment grâce à l’appui de la Jeune Garde (voir p. 100). Les mouvements sur les flancs étant assez prononcés, il fait constituer une grande batterie de 60 à 70 pièces, qui foudroient les coalisés au centre. À 18 h 30, les restes du 3e corps et la Jeune Garde soutenue par la Vieille Garde attaquent à leur tour au centre. Sous la pression, les coalisés se replient, protégés par la garde russe en réserve, et abandonnent les localités gagnées plus tôt. La nuit tombe et Napoléon fait bivouaquer ses troupes sur le champ de bataille. Une charge de la réserve de cavalerie prussienne contre les campements français échoue. La bataille est terminée. Cette première bataille importante de la campagne démontre que Napoléon et son armée reconstituée restent un adversaire très dangereux pour les coalisés. Mais la victoire est insuffisante pour réellement renverser l’équilibre des forces. En l’absence de poursuite, elle est plus coûteuse pour les Français que pour leurs ennemis. Cela démontre aussi que l’avantage tactique dont pouvait bénéficier l’armée française dans les premières années a disparu. L’adversaire est plus expérimenté, plus solide, mieux organisé et dispose d’une cavalerie nombreuse, tandis que celle des Français est insuffisante, en particulier pour conduire les deux missions indispensables à une victoire majeure : la reconnaissance et la poursuite. Lützen enlève toutefois aux Prussiens une figure primordiale de la résistance à la France et de la reconstruction de l’armée : Scharnhorst, chef d’état-major de Blücher. ■

BAUTZEN, UN SUCCÈS MITIGÉ Du 20 au 22 mai 1813

A

près la bataille de Lützen, Wittgenstein s’est replié sur Bautzen, mettant pour un temps l’Elbe entre lui et Napoléon. Arrivés là, Alexandre 1er, empereur de Russie, et Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse, décident qu’il faut tenir et faire face. Les forces françaises sont divisées en deux groupes, respectivement dirigés par l’Empereur et par le maréchal Ney. Le premier comprend la garde impériale, les 4e (Soult ou Bertrand selon les dates et les sources), 6e (Marmont), 11e (Macdonald), 12e corps (Oudinot) et 1er corps de cavalerie (Latour-Maubourg). Le second intègre les 2e (Victor), 3e (Ney), 5e (Lauriston), 7e corps (Reynier) et le 2e corps de cavalerie (Sébastiani).

La cavalerie, le maillon faible

Du côté russo-prussien, on compte 96 000 hommes et 250 canons. L’armée est organisée défensivement sur deux lignes qui s’appuient sur le terrain et des villages. Il semble que Napoléon ait constamment surévalué ses adversaires en leur prêtant une force de 150 000 hommes, alors que la supériorité numérique est clairement du côté français, sauf en termes de cavalerie. Après avoir reconnu les positions alliées, Napoléon décide de la manœuvre offensive qu’il veut conduire. D’abord, fixer Wittgenstein sur l’ensemble de son front avec les corps formant le centre et l’aile droite de

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l’armée placée sous ses ordres directs. Ensuite, Ney et les corps qu’il commande doivent agir contre le flanc de l’armée ennemie et ainsi provoquer l’engagement des réserves de Wittgenstein. Affaibli sur son front et désormais sans appuis, ce dernier devrait être alors à la merci d’une attaque menée par le 4e corps. Après quelques combats partiels le 19 mai, comme à Weissig et Königswartha où les pertes sont assez lourdes pour les deux camps, la première phase du plan débute le 20. Trois corps attaquent de front pendant que d’une part, le 12e corps menace le flanc gauche coalisé, d’autre part Ney, à la tête de ses 5 corps, prononce son mouvement d’enveloppement de la droite. Chaque partie pense contrôler la situation. Le lendemain, le plan français se développe, mais Ney ne parvient pas à remplir pleinement sa mission, notamment à cause de la résistance acharnée des troupes adverses. Vers 11 heures, Napoléon reprend l’attaque du centre en faisant intervenir l’artillerie en masse. Il veut toujours éviter l’attaque frontale générale et attend que les positions coalisées tombent du fait de l’action de Ney. Sous la pression de ce dernier et la menace d’être enveloppés, les coalisés reculent dès 15 heures en commençant par leur aile gauche. La bataille se termine vers 22 heures sous un violent orage. La bataille, favorable aux Français, leur coûte aussi cher qu’aux coalisés et confirme que sans cavalerie, la poursuite est impossible. La nouvelle Grande Armée est courageuse mais s’épuise vite. L’armée adverse se replie en effet en bon ordre vers la Silésie. Le 4 juin, les adversaires conviennent d’un armistice nécessaire à leur renforcement respectif. La lutte doit reprendre dans l’esprit de tous, aucun n’ayant pu prendre un avantage marqué. Dans sa conception, Bautzen pourrait être un modèle de bataille napoléonienne. La manœuvre à trois temps — fixation-débordement-attaque décisive — aurait dû être suivie de la poursuite. Mais il a manqué la cavalerie nécessaire, la qualité des troupes et les communications à la dimension de la manœuvre d’armées pour une conception pensée à celle de la coordination de corps d’armée. ■ Guerres & Histoire HS No 4 • 99

1813 - La campagne de Saxe

DRESDE, LE CHANT DU CYGNE DE LA GESTE NAPOLÉONIENNE Du 26 au 27 août 1813

A

près la rupture de l’armistice de Pleiswitz, chaque camp s’est renforcé, notamment en cavalerie pour la France, et ce sont plus de 770 000 coalisés qui se trouvent opposés à 530 000 Français et alliés, toujours plus fragiles, de la France. Napoléon veut reprendre les conceptions qu’il a développées depuis le début de la campagne. Les coalisés souhaitent une bataille décisive, mais qui ne sera proposée ou imposée que si l’armée française se retrouve suffisamment affaiblie par des défaites partielles successives des lieutenants de Napoléon. Profitant que Napoléon se focalise sur l’armée de Silésie (Blücher), Schwarzenberg, à la tête de l’armée de Bohême forte de 230 000 Russes et Autrichiens, se dirige vers Dresde, capitale du roi de Saxe, allié de Napoléon. Les Prussiens suivent la stratégie qui a été définie — le plan dit de Trachenberg — et se replient devant Napoléon. Gouvion-Saint-Cyr, dont le corps représente la seule défense de Dresde, alerte alors Napoléon du mouvement qu’effectue l’armée austro-russe. L’Empereur se met aussitôt en route pour Dresde.

L’ennemi aux portes de la ville

Dès le 22 août, Gouvion-Saint-Cyr est au contact avec l’armée de Schwarzenberg, dans un rapport de 1 à 4. Il ne retarde que difficilement la progression ennemie et aurait sans aucun doute perdu Dresde si l’état-major coalisé avait réellement poussé son avantage. Le 26, après avoir attendu de nouveaux renforts, les Austro-Russes sont aux portes de la ville et prévoient d’attaquer. Mais Napoléon arrive le même jour avec la Garde, la réserve de cavalerie (Murat), suivies des corps de Marmont et Victor. L’avantage des coalisés est passé à 2 contre 1, tandis que les Français bénéficient de positions défensives. L’état-major coalisé décide alors d’annuler l’attaque car il a

La sixième coalition regroupe, aux côtés de l’Angleterre et de l’Autriche, le royaume de Prusse et l’Empire russe, à nouveau adversaire de la France depuis la fin des effets du traité de Tilsit. C’est contre cette coalition que Napoléon connaît les échecs qui aboutiront à son abdication et son départ vers l’île d’Elbe en avril 1814.

100 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap erg Schwarzenb FS TI C EFFE mes 120 000 hom 0 hommes 00 Plus de 150 PERTES es 8 000 homm es m m ho 0 27 00 E É R h DU : de 15 h à 21 26 août 1813 de 6 h à 15 h : 13 18 27 août NTEMENT E L’AFFRO NATURE D ive puis offensive ns Bataille défe e sé po im lle ai at B NNEL OPÉRATIO RÉSULTAT ise majeure ça Victoire fran POLITIQUE vation de AT LT U S er RÉ n’est la cons ce si Aucun e nn xo sa l’alliance

compris que Napoléon est accouru. Mais le contrordre n’arrive pas à temps et le combat est engagé. Dans un premier temps, l’armée de Schwarzenberg progresse ; mais elle est de plus en plus ralentie au fur et à mesure de l’engagement de nouvelles troupes du côté français. Les lignes de défense tenues par le corps de Gouvion-Saint-Cyr pour protéger la ville résistent presque partout. Entre 5 heures et 5 h 30, Napoléon décide de contre-attaquer, notamment avec la Garde, et au soir, quand les combats cessent, il a recouvré le terrain perdu dans la journée. Durant la nuit, les renforts arrivent des deux côtés. Les Français rassemblent 120 000 combattants tandis que les AustroRusses en disposent de plus de 150 000 autour de Dresde. Le lendemain, les deux états-majors opposent deux plans diamétralement contraires. Les coalisés concentrent leurs efforts

Unité de la garde impériale constituée postérieurement à la Vieille Garde, la Jeune Garde réunit plus de 30 régiments, allant jusqu’à représenter 3 corps d’armées à 2 divisions de conscrits, encadrés par les anciens. On y trouve des voltigeurs-tirailleurs, des flanqueurs, des gardes nationaux, des artilleurs, et enfin des éléments de cavalerie.

Le 26 à Dresde, sort de la ville le 27 à 6h. Retour à 3h

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Positions du 27 août 1813

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Redoute

et leurs troupes au centre, Napoléon veut attaquer sur les deux flancs en fixant, justement, le centre ennemi. Ney et Mortier sont à gauche, Victor et une partie de la cavalerie à droite. GouvionSaint-Cyr et Marmont sont au centre avec la Garde en réserve. Le temps est à la pluie et au brouillard, ce qui aura pour effet de limiter la qualité du feu de l’infanterie et pèsera sans aucun doute dans les succès remportés par la cavalerie ce jour-là.

Un boulet tue encore un général

À 6 heures du matin, les Français attaquent la droite coalisée qui commence vite à céder, mais aussi l’aile gauche où les résultats sont tout aussi positifs, surtout après l’attaque menée par Victor et Murat vers 15 heures Le centre austro-russe ne peut soutenir ses ailes, principalement la gauche dont il est séparé par un ravin. Lui-même gagne un peu de terrain mais est bloqué par la résistance de Gouvion-Saint-Cyr et Marmont, et subit les contre-attaques de la Garde. C’est là, vers 11 heures, que le général français Moreau, rendu célèbre par ses faits d’armes pendant la Révolution, est frappé par un boulet de la Garde. Opposant à Napoléon, il était revenu il y a peu de son exil en Amérique pour servir de conseiller à l’empereur Alexandre 1er de Russie. Il a les deux jambes emportées, et mourra peu après. Leurs deux ailes ayant été vaincues, et craignant d’être rejetés au sud, en désordre et sur de mauvais chemins, les coalisés décident de se retirer, profitant du couvert de la nuit. Leurs pertes sont importantes, notamment en prisonniers, mais ils se replient à nouveau en bon ordre. La victoire, pour être nette une fois de plus, n’est pas décisive

car la poursuite n’est pas suffisamment engagée. En effet, Napoléon est souffrant à partir du 28 août, et n’insuffle pas l’énergie nécessaire à une armée épuisée par les derniers combats. Plus grave, la victoire est minorée voire remise en question par la destruction du corps de Vandamme, dès le 30. Il devait la compléter en coupant la retraite de l’armée coalisée, mais ne pouvait le faire sans un soutien qu’il ne reçut pas des corps de Gouvion-SaintCyr et de Mortier. Situation et risque qui ne sont pas nouveaux si l’on se souvient de Mortier à Dürrenstein en 1805 ou de Davout à Auerstaedt en 1806. Mais le différentiel de qualité tactique n’est plus suffisant pour compenser les aléas ou les fautes de la manœuvre générale. Les Russes, Prussiens et Autrichiens se sont définitivement hissés au même niveau de cohésion, d’organisation, de professionnalisme et de commandement que les Français, qui ont beaucoup perdu dans ces domaines à cause de l’usure provoquée par les campagnes précédentes. Les défaites d’Oudinot, le 23 août — qui manœuvrait vers Berlin et s’est retrouvé face à l’armée de Bernadotte — d’une part, celle de Macdonald le 26 face à Blücher à la Katzbach d’autre part, finissent d’assombrir le tableau. La manœuvre voulue par Napoléon depuis le début de la campagne et visant à agir sur Berlin avant de rejeter l’ennemi le plus à l’est possible se révèle impossible à réaliser, notamment parce qu’il a perdu l’initiative et ne réussit plus à imposer à ses adversaires ni son tempo, ni sa stratégie. La bataille de Dresde est en quelque sorte le chant du cygne avant la catastrophe qui transparaît déjà à la lecture de la situation générale à la fin du mois d’août 1813. ■

Pour aller

+ loin

En campagne avec Napoléon, 1813. Récits et témoignages, C. Bourachot (dir.), Pierre de Taillac, 2013. The Battle for Dresden 1813, Mark Hinkle, New England Simulations, 1995.

Guerres & Histoire HS No 4 • 101

1813 - La campagne de Saxe

LA FRANCE JOUE SEULE CONTRE TOUS À LEIPZIG, ET PERD Du 16 au 19 octobre 1813

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apoléon a décidé de regrouper son armée autour de Leipzig menacée, avec les troupes qui couvrent la ville par les armées coalisées en cours de jonction. Il inspecte le futur champ de bataille le 15 octobre 1813 et arrête son plan. L’armée française est disposée sur trois lignes de défense pour attendre l’arrivée de troupes supplémentaires. L’Empereur a conscience de la disproportion des forces mais sait aussi que la retraite revient à abandonner à leur sort les places encore occupées par des troupes françaises soit près de 170 000 hommes (Kustrin, Dantzig, Glogau, Hambourg, Magdebourg, Stettin, Torgau, Thorn, Wittenberg, voire Dresde où est resté Gouvion-Saint-Cyr…). Les coalisés, regroupant plus de vingt nations, souhaitent attaquer vite, avant que les troupes françaises soient réunies, même si toutes leurs forces ne sont pas encore arrivées.

ANTS COMMAND er Napoléon I oupes alliées Chefs des tr EFFECTIFS 000 hommes 0 170 000 à 19 octobre – 370 000 le 18 16 le 0 00 200 PERTES mes 45 000 hom 0 hommes Plus de 50 00 DURÉE 4 jours NTEMENT E L’AFFRO emi NATURE D ive imposée par l’enn ns fe dé lle ai at B NNEL OPÉRATIO RÉSULTAT re eu Défaite maj POLITIQUE française en AT LT U S RÉ e de l’influenc dération du Rhin. le ta to Perte la Confé de n Fi . ne Allemag Rhin Repli sur le

Les coalisés passent à l’attaque

Le 16 octobre a lieu une forme de prélude, après maints accrochages mineurs, qui prend le nom de bataille de Wachau et comprenant les engagements secondaires mais tout aussi sanglants de Möckern et Lindenau. Les attaques sont bien contenues par les Français. Ils prennent même l’offensive au centre avec deux corps d’armée appuyés par une grande batterie et soutenus par la Garde. Le centre autrichien est alors très malmené et ne résiste que grâce à l’arrivée de nouveaux renforts. Mais l’attaque est ralentie et une nouvelle menace sur le pont de Dölitz oblige Napoléon à dépêcher des renforts qui manquent pour nourrir l’offensive en cours. La journée reste indécise bien qu’elle ait été déjà fort coûteuse pour les deux camps. En particulier, l’emploi massif de l’artillerie des deux côtés a provoqué de nombreuses pertes y compris pour des unités non engagées directement. Le 17 octobre voit les deux armées se faire face sans opérations majeures, sauf au nord de la ville où Blücher maintient une forte pression. Napoléon a conscience du développement négatif de la situation et son dispositif se resserre comme pour préparer une retraite inévitable. Le 18 octobre, les coalisés, renforcés par les armées de Bennigsen au sud et de Bernadotte au nord, attaquent de nouveau et poussent les Français vers la ville même de Leipzig. C’est à ce moment que les Saxons, derniers alliés « allemands » majeurs de Napoléon passent à l’ennemi. La nuit tombée, l’Empereur ordonne la retraite. Elle doit s’effectuer par la route de Leipzig à Lindenau qui franchit cinq ponts principaux et plus d’une dizaine de petits. Les combats ont été à nouveau très durs, les pertes très importantes. L’artillerie a énormément joué, compensant 102 • Guerres & Histoire HS No 4

quelques fois, côté français, la supériorité numérique adverse ; mais maintenant les munitions manquent. Le 19 octobre, au matin, les coalisés comprennent l’intention de Napoléon et attaquent immédiatement. Retardés par l’arrière-garde française, ils prennent Leipzig tandis que les troupes françaises poursuivent leur mouvement de repli sur les ponts qui enjambent l’Elster, notamment celui de Lindenau. La ligne de retraite et de communications est menacée depuis le début de la bataille car la supériorité numérique des coalisés leur permet d’envelopper assez largement les positions françaises. C’est alors que le pont, miné sur ordre de Napoléon, explose à la suite d’une faute de l’officier du génie chargé de sa garde. Les troupes françaises encore dans la ville sont alors incapables de poursuivre leur retraite et sont faites prisonnières. La défaite devient un désastre : 4 corps d’armée en tout ou partie sont pris. C’est à ce moment que le prince polonais Poniatowski — qui le 16 octobre était devenu le seul étranger à être élevé à la dignité de maréchal d’Empire —, blessé, se noie en essayant de passer l’Elster. La victoire coalisée de Leipzig n’est pas simplement celle du nombre, c’est aussi celle de la conception d’une manœuvre qui a réussi à mettre à mal le « système » napoléonien. Le plan dit de Trachenberg (voir p. 104), dont la paternité est toujours discutée, exprime une intention simple : ne pas faire face à Napoléon en personne, battre ses lieutenants, puis, l’armée française une fois diminuée par une série de défaites partielles, attaquer dans le cadre d’une bataille décisive toutes forces réunies. Du fait de

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SCHWARZENBERG

La ligne de retraite et de communications est menacée car les coalisés enveloppent les positions françaises. ce plan, Napoléon s’est épuisé en réactions aux mouvements adverses, depuis sa victoire vite privée de sens de Dresde, et n’a pas réussi à regagner l’initiative. En fait, Leipzig, plus grande bataille sur le continent européen jusqu’à la Première Guerre mondiale, marque aussi la différence entre la conduite des opérations d’une armée et celle de plusieurs armées regroupant des centaines de milliers d’hommes. La bataille pensée dans le cadre du plan de Trachenberg est donc l’aboutissement d’opérations successives ou concomitantes qui sont coordonnées à partir d’une intention partagée plutôt qu’à partir d’une direction centralisée, à l’exemple de la campagne de 1805 du côté français. Leipzig est

aussi, tout comme Ulm et surtout Austerlitz, le couronnement des opérations militaires mais aussi celui des manœuvres politiques et diplomatiques des belligérants. Si Napoléon a réussi à diviser des coalitions et à se gagner des alliés jusqu’à conduire une armée de vingt nations contre la Russie en 1812, c’est Leipzig qui devient la « bataille des nations » toutes réunies contre l’hégémonie française, réelle et perçue. Avec cette bataille, la démonstration était faite de l’isolement de Napoléon et de la France autant que celle de la possibilité de vaincre nettement l’Empereur dans une grande bataille à la suite d’une campagne dûment planifiée. ■

Pour aller

+ loin

Leipzig. 16-19 octobre 1813, Walter Bruyère-Ostells, Tallandier, 2013. Leipzig. La bataille des nations, Bruno Colson, Perrin, 2013. Napoleon at Leipzig, Kevin Zucker, Operational Studies Group, 2013.

Guerres & Histoire HS No 4 • 103

1813 - La campagne de Saxe

LES FRANÇAIS GAGNENT À HANAU... UN BILLET DE RETOUR 30 octobre 1813

A

près la défaite de Leipzig, Napoléon n’a plus qu’une voie à suivre : se replier vers la France avec le reste de son armée. Il lui reste entre 50 000 et 100 000 hommes selon les sources. Mais seulement 30 000 à 40 000 peuvent être engagés dans un combat ; les autres sont des fuyards qui ont perdu leurs armes ou surtout n’ont pas retrouvé leur unité. Les coalisés se sont lancés à la poursuite des Français, et harcèlent constamment les colonnes. Cependant, la route qui sera suivie par l’Empereur avec la majeure partie de ses troupes n’a pas encore été découverte et la cavalerie ne peut suffire à barrer la route à cette armée qui, bien que diminuée, peut être encore très dangereuse. À plusieurs reprises, les Français se frayent un chemin à travers les troupes ennemies pour poursuivre leur retraite. Le point de ralliement choisi est Erfurt. Napoléon est principalement accompagné de sa Garde, qui représente encore une force d’environ 10 000 hommes d’élite. C’est elle qui prendra à son compte la majeure partie du combat de Hanau.

La Bavière a changé de camp

C’est le général bavarois Wrede, qui s’est battu aux côtés des Français depuis 1805 (voir notamment carte p. 43), qui tente maintenant de leur couper la route avec une armée austro-bavaroise d’environ 45 000 hommes. La Bavière est l’un des derniers alliés de Napoléon à changer de camp. Ce dernier arrive le 23 octobre à Erfurt et y reste jusqu’au 25. Il réorganise déjà son armée en vue d’une bataille qu’il sait sûre avec l’annonce de la défection bavaroise. Ce n’est d’ailleurs pas la seule car Murat, son beau-frère, le quitte alors pour défendre son royaume de Naples, ce qu’il fait en réalité en discutant avec les coalisés depuis un certain temps déjà. Poursuivant sa retraite, l’Empereur apprend le 19 que les Austro-Bavarois

Dans leurs conférences de Trachenberg (leur quartier général, aujourd’hui Zmigrod, en Silésie) et de Reichenbach, les coalisés ont défini la ligne de conduite qui doit rendre vains les efforts de Napoléon : éviter le contact chaque fois qu’il le cherchera, attaquer là où il ne sera pas présent personnellement.

104 • Guerres & Histoire HS No 4

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cherchent à lui barrer la route de Francfort près de Hanau. La nuit du 29 au 30 octobre 1813 est passée à décider et mettre en place le dispositif censé ouvrir la voie. Il dispose pour cela de la Garde et d’éléments des 2e, 5e et 11e corps d’armée ainsi que des 2e, 3e, 4e et 5e corps de cavalerie. C’est Macdonald qui ouvre la voie, suivi par la cavalerie de Sébastiani puis la Garde à pied et à cheval. La disposition des troupes est la suivante : Victor (2e corps) est à l’aile gauche et s’appuie sur le cours de la rivière Kinzig ; Macdonald (11e corps d’armée) est au centre avec la Vieille Garde ; la droite est couverte par la cavalerie de Nansouty. Les Français doivent traverser une forêt pour atteindre Hanau. Wrede, quant à lui, a déployé son infanterie au débouché de cette forêt sur la rive droite de la Kinzig. Il constitue aussi une grande batterie de 60 canons pour contrôler les abords et l’utilisation de la route que doivent suivre les Français. Ceux-ci parviennent à progresser en repoussant

Par le jeu des alliances, le feld-maréchal bavarois Carl Philipp von Wrede (17671838) se bat contre l’Empereur (Hohenlinden, 1800), pour lui (de 1805 à 1812), puis à nouveau contre. Napoléon, cruel, dira de lui : « J’ai bien pu faire de Wrede un baron, mais non un bon général. »

Le général comte Antoine Drouot (1774-1847) est un des bons artilleurs de la Grande Armée. Il fait donner ses pièces en Espagne, puis à Wagram, où il est blessé, et à Borodino. Il se montre encore très bon en Allemagne en 1813, notamment à Hanau, où ses canons emportent la décision.

l’ennemi à partir de 8 heures. La cavalerie lourde française essaie de charger la grande batterie adverse mais sans succès. Vers midi, les Français sont maîtres des lisières de la forêt, mais ne peuvent en sortir à cause du feu adverse. Les pertes s’alourdissent des deux côtés. C’est vers 15 heures que Napoléon reconnaît la position austro-bavaroise et remarque que l’infanterie est déployée dos à une rivière avec un seul passage pour faire la liaison avec l’autre rive.

Wrede commence. L’accès à la route de repli est libéré même si Hanau est toujours occupé par l’ennemi. Napoléon la fait attaquer plus tard dans la nuit et la prend. Il arrive à Mayence le 2 novembre puis à Paris (Saint-Cloud) le 9 novembre. Il commence alors à créer une nouvelle armée ; celle qui combattra en 1814 en France. Hanau, sans être un engagement réellement majeur, est une occasion manquée pour les coalisés de mettre fin à la guerre. Parce qu’ils auraient pu empêcher les débris de rejoindre la France pour constituer les cadres de cette nouvelle armée mais surtout parce qu’ils auraient pu éliminer Napoléon, au moins politiquement voire plus, en lui infligeant une nouvelle défaite. C’est, toute chose égale par ailleurs, une répétition de la bataille de la Bérézina qui est aussi une victoire acquise pour assurer le repli de Napoléon et du reste de son armée. Pour les coalisés, le prix de cet échec est une nouvelle campagne qui s’avérera à nouveau très dure pour tous les belligérants engagés. ■

Duel d’artillerie et de cavalerie

Le général Drouot propose alors de constituer lui aussi une grande batterie qui ouvrirait le chemin de l’armée. L’action commence par un duel d’artillerie et par des charges de cavalerie de part et d’autre avec des résultats divers. Cependant, vers 16 heures, plusieurs carrés d’infanterie austro-bavaroise sont enfoncés et sabrés tandis que la grande batterie française continue de progresser. À 17 heures, le repli de l’armée de

Pour aller

+ loin

Hanau & Montmirail, Jean-Pierre Mir, Histoire et collections, 2009. Hanau 1813, F. Bey, VaeVictis, collection Jeux d’Histoire, 2013.

Vers midi, les Français sont maîtres des lisières de la forêt, mais ne peuvent en sortir à cause du feu de la batterie adverse.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 105

106 • Guerres & Histoire HS No 4

Près de La Rothière, le 1er février 1814, les dragons du Kronprinz Guillaume de Wurtemberg chargent les troupes françaises du maréchal Victor.

LA CAMPAGNE

DE FRANCE 1814

Les défaites françaises en Saxe ont sonné l’hallali, et toute l’Europe – ou presque – envahit désormais la France. Napoléon n’a à lui opposer que les débris de ses armées des campagnes récentes, et n’a pas le temps d’en rassembler une nouvelle. L’abdication est proche. Guerres & Histoire HS No 4 • 107

1814 - La campagne de France

LA FRANCE MÛRE POUR S’AVOUER VAINCUE

A PAR ANTOINE REVERCHON

(90 000), la Hollande est libérée par Bernadotte (50 000) en décembre et janvier, et tous refoulent devant eux les maigres corps rescapés de 1813 (environ 100 000 hommes au total). Le 25 janvier, Blücher est à Saint-Dizier, Schwarzenberg à Bar-sur-Aube, Bernadotte en Belgique. Napoléon perd d’emblée les ressources des départements du Nord et de l’Est, et n’a pas le temps de rassembler, armer et instruire la totalité des 420 000 conscrits des nouvelles levées d’octobre et novembre 1813, d’ailleurs fortement réduites par l’insoumission et la désertion. De plus, sa volonté de ne rien abandonner des territoires conquis, qu’il espère être les gages des négociations futures,

près l’anéantissement de deux armées, l’une en 1812 à l’issue de la campagne de Russie, l’autre en 1813 après Leipzig et ses suites — l’épidémie de typhus de l’hiver 1813 cause autant de pertes que les opérations —, Napoléon perd définitivement l’initiative stratégique. Alors qu’il pensait reconstituer une troisième armée pendant que les coalisés prendraient leurs quartiers d’hiver, ceux-ci décident en effet d’exploiter leur avantage en envahissant la France en pleine mauvaise saison. Le Rhin est franchi à Bâle le 21 décembre par Schwarzenberg (170 000 hommes) et à Mannheim le 1er janvier par Blücher

(voir biographie p. 86)

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108 • Guerres & Histoire HS No 4

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Jean-Baptiste Bernadotte (1763-1844) n’est pas le meilleur chef de corps de Napoléon. Il a été médiocre à Iéna, Eylau et Wagram. En 1810, ce républicain affirmé devient… prince héréditaire de Suède. Napoléon laisse faire, croyant avoir un allié. Las ! En 1813, Bernadotte passe à la coalition alliée.

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a laissé les armées d’Italie (30 000 hommes), de Catalogne (20 000 hommes) et surtout les garnisons d’Allemagne et du Rhin (120 000 hommes) loin du théâtre d’opérations ; sur les Pyrénées, les 50 000 hommes de Soult doivent contenir Wellington (120 000 hommes) ; seul Augereau, à Lyon (28 000 hommes), aura un impact, quoique indirect, sur le déroulement des opérations, en incitant Schwarzenberg à détacher une partie de son armée contre lui. Enfin, contraint de se mettre à la tête de ses troupes dès le 25 janvier, l’Empereur ne peut reprendre le contrôle politique du pays : à Paris, les libéraux et les corps constitués veulent la paix, avec ou sans Napoléon ; le Sud-Ouest se rallie aux Bourbons au fur et à mesure de l’avance de Wellington.

Blücher les 9 et 10 mars, à Arcis-sur-Aube face à Schwarzenberg les 20 et 21 mars. De plus, la perte de 1 000 soldats français équivaut, en proportion des effectifs en présence, à celle de 10 000 soldats coalisés : les moyens de l’emporter diminuent au fur et à mesure des victoires ! À l’issue de la campagne, les coalisés victorieux auront perdu 100 000 hommes et les Français vaincus 65 000. Surtout, la stratégie des coalisés enlève à Napoléon les moyens de traduire ses succès opérationnels en résultats politiques. Dès le 5 février, ils ouvrent à Châtillon un congrès censé négocier la paix avec Caulaincourt, envoyé par l’Empereur, qui compte peser sur le résultat des débats par ses opérations militaires. Cet exercice paradoxal — on parle de paix en même temps qu’on fait la guerre — s’avère être un piège pour Napoléon : parmi les souverains et généraux en chef réunis en permanence, ceux qui, comme les Autrichiens, pourraient se laisser influencer par les péripéties de la campagne, sont immédiatement contrecarrés par ceux (Russes, Anglais, Prussiens) qui ne perdent pas de vue l’objectif politique : la chute de l’Empire. Ainsi, l’ultime prouesse opérationnelle de Napoléon — menacer les lignes de ravitaillement des deux armées adverses en tournant leurs positions —, se retourne contre lui. Alors qu’il occupe le 23 mars Saint-Dizier dans le dos de l’ennemi, la clôture du congrès de Châtillon sur le constat de l’impossibilité d’un accord, le 19 mars, amène les alliés à marcher directement sur Paris en bousculant le 25 mars à Fère-Champenoise les maréchaux, sans plus se préoccuper des pérégrinations de leur adversaire. Car ils savent la France politiquement mûre pour s’avouer vaincue. La bataille sous les murs de Paris, le 30 mars, leur livre les clés de la capitale, menacée d’être prise d’assaut. Revenu de son erreur et de Vitry le 31 mars à Fontainebleau, Napoléon abdique le 6 avril, face au refus des maréchaux de poursuivre la lutte. ■

Un handicap insurmontable

Avec les maigres effectifs qu’il parvient à réunir, Napoléon constitue une masse de manœuvre de 30 000 à 50 000 hommes selon les moments, qu’il place en position centrale pour porter alternativement des coups aux deux armées coalisées qui convergent sur Paris — Schwarzenberg par la vallée de la Seine, Blücher par celle de la Marne — laissant devant l’une un rideau de troupes tandis qu’il manœuvre contre l’autre. Si brillantes soient ces combinaisons et les victoires qu’il remporte, d’abord au nord contre Blücher du 10 au 14 février (Champaubert, Montmirail, Vauchamps), puis au sud contre Schwarzenberg les 17 et 18 février (Montereau), à nouveau contre Blücher le 7 mars à Craonne, si elles forgent la légende du retour du « général de l’armée d’Italie », elles ne permettent pas de remonter le handicap stratégique initial. Le rapport de force, même localement, interdit d’anéantir une des armées battues, mais l’incite seulement à se concentrer un peu plus en arrière, ce qui conduit inévitablement à un échec tactique lors de l’exploitation de la victoire initiale : à Laon face à

4 4 4 24 fev. - 11 mars 5 5

5 13-21 mars

6 6 6

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9-10 mars

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BÜLOW WINTZINGERODE

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4

Avec de maigres effectifs, Napoléon porte tour à tour des coups aux deux armées coalisées qui convergent vers Paris.

per n ay

5

M ont mirail

+ loin

Campagne de 1814, Carl von Clausewitz, Champ Libre, 1972. Jours de Gloire. Campagne III : la France, Frédéric Bey, VaeVictis no 52, 2003.

BLÜCHER

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Pour aller

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BLÜCHER

SCHWARZENBERG B ar-sur- S eine

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Du 5 février au 19 mars 1814, le congrès de Châtillon (Côted’Or) est la dernière réunion diplomatique avant la chute de Napoléon. Le Royaume-Uni, la Prusse, l’Autriche et la Russie y discutent avec Caulaincourt, qui représente la France, du retour à la paix. Mais c’est un échec, Napoléon refusant les exigences des alliés. Guerres & Histoire HS No 4 • 109

1814 - La campagne de France

À BRIENNE PUIS LA ROTHIÈRE, L’ARMÉE PERD LE MORAL 2 9 j a n v i e r e t 1 er f é v r i e r 1 8 1 4

N

apoléon rejoint le 26 janvier à Saint-Dizier, avec de maigres renforts et la Garde, les corps de Ney et Victor qui font face à Blücher. Il veut attaquer le maréchal prussien en premier, avant qu’il ne rejoigne Schwarzenberg, car il est le plus entreprenant. Blücher, prévenu après des combats d’avant-garde, tente de se dérober par Brienne avec deux de ses corps où il entend franchir l’Aube, mais Napoléon le rattrape le 29 janvier et ordonne à Mortier, situé à Troyes, de marcher sur Brienne pour l’encercler. Blücher décide de faire face sur la rive droite, où sont situés la ville et le château de Brienne, afin de ne pas être attaqué pendant le franchissement du fleuve. Napoléon, placé sur la crête du plateau de Perthes qui surplombe la ville, la fait bombarder mais ne peut attaquer que vers 16 h 30 (la nuit tombe à 17 heures), le temps de concentrer sa propre armée. Les assauts frontaux sont repoussés, tandis que Blücher fait partir ses convois par l’autre rive, vers Bar-sur-Aube. Car Mortier, inquiet de l’avancée de Schwarzenberg vers Troyes, n’est pas arrivé à temps.

Brienne à feu et à sang

Profitant de la nuit, la cavalerie de la Garde entre dans Brienne, suivie de l’infanterie. Les combats font rage, maison par maison, dans la ville en flammes. Vers minuit, la lutte diminue d’intensité, car Blücher évacue la ville vers le sud par la rive droite sous le couvert de l’obscurité et sans être inquiété par les Français épuisés. Napoléon échappe d’ailleurs par miracle à un raid de Cosaques qui surprend en pleine nuit son état-major. C’est une victoire tactique, puisque la ville

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap warzenberg Blücher, Sch EFFECTIFS 000 hommes 38 16 000 puis 5 000 hommes 13 25 000 puis PERTES 000 hommes 4 000 puis 5 mes m 2 x 6 000 ho E É R DU 2 jours ccès RÉSULTAT é le relatif su les faite, malgr tes, er C e. nn C’est une dé rie janvier à B s celles pertes, mai initial du 29 t subi plus de tionnellement on és is al co or nné is sont prop des França es. Napoléon a abando n ur tio rie nc jo pé cher la bien su n’a pu empê te le terrain, et ées ennemies. La retrai m ar ps ux m te de s un r de s’effectue pa les pertes et vers Troyes i accroît qu , , le ab nt ée. À Troyes épouva ation de l’arm ueil la démoralis arrive le 3 février, l’acc ur où l’Empere n est glacial… Mais x tio la pu po la re donne au es de t, leur victoi en êm m m le xxa eu parado ance en se e telle confi coalisés un nviennent de co s ée m ar e que les deux t le but opérationnel qu ai ét c’ : r re sépa sait ! Napoléon vi

est prise, mais les pertes françaises sont sévères, 4 000 hommes, contre 6 000 coalisés. Et Napoléon n’est parvenu ni à anéantir Blücher, ni à l’empêcher de rejoindre Schwarzenberg.

Attaque surprise de Blücher

Au cours de ce raid, le baron Gaspard Gourgaud (1783-1852) sauve la vie de Napoléon en tuant d’un coup de pistolet un Cosaque, sur le point de transpercer l’Empereur de sa lance. En récompense, Gourgaud reçoit l’épée de Lodi. Il accompagnera plus tard Napoléon à Sainte-Hélène. 110 • Guerres & Histoire HS No 4

Les 30 et 31 janvier, les deux camps reçoivent des renforts mais le rapport de force devient franchement défavorable aux Français. Napoléon, installé au château de Brienne, le sait, mais s’attarde sur place en espérant inciter Blücher à attaquer sans attendre les renforts de Schwarzenberg. Comme cela ne se produit pas, il ordonne le soir du 31 la retraite vers le nord, où il a fait réparer le pont de Lesmont. Les convois filent dans la nuit et l’armée s’apprête à partir le matin du 1er février, lorsque Blücher attaque, renforcé par trois corps de Schwarzenberg. Napoléon décide à son tour de faire front pour ne pas compromettre sa retraite, sur un arc de

cercle allant de la rive droite de l’Aube, à Dienville, jusqu’à Morvilliers, à l’est de Brienne, en passant par les villages de La Rothière, Petit-Mesnil, La Giberie et Chaumesnil. L’attaque des coalisés commence sous la neige vers 13 heures sur Dienville défendu par Ney, qui garde les ponts sur l’Aube. Elle se prolonge sur La Rothière et La Giberie, tenues par Victor, vers 16 heures. Mais la droite française tient bon. L’attaque plus tardive de Wrede, qui s’empare à l’aile gauche de Morvilliers et Chaumesnil, emporte la décision : Marmont doit reculer vers Brienne. La Rothière est prise à

son tour. Napoléon ordonne la retraite, mais la fait couvrir par une contre-attaque de la Garde qu’il mène lui-même sur le terrain pour reprendre La Rothière et La Giberie à la nuit tombée. À 20 heures, les Français évacuent ces deux villages, et les coalisés, n’osant lancer la poursuite, bivouaquent sur la ligne de front. Napoléon, épuisé et maussade, revient au château de Brienne d’où il fait diriger ce qui reste de l’armée vers le pont de Lesmont. puis vers Troyes où il a décidé de rejoindre Mortier afin de faire face au gros de l’armée de Schwarzenberg. ■

Pour aller

+ loin

1814, Henry Houssaye, Perrin, 1918. La Patrie en danger, Kevin Zucker, Operational Studies Group, 2014.

Les 30 et 31 janvier, les deux camps reçoivent des renforts ; mais Napoléon le sait, le rapport de force devient franchement défavorable aux Français.

Coalisés Français Napoléon

Lesmont

GROUCHY MARMONT

Brienne

GARDE NEY

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VICTOR

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Attaque décisive

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BLÜCHER

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ORIENT

GARDE RUSSE

GIULAY

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Bar-sur-Aube

GARDE PRUSSIENNE

Guerres & Histoire HS No 4 • 111

1814 - La campagne de France

CHAMPAUBERT, MONTMIRAIL, CHÂTEAU-THIERRY, VAUCHAMPS : VICTOIRES EN SÉRIE Du 10 au 14 février 1814 ANTS COMMAND er I n éo ol ap N Blücher 000 hommes EFFECTIFS 800 puis 18 es 8 000 puis 12 0 puis 30 000 homm 70 5 000 puis 22

P

our échapper aux colonnes de Schwarzenberg qui convergent vers Troyes, Napoléon est contraint de se replier sur Nogent-sur-Seine, où il reçoit des renforts. Apprenant le 8 février que Blücher avance vers Paris le long de la route de Châlons à La Fertésous-Jouarre, où seul le corps de Macdonald lui est opposé, Napoléon fait marcher 30 000 hommes (Marmont, Ney et la Garde) de Nogent vers Sézanne, laissant Victor et Oudinot (34 000 hommes) pour tenir les passages de la Seine face à Schwarzenberg. Le matin du 10 février, l’Empereur accompagne sur la route de Sézanne à Champaubert les reconnaissances qui permettent de découvrir la présence de la division russe d’Olsuvief. Les 5 000 hommes de cette unité prennent aussitôt une position défensive entre les villages de Baye et Bannay, au sud de Champaubert. Pour une fois, les Français sont plus nombreux. Ils débordent les Russes, contraints de se replier sur Champaubert. Napoléon fait charger la cavalerie lourde, qui rompt les carrés russes un par un, tandis que la cavalerie légère poursuit les fuyards : seulement 1 500 hommes en réchappent. L’armée de Blücher est coupée en deux, avec les corps de Sacken et Yorck en tête, près de La Ferté, et les divisions de Kleist et Kapsewitch, avec Blücher, en queue, près de Vertus.

L’excès de confiance de Sacken

Napoléon se tourne d’abord vers l’ouest, laissant Marmont en écran à Champaubert face à Blücher et ordonnant à Macdonald et à une division d’Oudinot de converger sur Montmirail afin d’encercler l’ennemi. Il fait partir Ney dans la nuit et la Garde au petit jour vers Montmirail, où il les rejoint à 8 heures le 11 février. Alors que Yorck a pris ses dispositions pour se replier vers le nord par Château-Thierry, son homologue Sacken pense pouvoir percer l’armée française pour rejoindre Blücher. Il 112 • Guerres & Histoire HS No 4

PERTES es 3 200 homm mes m ho 0 00 20 DURÉE essifs mbats succ 4 jours de co RÉSULTAT oire. Napoléon a infligé ct l’a C’est une vi rtes à son adversaire, ns, pe d’énormes andonner ses opératio de ab té à ili t ib in ra ss nt po co lui-même la se tournant vé er ns co et a ns en les opératio nberg. Mais poursuivre warze ch S de ée ont vers l’arm ies entières ons ennem ste si des divisi l’armée de Blücher re s, ie nt éa an été le. opérationnel

refoule la division Ricard, en pointe, à Marchais. Napoléon attend l’arrivée de la Garde pour contre-attaquer au milieu de l’après-midi. Sacken est culbuté dans les ravins qui sillonnent le plateau au-dessus du Petit Morin, tandis que Yorck, qui tente un timide retour, est tenu en respect par une partie de la Garde. La nuit met fin aux combats ; Sacken a perdu 3 500 hommes et Yorck 1 000, les Français 2 000. Les coalisés se retirent vers Château-Thierry ; les Français épuisés ne peuvent poursuivre et campent sur le champ de bataille. Mais ni Macdonald ni la division d’Oudinot n’ont participé au combat, et les deux corps ennemis échappent ainsi à l’anéantissement programmé. Napoléon prend la tête de la poursuite dès le lendemain à 9 heures avec la Garde et la cavalerie. Une succession de combats permet de capturer encore des milliers de prisonniers avant que les coalisés ne se mettent à l’abri derrière la Marne en détruisant les ponts de Château-Thierry. Le 13 février,

Napoléon fait jeter des ponts sur cette rivière pour continuer la poursuite, mais apprend d’une part que Schwarzenberg est passé à l’offensive, ce qui l’oblige à envoyer Oudinot et Macdonald à la rescousse de Victor, d’autre part que Blücher a attaqué Marmont, qui doit refluer vers Montmirail. Napoléon décide de venir à son secours. Le 14 février, l’Empereur quitte Château-Thierry en emmenant la Garde, la cavalerie lourde de Grouchy et une division d’Oudinot. Ils vont rejoindre Marmont qui, à

10 heures, refoule à Vauchamps l’avant-garde de Kleist sur le gros de ses troupes. Napoléon lance vers midi la cavalerie lourde qui disperse les troupes de Kleist ; Blücher ordonne le repli vers 14 heures, mais la cavalerie française tourne les colonnes en retraite et les harcèle jusqu’à la tombée de la nuit, faisant des milliers de prisonniers, tandis que l’infanterie capture à Étoges l’arrière-garde de Kapsewitch. Blücher a perdu 9 000 hommes, dont 7 000 prisonniers. Ses troupes en déroute s’enfuient vers Châlons. ■

Pour aller

+ loin

Napoléon. 1814, la campagne de France, J. Tranié et J.-C. Carmigniani, Pygmalion, 1989. Montmirail et Vauchamps 1814, Frédéric Bey, Ludifolie éditions, 2014.

Battus, les coalisés se retirent vers Château-Thierry ; mais les Français, épuisés, ne peuvent poursuivre, et les deux corps ennemis échappent à l’anéantissement programmé.

Mouvement Attaque

YORCK

Vers

Retraite Français Russes

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Guerres & Histoire HS No 4 • 113

1814 - La campagne de France

BONNE FORTUNE SUR LA ROUTE DE MONTEREAU 17 et 18 février 1814

P

endant que Napoléon opérait contre Blücher, Schwarzenberg a pris l’offensive contre Victor. Son armée divisée en quatre colonnes a franchi la Seine à Pont-sur-Seine (Wittgenstein) et à Braysur-Seine (Wrede), tandis que son aile gauche a poussé jusqu’à Montereau (Wurtemberg) et Moret-sur-Loing (Colloredo), lançant des avant-gardes jusqu’à Pithiviers et repoussant Victor sur Nangis. Alors que Napoléon comptait marcher directement de Champaubert vers Nogent-sur-Seine, il doit d’abord rétrograder vers Meaux, puis marcher vers Guignes, sur le cours de l’Yerres, où il a ordonné à Victor, Oudinot et Macdonald de replier leurs troupes afin de s’interposer entre Schwarzenberg et Paris.

Succès à Mormant et Valjouan

Il laisse 10 000 hommes à Marmont et Mortier pour suivre Blücher en retraite et part avec Ney et la Garde en fin d’aprèsmidi le 15 février. Le 16, à 15 heures, il est à Guignes, où les troupes de Ney et la cavalerie le rejoignent le matin du 17. Il se met à la tête des troupes de Victor et marche sur l’avantgarde de Wittgenstein, la cavalerie de Pahlen, parvenue à Mormant. Les Français refoulent l’ennemi sur l’infanterie qui suit, et dont les carrés sont rompus par la cavalerie. Wittgenstein perd 2 000 hommes. À 13 heures, Napoléon est à Nangis. Il dirige Oudinot sur Nogent, Macdonald sur Bray et Victor sur Montereau, avec ordre de passer la Seine avant la nuit. Dans son mouvement sur Montereau, Victor rencontre à Valjouan la division d’avant-garde de Wrede (Lamotte) et la culbute, lui infligeant une perte de 1500 hommes. Mais ces combats retardent l’avance des Français, qui ne parviennent à la Seine qu’à la nuit tombée : les corps de

ANTS COMMAND er I n Napoléo erg Schwarzenb FS EFFECTI mes 28 000 hom es m m ho 0 00 118 S TE R PE 800 hommes mes 10 500 hom DURÉE 2 jours des RÉSULTAT oire. Napoléon a infligé ct à vi s e ne un en si st x ’e C au supérieures arzenberg à pertes bien ntraint Schw is. Mais ce co et ire sa r Par l’adver sa marche su oupes abandonner temps de retirer ses tr le s de nt po s le t ui dernier a eu tr end eine et a dé derrière la S y. Si Schwarzenberg pr à u’ ra sq B ju et r t le Nogen de recu la décision en raison ns oi m le 23 février t es is ssaire, c’ Dijon si néce s que parce qu’il a appr ux (Ain) ie ite fa im dé ex s M à ce na de u a battu Bub béry. Il détache qu’Augerea e et Cham on âc M pé u et s’estim et occu ntre Augerea reculer co es m m ne pas 40 000 ho affaibli pour ursuite. du coup trop n qu’il pense à sa po éo ol e ap ch N pê à face er em che de Blüch manœuvre contre Mais la mar er sa in rm te uveau de tourner à no Napoléon erg. Il doit se . nb ze ar w ch S sien aréchal prus contre le m

Schwarzenberg ont eu le temps de se replier en toute hâte sur l’autre rive. Schwarzenberg envoie cependant, pour gagner du temps, une demande d’armistice que Napoléon rejette.

Initiative risquée mais payante

Pierre-Claude Pajol (1772-1844) se distingue par sa bravoure durant les campagnes de 1805, 1807 et 1809. Promu général de division en 1812, il est blessé en Russie, puis prend la tête d’unités de cavalerie légère. Il est à nouveau blessé à Wachau en 1813 et, à peine guéri, commande en janvier 1814 le corps d’observation de l’Yonne, de la Seine et du Loing. 114 • Guerres & Histoire HS No 4

Le 18 février au matin, Napoléon, en route de Nangis vers Montereau, apprend que Wurtemberg a déployé ses troupes sur la rive droite pour défendre le pont, afin de couvrir la retraite de Colloredo que Schwarzenberg a rappelé en toute hâte. Napoléon fait déployer le corps de Victor, qui attaque vers midi, sans pouvoir percer. Vers 15 heures, l’ennemi commençant à reculer par échelons, la cavalerie de Pajol, sans ordre de l’Empereur, lance une charge qui traverse les lignes adverses, et s’empare des ponts sur la Seine et l’Yonne avant que les mines prévues ne puissent sauter, semant la panique chez l’ennemi, au prix… de deux tués ! Napoléon, qui a vu la charge depuis la terrasse du château de

Surville au nord de Montereau, lance en appui la cavalerie de la Garde et les escadrons de service, et pointe lui-même les pièces de l’artillerie à cheval de la Garde pour appuyer l’opération. Les troupes de Wittgenstein ne repassent le pont qu’au prix de lourdes pertes et fuient vers Nogent. Napoléon fait suivre Schwarzenberg vers Nogent par Macdonald, Oudinot et la Garde, et vers Sens par Gérard — qui a remplacé Victor, disgracié pour son arrivée tardive

à Montereau, la veille. Le 20 février, il fait converger son armée sur Troyes, dans l’intention de pousser l’ennemi l’épée dans les reins. Mais la veille, apprenant les malheurs de son collègue autrichien, Blücher a quitté Châlons et marché sur Arcis-sur-Aube puis sur Méry-sur-Seine qu’il atteint le 22 avec les 48 000 hommes qui lui restent, menaçant le flanc de l’armée française. Les deux armées ennemies sont à nouveau en liaison. ■

La cavalerie de Pajol, sans ordre de l’Empereur, lance une charge qui traverse les lignes adverses, et s’empare des ponts sur la Seine et l’Yonne avant qu’ils ne sautent.

Meaux

La Fertésous-Jouarre

XXX

MACDONALD

15 fév. Crécy

BÜLOW WINTZINGERODE

9-10 mars

Montmirail

BLÜCHER

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XXX

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XXX

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16 fév. XXX

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19 fév.

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Sézanne

Mormant

Guignes

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Valjouan

Aube

Pont-sur-Seine

17 f é v.

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18 f é v.

WREDE

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Bray Montereau

Arcis sur Aube

Seine

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15 fév. WURTEMBERG

Pont-sur-Yonne Sens

COLLOREDO

22 fév.

Troyes Bataille

SCHWARZENBERG

Français Autrichiens Prussiens

Guerres & Histoire HS No 4 • 115

1814 - La campagne de France

UNE VICTOIRE À CRAONNE, MAIS SI PEU DÉCISIVE... 7 mars 1814

L

e 22 février, Oudinot se heurte à Blücher à Méry. Napoléon accourt sur les lieux mais décide de continuer sa marche vers Troyes à la poursuite de Schwarzenberg en retraite. Le 24 il entre dans Troyes, acclamé par la même population qui lui avait battu froid trois semaines plus tôt. Mais le même jour, Blücher, qui ne veut pas être entraîné dans la retraite de Schwarzenberg et a obtenu de retrouver sa liberté d’action, a quitté Méry vers le nord à la rencontre des corps de Wintzingerode et Bülow. Ceux-ci, détachés de l’armée de Bernadotte, doivent lui apporter 42 000 hommes en marche vers Laon, tandis que 15 000 Russes commandés par Saint-Priest avancent vers Reims.

Les ponts sont coupés à La Ferté

Le 26 février, Napoléon abandonne la poursuite de Schwarzenberg pour se ruer sur les talons de Blücher qui, rejetant Marmont sur Mortier, marche sur La Ferté-sous-Jouarre, obligeant les maréchaux à se retirer sur Meaux. L’Empereur quitte Troyes le 27 à midi avec 35 000 hommes (Ney, Victor — revenu en grâce —, la Garde, la moitié de la cavalerie). Il laisse à Macdonald 40 000 hommes, dont l’autre moitié de la cavalerie. Blücher, qui a franchi la Marne le 27, entend tourner les maréchaux en franchissant l’Ourcq au nord de Meaux, mais il est repoussé le 28 février. Le 1er mars, Napoléon arrive à son tour à La Ferté-sous-Jouarre, mais les ponts sont coupés. Le temps que ceux-ci soient réparés, Blücher se retire précipitamment vers le nord. Dans la nuit du 2 au 3 mars, Napoléon franchit enfin la Marne à La Ferté et Château-Thierry, tandis que Marmont et Mortier poursuivent Blücher. L’Empereur veut surprendre le maréchal prussien au moment où celui-ci franchira l’Aisne, comptant sur le fait que le passage le plus proche, celui de Soissons, est aux

Ferdinand von Wintzingerode (17701818), né en Wurtemberg, se met très vite au service de la Russie. D’abord diplomate, il est nommé général après Austerlitz. Chef de cavalerie audacieux, il participe à la bataille de Moscou, puis, en 1813, à celles de Lützen et Leipzig. Il rejoint ensuite l’armée de Bernadotte et combat jusqu’à Paris.

116 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap Blücher EFFECTIFS mes 28 000 hom mes 50 000 hom PERTES es 5 000 homm es m m ho 0 5 50 E É R DU Une journée RÉSULTAT oire française, puisque uer ct ho C’est une vi ain et fait éc cupe le terr coûté Napoléon oc nemie. Mais elle lui a ment elle re en nn uv tio œ or an m op pr la tifs, surtout ns les cher en effec tif des deux armées da et ec rm sp pe re l au tota ut, elle ne t ivent. Surto jours qui su n d’atteindre le résulta t éo pas à Napol sé : battre Blücher avan vi el . nn on io La at à opér orts igne ses renf qu’il ne rejo

mains de la petite garnison française de cette ville. Mais celle-ci est assiégée et bombardée depuis deux jours par un détachement de Wintzingerode. La garnison capitule le matin du 3 mars. Ce « coup du sort » est considéré par la plupart des historiens comme la cause de l’échec de la manœuvre de Napoléon, et par conséquent de toute la campagne. Mais Clausewitz affirme que, même si Soissons n’avait pas été prise, Blücher, qui avait deux marches d’avance sur Napoléon, aurait eu le temps de passer par les ponts de bateaux qu’il avait commencé à faire construire, et par un pont « en dur » situé en amont de Soissons, à Vailly-surAisne, qui n’avait pas été détruit. Toujours est-il que Blücher fait défiler toute la nuit du 3 au 4 mars son armée épuisée par le pont de Soissons et marche vers Laon pour y rejoindre Bülow et Wintzingerode.

Blücher tend un piège

Mais Napoléon décide de continuer la poursuite en marchant directement sur Laon par la route qui franchit l’Aisne à Berryau-Bac, qu’il fait occuper par la cavalerie le 5 mars. Apprenant ce mouvement qui risque de le tourner par l’est, Blücher décide de tendre un piège aux Français. Il envoie Vorontsov occuper le 6 mars le plateau de Craonne, sur le flanc ouest de la route suivie par Napoléon entre Berry et Laon, tandis que Wintzingerode,

venant de Laon, devra tourner les Français par l’est pendant qu’ils attaquent Vorontsov afin de tomber sur leurs arrières. Il s’agit aussi de laisser aux troupes venant de Soissons le temps de gagner Laon.

Le plateau, objectif stratégique

Napoléon est contraint de faire face à cette menace en s’emparant du plateau. Celui-ci s’avance par un promontoire au-dessus du village de Craonne, promontoire relié à l’ouest au plateau proprement dit, légèrement plus élevé, par un isthme étroit où est située la ferme d’Hurtebise — ce même terrain sera le théâtre de la sanglante bataille du Chemin des Dames, en 1917. Vorontsov s’établit sur le plateau, tandis que Napoléon fait occuper le promontoire par Victor et Mortier le matin du 7 mars. Les guides de la région lui indiquent cependant des chemins permettant d’escalader

le plateau, par les villages d’Ailles au nord, où il envoie Ney, et de Vassogne au sud, où il envoie la cavalerie. Il faut cependant fixer l’ennemi par un assaut frontal tandis que ces mouvements tournants se préparent. Celui-ci coûte cher en pertes, mais permet à la Garde de s’emparer de la ferme d’Hurtebise en début d’après-midi. Ney commence à prendre pied sur le plateau, mais en est rejeté par une contre-attaque russe. Napoléon, installé au moulin de Craonne sur le bord est du promontoire, lance la cavalerie sur l’isthme, ce qui permet à Ney de revenir à la charge. Finalement la Garde franchit l’isthme, et Blücher doit ordonner la retraite, d’autant que Wintzingerode, embourbé dans les mauvais chemins, annonce qu’il n’arrivera pas à temps. Mais le repli s’effectue en bon ordre jusqu’à la nuit, et les Français ne peuvent poursuivre. ■

Blücher tend un piège aux Français, en envoyant Vorontsov sur le plateau et Wintzingerode sur leurs arrières.

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Phases successives

Guerres & Histoire HS No 4 • 117

1814 - La campagne de France

FIN DU MYTHE À LAON : NAPOLÉON N’A PLUS DE GRANDE ARMÉE 9 mars 1814

L

e 8 mars, Napoléon décide de suivre Blücher qu’il suppose en retraite au nord de Laon. Mais le matin du 9 mars, il découvre l’armée coalisée au complet rangée en bataille de part et d’autre de la ville, Wintzingerode à l’ouest, Yorck et Kleist à l’est. La ville elle-même est juchée sur un plateau élevé et ses murs sont hérissés de canons ; ses faubourgs, en contrebas, sont barricadés et occupés par Bülow. Sacken et Langeron sont en réserve derrière l’aile gauche, pour couvrir la route de la retraite vers Reims. Napoléon, croyant à un simulacre, décide tout de même d’attaquer, en ordonnant à Marmont de tourner l’ennemi par le nord pour couper la route de Reims.

Lourdes pertes françaises

Mais avant même que l’armée française ne soit en place — Ney à gauche et Mortier au centre en attendant l’arrivée de Marmont —, c’est Blücher qui attaque à Clacy, Sémilly et Ardon. Cette attaque est cependant suspendue vers midi lorsque Marmont approche à droite du champ de bataille. Napoléon lui-même arrive vers midi. Afin de fixer l’ennemi, il ordonne à 13 heures à la Jeune Garde d’attaquer Clacy et à Mortier d’attaquer Sémilly et Ardon. Partout, les Français sont repoussés avec de lourdes pertes, tandis que Marmont se contente de chasser Yorck du village d’Athies en fin d’après-midi. À 17 heures cependant, Ney parvient à s’emparer de Sémilly avec la Garde, mais les canons de Laon infligent de telles pertes qu’il est contraint à la retraite alors que la nuit tombe. Malgré cet échec et l’évidente supériorité numérique ennemie, Napoléon décide de reprendre la bataille le lendemain, comptant sur Marmont pour tourner et déstabiliser la ligne ennemie. Les Français bivouaquent sur leurs positions. Mais Yorck profite de la nuit pour lancer à 19 heures une attaque surprise contre les bivouacs de Marmont, mal gardés, autour d’Athies. Profitant de la

Ludwig Yorck von Wartenburg (1759-1830) est le général prussien qui, le 30 décembre 1812, signe avec les Russes la convention de Tauroggen. entérinant l’abandon de l’alliance française. Tout le corps prussien passe alors aux Russes. 118 • Guerres & Histoire HS No 4

Le feld-maréchal prussien Friedrich Kleist von Nollendorf (1762-1823) vaincu à Iéna, commande durant la campagne de 1813 un corps d’armée avec lequel il joue un rôle décisif à Leipzig. En 1814, il entre en France avec Blücher, combat à Laon et va jusqu’à Paris.

ANTS COMMAND er Napoléon I Gneisenau Blücher puis EFFECTIFS mes 37 000 hom mes m ho 0 90 00 S TE PER es 6 500 homm es 4 000 homm DURÉE Une journée occuper RÉSULTAT éon n’a pu faite. Napol rtes que dé e un st C’e pe ort de subi plus de le terrain, a qui, étant donné le rapp an pl ce n – i ncé à so l’ennem fatal –, a reno cher Blücher de pê forces, était et n’a pu em d’opérations es forces réunies. ut to re tt comba

Les Prussiens profitent de la nuit pour attaquer les bivouacs français, mal gardés. C’est la panique. panique, les Prussiens dispersent le corps français, qui perd 3 500 hommes, 45 canons et 120 caissons. Marmont n’enraye la déroute que plusieurs kilomètres au sud en réunissant quelques unités qui arrêtent les Prussiens.

Napoléon change ses plans

À 4 h 30 le 10 mars, alors qu’il monte à cheval pour commencer les opérations prévues, Napoléon apprend le désastre d’Athies. Il doit renoncer au mouvement tournant mais maintient son ordre d’attaquer de front, afin de ne pas déclencher une attaque générale contre son armée affaiblie. Gneisenau, le chef d’état-major de Blücher qui remplace son chef malade (voir p. 120), est surpris par le maintien de la ligne française alors que le jour se lève. Il rappelle Sacken et Langeron qui étaient chargés de tourner la droite française, et attaque Clacy. Mais les Français résistent jusqu’au début de l’après-midi lorsque Napoléon se résout enfin à l’évidence : il n’a plus les moyens de vaincre. Il fait filer les bagages, et décrocher les troupes en bon ordre pendant la nuit, vers Soissons, sans que les coalisés ne s’en aperçoivent. ■

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NAPOLEON

Artillerie, batterie

REIMS, CHAMPAGNE POUR L’EMPEREUR Les Français arrivent à Soissons l’après-midi du 11 mars ; Gneisenau n’a pas osé poursuivre et préfère regrouper ses troupes. Napoléon décide de mettre à exécution le plan qu’il comptait suivre s’il avait réussi à battre Blücher la veille : marcher vers l’est pour rallier les garnisons des places des Ardennes et de Lorraine, avant de descendre vers le sud pour couper les lignes de ravitaillement de Schwarzenberg. Grâce à quelques renforts venus de Paris, il dispose de 40 000 hommes. Le 13 mars, l’Empereur quitte Soissons à 2 heures du matin pour Reims afin de se glisser entre les deux armées ennemies

pour l’instant immobiles, attendant le prochain coup porté par les Français. À 16 heures, il rejoint l’avantgarde devant Reims toujours occupée par le général de Saint-Priest — qui sert dans l’armée russe —, stupéfait de trouver devant lui l’armée battue à Laon. Après que les gardes d’honneur aient refoulé la cavalerie russe en avant de la ville et malgré la nuit tombante, Napoléon ordonne à Marmont d’attaquer sans attendre le reste de l’armée. Il culbute les Russes retranchés dans les faubourgs. Saint-Priest est blessé mortellement et les Russes évacuent la ville vers 23 heures. Napoléon y fait une entrée triomphale.

ANTS COMMAND er Napoléon I Saint-Priest EFFECTIFS es 8 000 homm mes 15 000 hom PERTES 700 hommes es 3 000 homm DURÉE 16 h à 23 h 7 heures, de t s Français on RÉSULTAT e victoire. Le eant de lourdes un t es s m Rei flig emi en lui in er les jours chassé l’enn peut ralli n éo (4 000 ol ap N s Ardennes pertes. garnisons de Paris (6 000), de suivants les des renforts d le 17 mars, hommes) et rtir vers le su osent bouger pa re de t s n’ avan s adversaire er ses pas. se e tandis qu va port il où ir vo avant de sa Guerres & Histoire HS No 4 • 119

1814 - La campagne de France

À ARCIS-SUR-AUBE, LA FRANCE PLIE SOUS LE NOMBRE 20 et 21 mars 1814

S

chwarzenberg, sur la foi d’une dépêche de Blücher annonçant (en fait par anticipation) que Napoléon était sur ses pas, a stoppé sa retraite dès le 27 février, et contre-attaqué à Bar-sur-Aube et Laferté-sur-Aube, contraignant Oudinot et Macdonald à se replier. Schwarzenberg reprend les jours suivants Troyes, Nogent et Sens, et arrête son mouvement en attendant des nouvelles de Blücher, tandis que les maréchaux se retirent derrière la Seine. Napoléon décide d’attaquer Schwarzenberg sur ses arrières en marchant de Reims vers le sud, plutôt que de rejoindre les maréchaux sur la Seine comme il l’a fait le mois précédent. Il laisse 20 000 hommes à Marmont à Berry-au-Bac et à Mortier à Reims pour surveiller les mouvements de Blücher, et marche avec 25 000 hommes le 17 mars de Reims à Épernay, et le 18 d’Épernay à Fère-Champenoise. Mais Schwarzenberg, prévenu de ce mouvement, a donné l’ordre à tous ses corps d’armée de rétrograder vers Troyes, confiant à Wrede la garde du pont d’Arcis-sur-Aube pour protéger ce mouvement.

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap erg Schwarzenb FS TI C EFFE mes 28 000 hom 16 500 puis 0 000 hommes 10 50 000 puis PERTES es 4 200 homm es m m ho 0 5 00 E É R DU 2 jours é RÉSULTAT éon a affront faite. Napol t C’est une dé e armée qu’il ne pouvai e un mêm , es rt pe s inutilement bi de lourde nnemi. battre et a su rieures à celles de l’e fé ntre in t co en re m uv re légè manœ ursuivre sa Il ne peut po e, et son adversaire, alors rs le flanc adve pris l’initiative. Il décide try Vi a re à é, er tr en en m nc le co œuvre qui va e la fatale man de l’ennemi, tandis qu n s re riè ar chent l’u ar m sur les er ch lü erg et B Paris. Schwarzenb is conjointement vers pu , re ut l’a rs ve

Par-dessus l’Aube et la Seine

Le 19 mars, jour de la rupture des négociations de Châtillon, les Français franchissent l’Aube en aval d’Arcis sur trois ponts de bateaux, et la Seine à Méry. Mais les colonnes en retraite de Schwarzenberg sont déjà passées, et Wrede a évacué Arcis. Napoléon fait alors converger ses troupes vers cette ville, située sur la rive gauche, par les deux rives de l’Aube, d’où il pourra éventuellement suivre Schwarzenberg. Mais à l’annonce de la rupture du congrès de Châtillon et apprenant que Napoléon a franchi les deux fleuves, Schwarzenberg décide de passer à l’offensive, pensant acculer la petite armée française sur leurs rives. Faisant subitement demi-tour, il envoie

Le feld-maréchal et comte August von Gneisenau (1760-1831) est le grand réorganisateur de l’armée prussienne après le désastre de Iéna. Au nom de l’intérêt supérieur de l’armée, il appelle même à l’intégration politique du peuple. En 1813, il est chef d’état-major de Blücher et contribue à la victoire de Leipzig. Après Ligny, c’est lui qui insiste pour que la retraite se fasse vers les Anglais et non vers l’est. 120 • Guerres & Histoire HS No 4

ses colonnes vers les points où les Français ont passé l’Aube et la Seine la veille. La concentration des Français à Arcis fait que l’aile gauche de Schwarzenberg tombe dans le vide. Seule l’aile droite (Wrede et Barclay) accroche les Français devant Arcis. L’aile gauche (Wurtemberg) ne marchera pas au canon, où il aurait écrasé les Français déjà deux fois moins nombreux.

Napoléon met l’épée à la main

Le matin du 20, Napoléon est convaincu que Schwarzenberg se replie vers Brienne ou Troyes. Il envoie sa cavalerie refouler la cavalerie ennemie, fait réparer le pont d’Arcis détruit par Wrede, et établit ses troupes sur les deux rives. Il arrive en début d’aprèsmidi à Arcis et pousse une reconnaissance jusqu’à Torcy, à 2 km à l’est sur l’Aube. C’est alors que la cavalerie coalisée attaque. La cavalerie française, surprise, est refoulée jusque dans Arcis ; Napoléon accourt et, pris dans la mêlée, doit mettre l’épée à la main. Il parvient à arrêter les fuyards sur le pont d’Arcis, tandis que Ney est attaqué par Wrede à Torcy. La Vieille Garde, arrivée sur la rive droite, passe le pont et repousse l’ennemi, guidée par Napoléon en personne. C’est à ce moment que se place le fameux épisode de l’obus qui, tombant parmi les grognards, éventre le

cheval de l’Empereur. Ney tient dans Torcy jusqu’à la nuit, tandis que la cavalerie et la Garde finissent par chasser la cavalerie ennemie d’Arcis sur la route de Troyes vers 22 heures.

Coup de théâtre au lever du jour

Pourtant, Napoléon est convaincu qu’il n’a eu affaire qu’à une arrière-garde couvrant la retraite de l’ennemi. Au lieu de se retrancher derrière l’Aube, il fait passer le fleuve aux renforts d’Oudinot et Macdonald arrivés pendant la nuit : il dispose maintenant de 30 000 hommes. Mais pendant ce temps, Schwarzenberg a rappelé son aile gauche et a disposé dans la nuit ses 100 000 hommes en arc de cercle au sud d’Arcis, derrière la crête.

Lorsque, vers 10 heures, Napoléon sort d’Arcis sur la route de Troyes, il découvre stupéfait l’armée ennemie tout entière rangée en ordre de bataille… Comprenant sa méprise, il se résigne à la retraite. Il fait jeter un pont volant en aval d’Arcis pour doubler le débit du pont de pierre, et fait couvrir la retraite de l’infanterie et de l’artillerie par la cavalerie. Ce n’est qu’en fin d’après-midi que Schwarzenberg, voyant les colonnes françaises remonter les pentes sur l’autre rive, lance une attaque générale. Napoléon fait brûler le pont volant et retire la cavalerie, laissant 6 000 hommes d’infanterie défendre Arcis. Vers 19 heures, ils se retirent à leur tour et les sapeurs détruisent le pont de pierre, empêchant toute poursuite. ■

Pour aller

+ loin

1814. La campagne de France, Patrice Gueniffey et Pierre Branda (dir.), Perrin, 2016.

La Vieille Garde, arrivée sur la rive droite de l’Aube, passe le pont et repousse l’ennemi, guidée par Napoléon en personne.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 121

Retranchés dans Plancenoit le 18 juin, les Français du 6e corps de Lobau sont assaillis par les Prussiens de Bülow. Entre 17 heures et 19 heures, le village change de mains à plusieurs reprises.

122 • Guerres & Histoire HS No 4 3

LA CAMPAGNE

DE BELGIQUE 1815

Pour L’Empereur, tout juste revenu de l’île d’Elbe, le conflit est inévitable : les coalisés veulent son départ définitif. Il choisit de les attaquer là où ils sont le plus proches, en Belgique. Le pari, risqué, nécessite pour réussir une part de chance. Napoléon n’en aura pas.

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Guerres & Histoire HS No 4 • 123

1815 - La campagne de Belgique

LA CHUTE DE L’EMPIRE EN ÉPILOGUE

R PAR ANTOINE REVERCHON

(voir biographie p. 86)

entré le 20 mars 1815 à Paris après son évasion de l’île d’Elbe, Napoléon doit bien vite se rendre à l’évidence : ses promesses de paix ne sont pas crues par les monarchies européennes, qui l’ont mis hors-la-loi le 13 mars, dès son débarquement en France connu, ont renoué leur alliance de 1814 le 25 mars avec la septième coalition, et ont promis de lever ou financer les armées destinées à « chasser l’usurpateur ». Dès lors, l’Empereur sait qu’il devra affronter l’invasion des frontières du Nord, de l’Est, des Alpes et des Pyrénées par six armées coalisées totalisant 700 000 hommes. Plutôt que de prendre une posture défensive et gagner du temps pour renforcer ses effectifs, Napoléon décide de passer à l’attaque avec les troupes dont il dispose contre les deux armées les plus proches, celles de Wellington et de Blücher, cantonnées en Belgique en attendant la date de l’invasion, prévue pour la première semaine de juillet. Napoléon réunit 122 000 hommes et 360 canons sur la frontière nord entre Beaumont et Philippeville, de façon à déboucher en Belgique par Charleroi à la charnière des deux armées pour les séparer, battre l’une avant de se retourner contre l’autre et l’écraser à son tour. Séparément, les armées de Wellington (99 500 hommes, 222 canons) et Blücher (116 000 hommes, 312 canons) sont en effet inférieures à l’armée française. C’est un plan opérationnel typique de la « manœuvre en position centrale », qui a si bien réussi à Napoléon en Italie en 1796-1797 et au début de la campagne de 1814. L’Empereur compte sur ces victoires pour ébranler une coalition qu’il pense prête à se diviser au premier revers, comme elle l’a fait maintes fois par le passé, et surtout pour obtenir des

Réagissant au retour de Napoléon de l’île d’Elbe, 16 États européens (Royaume-Uni, Russie, Autriche, Prusse, Espagne, Suède, Hollande, France royaliste...) signent le 25 mars 1815 le traité donnant naissance à la septième coalition.

124 • Guerres & Histoire HS No 4

Chambres et de l’opinion les levées d’argent et de conscrits que nécessitera la poursuite de la lutte contre les armées d’invasion. Car à l’inverse de l’armée et des classes populaires, la bourgeoisie française est plutôt sceptique, comme l’a prouvé le succès des libéraux, largement vainqueurs des candidats bonapartistes aux élections législatives (à suffrage censitaire) de mai 1815, tout comme les notables royalistes l’ont été aux élections municipales qui les ont immédiatement suivies. Le 15 juin 1815, l’armée française franchit la frontière, mais les retards des ordres et l’encombrement des chemins les empêchent de se placer entre les deux armées ennemies dès le premier jour. Tandis que les Prussiens se concentrent sur le plateau de Fleurus, les Anglo-Néerlando-Allemands de Wellington convergent vers le carrefour des Quatre-Bras. En effet, même si Wellington et Blücher ne s’attendaient pas à être attaqués, ils avaient convenu de se secourir mutuellement plutôt que de se replier chacun de leur côté en cas d’offensive française.

Grouchy poursuit les Prussiens

Le 16 juin, Napoléon doit détacher vers les Quatre-Bras 45 000 hommes commandés par Ney pour éviter la jonction anglo-prussienne, tandis qu’il bat 85 000 Prussiens à Ligny avec 70 000 hommes, mais sans parvenir à les écraser ; Ney est en effet occupé à contenir les Anglais, qui ne peuvent de leur côté seconder Blücher. Sur ordre de l’Empereur, Ney avait bien détaché 20 000 hommes vers Ligny mais, assailli par 40 000 Anglais, il les avait rappelés. Ce corps d’armée n’a ainsi participé à aucune des deux batailles, où leur apport aurait pourtant pu être décisif… Alors que, le 17 juin, Napoléon lance Grouchy avec

Arthur Wellesley, Lord Wellington (1769-1852), se fait un nom en menant la vie dure aux Français durant les campagnes ibériques, notamment en infligeant un désastre à Jourdan à Vitoria (21 juin 1813). Il envahit la France par le sud-ouest à la fin de 1813, prend Bordeaux le 12 mars 1814. C’est à Waterloo qu’il affronte, pour la première fois, Napoléon. Solide, lent, méthodique, Wellington donne son style au commandement terrestre britannique jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

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33 000 hommes aux trousses des Prussiens battus qu’il suppose en retraite vers l’est, ceux-ci se replient vers Wavre, au nord, afin de maintenir la liaison avec les Anglais en train de se retirer parallèlement sur la route de Bruxelles vers le plateau de Mont-Saint-Jean, où Wellington avait repéré une bonne position défensive pour les 70 000 hommes et les 184 canons qu’il réussit à y réunir.

Waterloo, la déroute en conclusion

C’est cette position que Napoléon, qui a rejoint Ney avec le reste de l’armée victorieuse à Ligny, attaque frontalement le 18 juin avec 72 000 hommes et 250 canons. L’assaut ne commence qu’à midi, l’artillerie ne pouvant manœuvrer sur le terrain détrempé. Les attaques de l’infanterie, puis de la cavalerie,

ne parviennent pas à rompre les lignes ennemies, bien que, en fin d’après-midi, une brèche soit créée dans le centre anglais. Mais déjà, au milieu de l’après-midi, 35 000 Prussiens, partis de Wavre au matin, débouchent sur le flanc droit des Français, obligeant Napoléon à envoyer les réserves qui devaient achever l’armée de Wellington usée par cinq heures de lutte acharnée. Prise de flanc par les Prussiens, repoussée par les Anglais, l’armée française part en déroute. Les officiers ne parviendront pas à stopper cette fuite dans les jours qui suivent, sauf les troupes de Grouchy qui, bien que poursuivies par les Prussiens, ont regagné la France. Revenu à Paris, l’Empereur propose de reprendre la lutte. Mais en butte à l’hostilité des Chambres, il doit abdiquer le 22 juin, mettant un terme au dernier épisode de l’aventure impériale. ■

Pour aller

+ loin

Campagne de 1815, Carl von Clausewitz, Champ Libre, 1973. The Emperor Returns, Kevin Zucker, Clash of Arms, 1986.

Guerres & Histoire HS No 4 • 125

1815 - La campagne de Belgique

VICTOIRE À LIGNY, LA DER DES DERS 16 juin 1815

A

yant reçu de Wellington l’assurance qu’il viendrait à son secours, Blücher accepte la bataille le 16 juin avec 85 000 hommes sur une position défensive suivant le cours de la Ligne, un ruisseau encaissé et large de quatre à cinq mètres, bordant le nord du plateau de Fleurus. Cette position est parsemée de villages situés au creux du vallon — d’est en ouest Wagnelée, Saint-Amand, Ligny et Balâtre et, à mi-pente en remontant vers la crête, Brye (où Blücher a placé son QG), Sombreffe et Tongrinne. La position prussienne forme ainsi deux lignes disposées en un angle droit rentrant, avec une droite orientée ouest-est renforcée à son extrémité ouest pour accueillir l’arrivée prévue des Anglais, et une gauche nord-ouest/sud-est pour protéger les axes de retraite vers l’est ou le nord.

Pour Napoléon, tout va bien

ANTS COMMAND er Napoléon I Blücher EFFECTIFS 0 et 75 000 Entre 70 00 0 et 85 000 00 Entre 78 PERTES et 10 000 Entre 7 000 0 et 20 000 00 12 e tr En DURÉE h à 21 h) 6 heures (15 de S RÉSULTAT ise. L’armée ctoire frança n ; les Prussiens, C’est une vi ai rr te le nt cupe Napoléon oc plus lourdes pertes, so s de Mai qui ont subi ur moitié en désordre. ni po ni anéantie, en retraite, cher n’a été oquée. Le lü B de ée l’arm t disl ée, entièremen encerclée, ni te d’une partie de l’arm et ai tr rds re ya fu s de n 17 juin, la tio t d’une frac ée intact, celui de le ralliemen corps d’arm de concentrer un d’ ée iv au l’arr et à Gneisen e à Wavre. Bülow, perm bon ordr en es m m 90 000 ho

Au matin du 16 juin, l’Empereur est satisfait. Du moulin de Fleurus, qui domine tout le plateau et d’où il ne bougera pas de la journée, il constate que son plan opérationnel a fonctionné : l’armée prussienne est disposée à s’offrir à ses coups, et elle sera seule puisque Ney barre la route aux Anglais. Mais il n’a pour l’attaquer que 70 000 hommes (3e, 4e, 6e corps, Garde, la réserve de cavalerie), qui ne sont pas tous arrivés : le 4e corps est en marche vers Fleurus, le 6e corps encore à Charleroi. À 14 heures, il ordonne alors à Ney de venir tourner la droite prussienne en marchant vers Saint-Amand, mais fait attaquer ce village dès 15 heures par le 3e corps, afin de s’assurer que les Prussiens ne prendront pas eux-mêmes l’offensive pour se rapprocher de Wellington. Il se contente d’une démonstration de cavalerie guidée par Grouchy sur l’aile gauche prussienne : tenter de couper

sa ligne de retraite aurait pu l’inciter à refuser le combat. Le plan de bataille est donc typique de la « bataille napoléonienne » : la fixation et l’usure de l’ennemi par une attaque frontale, même avec des effectifs inférieurs, suivies d’un mouvement tournant effectué par des renforts arrivant en cours de journée, afin d’apporter la rupture décisive. Napoléon prolonge l’action du 3e corps contre la droite prussienne par une attaque du 4e corps au centre, contre Ligny, vers 16 heures. Les combats sont acharnés, les Prussiens alimentant

Le maréchal Gebhard von Blücher (1742-1819), mecklembourgeois rallié à la Prusse, ferraille déjà durant la guerre de Sept Ans. Licencié de l’armée en1771, il ne reprend du service que pour lutter contre les armées de la Révolution. Humilié à Auerstaedt, il se consacre à la rénovation de l’armée prussienne et à la revanche. Il connaît des hauts et des bas durant les campagnes de 1813 et 1814. Après sa défaite à Ligny, son armée se replie vers Wavre et non vers le Rhin, une décision fatidique pour Napoléon.

Le maréchal Emmanuel de Grouchy (1766-1847), aristocrate passé à la Révolution, cavalier courageux, connaît un grave revers lors de l’expédition de Hoche en Irlande (1796), où il se montre indécis. Il fait néanmoins une belle carrière, participant à la grande charge d’Eylau. Il commande toute la cavalerie en 1814 et est blessé à Craonne. À Waterloo, sans ordre précis, il perd Blücher – il en est responsable pour l’éternité – puis se montre excellent dans le sauvetage du reste de la Grande Armée en déroute.

126 • Guerres & Histoire HS No 4

la bataille par d’incessants renforts et contre-attaquant pour reprendre les postions perdues. Les villages changent de mains tout au long de l’après-midi.

les généraux français et Napoléon lui-même croient à l’arrivée d’une colonne ennemie, et retardent l’envoi de renforts aux unités déjà engagées. Après s’être assuré de l’identité de la colonne de D’Erlon, mais constatant que, repartant vers l’ouest, elle ne pouvait lui être d’aucun secours, Napoléon doit changer à nouveau ses plans. Puisqu’il ne pourra envelopper la droite ennemie, il percera son centre, en utilisant pour cela sa dernière réserve : la garde impériale et la cavalerie lourde. À 19 h 30, cette masse de troupes d’élite marche sur Ligny, culbute les Prussiens et gravit la pente vers Sombreffe alors que la nuit tombe. Blücher étant tombé de cheval et hors de combat, Gneisenau, son chef d’état-major, ordonne la retraite en direction de Wavre. Si les ailes de l’armée prussienne se replient en bon ordre à la faveur de la nuit, une grande partie du centre prend la fuite sur la route de Liège. Napoléon est victorieux, mais n’a pu écraser l’armée de Blücher. Il estime cependant celle-ci suffisamment battue pour pouvoir se tourner sans crainte contre Wellington. Les informations collectées le lendemain matin par la cavalerie chargée de la poursuite le confortent dans cette opinion : il croit les Prussiens en fuite vers Liège, alors qu’ils marchent en ordre vers Wavre. ■

Ney explose de colère

Apprenant que Ney est aux prises avec 20 000 Anglais aux Quatre-Bras, l’Empereur modifie vers 15 h 30 son plan initial en ordonnant à Ney de n’envoyer que le 1er corps tourner les Prussiens. C’est là que se manifeste ce que Clausewitz nomme si justement « le brouillard de guerre ». Drouet d’Erlon, chef de ce corps (voir p. 128), avait reçu à 16 heures l’ordre précédent adressé à Ney avant le maréchal, grâce au zèle d’un aide de camp plus rapide. Il commence aussitôt à exécuter cet ordre, que Ney ne reçoit qu’à 17 heures, alors qu’il est aux prises avec un nombre croissant d’Anglais. Il explose de colère et envoie à D’Erlon l’ordre de revenir le soutenir. Pris entre ces deux ordres opposés, ce dernier décide d’obéir à son chef direct, qu’il suppose informé des intentions impériales, et rebrousse chemin vers 18 heures, trop tard pour soutenir Ney... Vers 17 heures, apercevant au loin la colonne de D’Erlon,

Pour aller

+ loin

Waterloo, Henri Lachouque, Stock, 1972. Ligny et Wavre 1815. Les dernières victoires de l’Empire, F. Bey, Ludifolie, 2016. Ligny 1815 : Last Eagles, Walter Vejdovsky, Hexasim, 2017.

Fixation de l’ennemi, mouvement tournant puis attaque décisive : le plan de bataille est typiquement napoléonien.

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14h00-15h30

Sombreffe

XXX

REILLE

PIRCH

17h30

ZIETEN

SaintAmand

XXX

NEY

Ligny THIELMANN

D’ERLON R



VANDAMME

L ig ne

D AR

MILHAUD

GROUCHY

Fleurus LOBAU GARDE

18h30-21h00

XXXX

Gosselies LOBAU

L ’ O r nea u

KELLERMANN

Namur

NAPOLÉON 76 000

S am br e

19h30

Anglo-Hollandais Français (position 1) Français (position 2) Prussiens (position 1) Prussiens (position 2)

Charleroi

Guerres & Histoire HS No 4 • 127

1815 - La campagne de Belgique

WATERLOO, DÉFAITE DÉCISIVE ET POINT FINAL 18 juin 1815

W

ellington, rassuré par la promesse de soutien de Blücher, accepte le 18 juin la bataille sur une position défensive suivant la crête du plateau de Mont-Saint-Jean, qui barre d’ouest en est la route de Bruxelles au sud de la forêt de Soignes. En avant de cette ligne, trois fermes (d’ouest en est : Hougoumont, la Haye-Sainte, Papelotte), hâtivement fortifiées, doivent briser l’élan de l’attaque française. Napoléon, arrivé le soir du 17 à la ferme de la Belle-Alliance, à 1300 m de la Haye-Sainte, est ravi de voir les Anglais allumer leurs feux de bivouac. La bataille pourra se livrer comme prévu contre eux seuls, Blücher étant en retraite poursuivi par Grouchy. Il s’installe pour la nuit à la ferme du Caillou, 2 500 m en arrière. À l’aube, il revient à la Belle-Alliance. Mais un léger vallonnement l’empêche de voir les troupes anglaises massées derrière la crête. Il ne veut de toute façon pas perdre de temps à chercher la faille du dispositif ennemi, mais attaquer au centre pour le couper en deux et le rejeter dans la forêt de Soignes qu’il croit toute proche, confondant semble-t-il la ferme de la Haye-Sainte avec celle de Mont-Saint-Jean, située 1 300 m plus au nord.

Un terrain alourdi par les orages

Mais au matin du 18, tandis que, revenu au Caillou, Napoléon donne ses ordres, seul le 1er corps est à pied d’œuvre. Napoléon le fait aligner à droite de la route de Bruxelles, avec pour mission de prendre la Haye-Sainte et percer le centre anglais, tandis que le 2e corps, qui arrive à son tour, est placé face à la droite anglaise, avec pour mission de prendre Hougoumont afin de faire diversion. Le 6e corps et la Garde, qui arriveront au cours de la matinée, donneront le choc décisif au centre.

Jean-Baptiste Drouet, comte d’Erlon, dit Drouet d’Erlon (1765-1844), fait presque toutes les campagnes de l’Empire comme général de division. Il se rallie à l’Empereur en 1815 et se fait un nom dans l’histoire en montrant la plus grande énergie à Waterloo, notamment en s’emparant de La Haye-Sainte.

128 • Guerres & Histoire HS No 4

ANTS COMMAND er I n éo ol Nap Wellington Blücher EFFECTIFS 72 000 o-Allemands lo-Néerland 70 000 Ang iens 40 000 Pruss S TE PER 29 000 18 000 DURÉE idi à 21 h) 9 heures (m e S RÉSULTAT oire coalisée, écrasant ct vi e, e is un ça st an ’e fr C Toute l’armée t et décisive. ement de Grouchy, es ch ta , la dé ite su ur sauf le po la t pendant engagée es en déroute ; de l’artillerie rtie ité pa al e ot nn i-t as bo e qu ut comme un nduit capturée, to rmée française. Elle co n l’a éo ol de ap du parc ion de N t à l’abdicat ix pa directemen la issement de et au rétabl

Le terrain détrempé par les orages ralentit toutefois la mise en place de l’artillerie. Quittant le Caillou, Napoléon parcourt le front sous les ovations, et s’établit près de la ferme de Rossomme, à mi-chemin entre le Caillou et la Belle-Alliance, d’où la vue n’est pas meilleure. L’attaque d’Hougoumont ne commence que vers 11 h 30. Au lieu d’être une diversion, elle se transforme en une bataille séparée, engageant peu à peu tout au long de l’après-midi la plus grande part du 2e corps et de l’aile droite anglaise. Vers midi, on aperçoit des baïonnettes scintiller à l’horizon, vers l’est. C’est le corps prussien de Bülow en route pour rejoindre Wellington. Napoléon confiant déclenche pourtant vers 14 heures l’attaque principale contre le centre anglais, préparée par une grande batterie de 80 canons et conduite par Ney. Les éclaireurs ayant confirmé l’approche des Prussiens, Napoléon détache à leur rencontre le 6e corps, qui ne pourra donc participer au choc décisif. Le premier assaut échoue. D’Erlon ne parvient pas à prendre la Haye-Sainte, et la cavalerie lourde anglaise charge son infanterie, menaçant la grande batterie ; Napoléon, qui s’est porté en avant jusqu’à la maison Decoster, doit faire contreattaquer sa cavalerie. Un second assaut est lancé vers 15 h 30. Il échoue également. C’est alors que se situe le moment le plus controversé de la bataille : Ney aurait demandé le soutien d’un corps de cavalerie

Vers Bruxelles

WELLINGTON 68 000

Le Mesnil

ZIETEN

xxxx

Mont-Saint-Jean

BLÜCHER 35 000 19h30 UXBRIDGE

CLINTON

Braine-l’Alleud

5

PICTON

BÜLOW

La Haye

ALTEN

La HayeCHASSÉ

Lasne

PIRCH

5

3

Frichermont

2

Sainte

COOKE

2

3

Papelotte

16h00

Couture

2

2

Chateau de Hougoumont

D ’ERLON

1

La BelleAlliance

1

4

MILHAUD

REILLE

C av. GARDE

GARDE IMPERIALE

Maransart

3

LOBAU

KELLERMAN

4

Plancenoit

ne

Las

1 1

11h30-15h00

2 2 13h00-15h30

3 3

15h30-17h30

4 4 17h00-20h00

NAPOLÉON 73 200

5

5

19h30-20h00 Anglo-Hollandais Français (position 1)

Maison du Roi

Français (position 2)

Le Caillou

Prussiens (position 1) Prussiens (position 2)

Vers midi, on aperçoit des baïonnettes scintiller à l’horizon : c’est le corps prussien de Bülow qui va rejoindre Wellington. lourde ; ou bien, la première ligne anglaise ayant reculé derrière la crête pour se soustraire au feu de la grande batterie, il aurait cru l’ennemi en retraite ; Napoléon, voyant ses cuirassiers avancer, les aurait fait soutenir par toute la cavalerie de réserve, y compris celle de la Garde. Quoi qu’il en soit, toute la cavalerie française se rue sur la ligne anglaise… à l’est de la Haye-Sainte, car à l’ouest de la ferme, où Ney a attaqué, un chemin creux l’interdit. Les charges répétées, menées de 16 heures à 18 heures sans soutien de l’infanterie, ne pourront entamer une ligne anglaise jusque-là intacte et formée en carrés. Pendant ce temps, les Prussiens refoulent le 6e corps jusqu’à Plancenoit dont ils s’emparent vers 17 heures Napoléon doit envoyer la Jeune Garde reprendre le village : elle manquera aussi pour le choc décisif. Car vers 18 heures, Ney s’empare enfin de la Haye-Sainte : le centre anglais est ouvert.

Mais face à une nouvelle poussée des Prussiens qui, sans cesse renforcés, ont repris Plancenoit, Napoléon doit de nouveau envoyer sur ce point une partie de la Garde. Le village change à nouveau de mains à 19 heures L’Empereur n’a plus que neuf bataillons de la Garde (sur 28) pour porter le coup final. Le temps de les faire avancer, et Wellington a déjà reconstitué sa ligne avec des troupes rappelées de ses ailes, car il sait qu’un nouveau corps prussien, celui de Zieten, arrive à sa gauche. À 20 heures, la Garde aborde la ligne anglaise à l’ouest de la Haye-Sainte. Elle est repoussée, au moment où Zieten arrive sur le champ de bataille : Napoléon avait à dessein fait courir le bruit qu’il s’agissait de Grouchy. Aux cris de « Trahison ! » et « La Garde recule ! », toute la ligne française s’effondre, entraînant l’Empereur dans sa déroute tandis que la nuit tombe sur les fuyards poursuivis par la cavalerie prussienne. ■

Pour aller

+ loin

Waterloo 1815, H. Houssaye, Christian de Bartillat, 1987. Waterloo 1815, T. Lentz, Perrin, 2015. Les Quatre-Bras et Waterloo 1815, F. Bey, Ludifolie, 2015. Waterloo 1815 : Fallen Eagles, Walter Vejdovsky, Hexasim, 2015.

Guerres & Histoire HS No 4 • 129

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Septembre 2018

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Janvier 2019

Février 2019

Mars 2019

Avril 2019

14/08 4 Ancres 2 186€

05/09 4 Ancres 2 186€

01/10 4 Ancres 2 892€

Novembre 2018 Décembre 2018 08/11 4 Ancres 3 108€

04/12 4 Ancres 3108€

01/01 5 Ancres 3 276€

02/02 5 Ancres 3 276€

06/03 5 Ancres 3 276€

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